Résumé[]
Les clans de la Rivière et du Tonnerre se sont alliés contre celui de l’Ombre et l’ont attaqué en traitre… causant de nombreux morts et de nombreux blessés. Le clan de l’Ombre parviendra-t-il à se reconstruire et à renaître de ses cendres ?
Suite à cette attaque, Patte Flambante a été nommé lieutenant, tandis qu’entre Pas de Renarde et Griffe de Geai, la tension continue de monter.
Allégeances[]
apprenti : Nuage de Marais
apprenti : Nuage d’Orage
Œil d’Ébène : mâle brun tigré à la queue rousse
Flamme Cendrée : chatte grise et rousse
Bourrasque Azurée : chatte grise et borgne
Museau Écarlate : grand mâle blanc au museau roux
Pelage Bleu : chatte gris-bleu
Tornade de Glace : femelle noire tachetée de gris aux pattes et au ventre blanc
Tempête de Houx : chatte noire et rousse avec un bout de museau arraché et des marques griffures sur le museau et la gorge
Baie de Houx : chatte noire aux yeux ambrés
Croc de Blaireau : chat noir et blanc
Cœur de Cèdre : femelle brun tigré au ventre roux
Vent de Nuit : chat noir tigré de blanc aux yeux bleu violacé
Fleur de Myosotis : chatte noire et rousse
Aile d’Ambre : chatte brun tigré aux yeux ambrés
apprenti : Nuage de Bouvreuil
Griffe de Geai : chat gris tigré aux yeux bleus
apprentie : Nuage de Groseille
Pluie Glaciale : chat blanc tacheté de gris avec une longue cicatrice sur le flanc
apprenti : Nuage Obscur
Moustache de Brume : chatte gris-bleu
apprenti : Nuage de Buisson
Flaque Sombre : mâle gris sombre
apprentie : Nuage de Cerise
Pelage de Bruine : femelle gris perle tachetée de minuscule taches plus foncées
Truffe de Musaraigne : matou brun avec des nuances plus claires et plus foncées
Griffe Lumineuse : chatte blanche tigrée de roux
Nuage de Marais : chat brun aux pattes avants rousses
Nuage de Groseille : chatte rousse tachetée
Nuage de Bouvreuil : chat gris à certaines parties du corps plus foncées et à la gorge rousse
Nuage de Santoline : chatte grise tachetée de doré
Nuage Obscur : chat noir avec une partie du museau blanche
Nuage de Buisson : chat blanc
Nuage de Cerise : chatte blanche, brune et rousse
Petite Nacre : chat doré à la queue blanche et aux yeux bleu azur
apprenti : Nuage de Scarabée
Orage Matinal : chatte grise tachetée de blanc
Moustache de Louve : chatte grise piquetée de minuscule taches noires
Cœur de Soleil : femelle jaune-rousse
Baie de Sureau : chatte blanche tachetée de noir
apprenti : Nuage d’Averse
Papillon de Nuit : chatte écaille-de-tortue
Nuage d’Éboulement : chat jaune aux pattes plus sombres
Cœur de Lièvre : chat brun couturé de cicatrices
Renarde Agile : femelle rousse
Écaille de Feu : chat roux
Plume Sableuse : chatte beige
Tige de Pissenlit : chatte jaune
Ajonc Fier : chat brun pâle
Alouette Généreuse : mâle beige tigré de brun
Lavande Timide : chatte grise
Seigle Éblouissante : mâle doré et moucheté
Hêtre Audacieux : chat brun tigré
Roche Dure : mâle brun et noir
Patte Rapide : chat brun pâle
Cendre Rusée : femelle grise aux pattes noires
Écorce Paisible : mâle brun et roux
Marbre Brisé : chat blanc cassé
Brasier Vaillant : mâle roux à l’oreille entaillée
Orge Apaisé : mâle beige
Ouragan Agité : chat gris foncé
Nuage Rayé : chatte grise tigrée
Nuage Envolé : mâle gris moucheté de blanc
Nuage de Ronce : chat crème aux yeux bleus
Oreille Grise : chat gris aux extrémités du corps plus sombres
Plume de Brume : chatte blanche
Plume d’Ardoise : chatte gris sombre
Source d’Argent : chatte argentée
Cœur d’Encre : chat noir et blanc
apprentie : Nuage de Bouton-d’or
Blanche Nuit : chatte noire et blanche
apprenti : Nuage de Grésil
Éclat de Grès : mâle doré au museau et au dos mouchetés de noir et aux yeux bleus azur
Soleil Rayonnant : chatte dorée et crème au museau couvert de griffures
Lumière Solaire : mâle doré
Lac Gelé : chat gris-bleu aux pattes plus claires
Plante Grimpante : chatte blanche tachetée de roux tigré
Chute de Flocon : chat blanc
Pluie de Givre : chatte argentée
Avalanche de Neige : femelle au pelage blancÉtoile de Saule : grand mâle blanc pommelé de brun
Plume de Canicule : chat couleur cuivre aux pattes tirant sur le brun
Prologue[]
Au plus profond d’une forêt sans lumière ni aucune autre forme d’espoir, un jeune félin se demandait s’il avait fait le bon choix. La couleur de son pelage n’était pas visible dans la pénombre ambiante, mais on pouvait le voir hésiter sur la direction à prendre. Il cherchait quelqu’un. Il ne se le serait jamais avoué à lui-même, mais il voulait être rassuré sur la nécessité de ses actions. Maintenant que sa mère, dernier membre de sa famille, était morte, que lui restait-il ? Maintenant qu’il avait tué son propre frère pour cette cause dont à présent il doutait, que pouvait-il encore faire à part se rassurer auprès de l’instigateur des événements ?
Ses pattes s’enfoncèrent dans une terre spongieuse et il frissonna, il avait peur et il souffrait. La bataille de la veille a laissé de profondes traces, tant dans son esprit que dans son corps.
Mais surtout, pendant les quelques heures passées allongé à se faire soigner par les guérisseurs de son clan, il a réfléchi. Maintenant que sa mère était morte, qui lui restait-il ? Personne. Ni frère ni ami. Alors oui il doutait. Il doutait de sa mission mais également de la nécessité même de rester en vie. Après tout, à qui manquerait-il ? Et puis ça mettrait fin à ce profond malaise qui couvait au fond de lui depuis cette funeste saison des neiges durant laquelle il avait franchi une ligne invisible mais très importante.
Il sentait encore ses pattes presque gelées après la sinistre besogne, il se souvenait encore de ce dernier regard plein d’incompréhension et de détresse de sa victime, mais paradoxalement encore débordant de vie, et de l’amour qu’il avait évoqué dans ces dernières paroles, avant que tout ne bascule.
« Je crois que je l’aime, et je crois que ça fait longtemps. Peut-être même que je l’ai toujours aimée. Qu’est-ce que tu en penses ? »
Il n’avait pas pu attendre plus longtemps. Il avait su que s’il l’entendait parler une nouvelle fois de son amour, il n’arriverait pas à faire ce qu’il avait à faire.
Alors il avait agi, mais à présent il doutait du bien-fondé de son acte. Avait-il eu raison de le faire ? Tout son corps lui semblait lourd et vide à la fois. Comme vidé de toute substance et de son âme. Mais sans doute n’en a-t-il plus, d’âme. Probablement l’a-t-il perdue ce jour-là, en même temps que tout espoir de rédemption.
Il s’arrête et baisse la tête, fermant très fort les paupières pour ne plus voir les arbres morts et noueux qui l’entoure et dont les branches sont autant de griffes agressant le ciel sans étoiles. Derrière le noir de ses paupières closes, il repense à tout. À son enfance, suivi de son apprentissage. Il revoit son baptême de guerrier. Il revit la mort de son père, repense au cadavre de sa mère, vu quelques heures plus tôt. Revoit les yeux de son frère et la tristesse de sa mère alors qu’on le mettait en terre.
Menteur. Tueur. Fratricide.
Il déglutit, son cœur s’emballa un peu plus. Il imagina sa mère retrouvant son frère après sa mort. Il voyait presque son expression lorsque son frère lui apprendrait les raisons de sa mort. Il voyait son visage se déformer sous l’incompréhension, puis ses yeux se teinter de rage, et d’une infinie tristesse.
Il rouvrit les yeux. Il ne voulait plus aller voir l’instigateur, il sut que peu importent les belles paroles qu’il pourrait prononcer, l’air rassurant qu’il pourrait prendre, ce ne serait rien d’autre que de la manipulation. Pire encore, si l’instigateur voyait qu’il doutait, alors il saurait qu’il ne pouvait plus lui faire confiance, et alors… « Je crois que je l’aime, et je crois que ça fait longtemps. Peut-être même que je l’ai toujours aimée. Qu’est-ce que tu en penses ? »
Un cri rauque de bête sauvage sortit de sa gorge et il se recroquevilla au sol. Il avait enfin compris que rien n’excuserait jamais son crime, il était un fratricide. Il avait tué son frère, un jeune guerrier amoureux. Aurait-il eu des chatons à cette heure ? Aurait-il été heureux ? Sans doute plus que maintenant, après avoir été tué par son frère alors qu’il venait de lui témoigner une confiance sans limite.
Il n’y avait aucune rédemption possible, cette évidence le frappa de plein fouet, et alors sa décision était prise : il n’irait pas voir celui à l’origine de son acte, il ne voulait plus jamais le voir. Il avait enfin compris ce que son frère avait compris des lunes avant lui.
Chapitre 1[]
Griffe de Geai boita jusqu’à la sortie du camp, c’était bien la dixième fois qu’il accomplissait ce trajet depuis son réveil, à l’aube. Le guerrier gris s’appuyait le moins possible sur sa patte arrière droite, qui avait été blessée pendant… qui avait été blessée deux aubes plus tôt. Son état s’était déjà bien amélioré, et il était bien moins blessé qu’une grande partie de ses camarades. Il devait donc aider à reconstruire le camp, pendant que ceux qui s’en étaient sortis avec une oreille déchirée tout au plus, chassaient au-dehors.
Lui, sa mission était simple : rapporter des ronces pour aider à la reconstruction des fortifications, il en avait trouvé un énorme buisson un peu plus tôt, et non loin du camp en plus.
Derrière lui, Petite Nacre, Petit Soleil et Petite Pomme le suivaient. Ils n’auraient pas du avoir le droit de sortir du camp : ils n’avaient encore que trois lunes, mais ils n’avaient pas arrêté d’insister, et Patte Flambante avait finalement donné son accord. Patte Flambante, lieutenant du Clan de l’Ombre… songea Griffe de Geai avec ironie. Il n’a vu que deux saison des neiges et le voilà déjà second du clan. Pourquoi lui ? Il restait pourtant des vétérans suite à l’attaque : Orage Noir et Œil d’Ébène, qui avaient tous deux prouvé à de nombreuses reprises qu’ils méritaient cet honneur.
Mais Patte Flambante a été l’apprenti d’Étoile de Tempête. Ce fait simple expliquait tout. Le meneur l’avait nommé lieutenant parce qu’il savait que Patte Flambante avait les mêmes valeurs que lui, et que le félin roux lui obéirait toujours. Si ça avait été moi son apprenti, ça aurait été l’inverse, et j’aurais été le lieutenant. songea Griffe de Geai. Il se rappela ce que son père lui avait dit plusieurs saisons plus tôt : qu’Étoile de Tempête pensait le prendre lui comme apprenti, et non pas son frère.
Griffe de Geai faillit trébucher sur Petite Nacre et Petit Soleil qui venaient de lui passer devant en courant et criant de joie et ça le ramena brusquement à la réalité.
- Faites attention ! leur lança-t-il alors qu’ils sortaient du camp et s’élançaient dans la pinède.
- On connaît le chemin par cœur ! répliqua Petit Soleil. Ça fait quinze fois qu’on le fait !
Griffe de Geai vérifia qu’ils prenaient le bon chemin avant de demander à sa fille, seule à être restée près de lui :
- Tu ne vas pas avec eux ?
- Non. répondit la petite chatte mouchetée en se collant contre une des pattes avants de son père. Je reste avec toi. Ça fait mal ?
- Quoi ? demanda Griffe de Geai en baissant la tête vers elle.
Voyant qu’elle avait le regard fixé sur sa balafre à la patte arrière, il lui répondit d’un ton rassurant :
- Non, je ne sens déjà presque plus rien. Plume de Pierre m’a bien soigné.
- Avant de mourir ? lâcha Petite Pomme.
- Oui. reconnut Griffe de Geai dans une sorte de soupir.
- Comment est-ce qu’il est mort ? J’ai demandé à Maman, mais elle n’a rien voulu me dire.
- Il est mort d’épuisement. lui expliqua Griffe de Geai, en se remémorant comment le guérisseur s’était effondré au milieu du camp la veille au soir.
- C’est possible ?
Petite Pomme avait un air effrayé.
- Tu n’as pas à t’inquiéter, c’est extrêmement rare, et Plume de Pierre avait passé toute la nuit, et le jour d’après, qui ont suivis la bataille à soigner les blessés. C’était trop, pour n’importe qui ça aurait été trop.
- Il ne le savait pas ?
- Probablement que si, mais il a décidé de faire passer la vie de ses camarades blessés avant la sienne. Regarde Griffe Lumineuse, elle serait morte sans lui, et Bourrasque Azurée peut-être aussi.
À l’évocation de la guerrière nouvellement borgne, le museau de la petite chatte blanche et noire se tordit bizarrement, dans un mélange de malaise et de dégout.
- Elle me fait peur… Tempête de Houx aussi, elle était gentille avant.
- Tempête de Houx t’a dit des choses méchantes ? s’étonna Griffe de Geai.
- Non ! Mais… je ne sais pas, elle me fait peur, je l’ai vue ce matin…
- Je suis sûr qu’elle est toujours aussi gentille qu’avant.
Petite Pomme n’ajouta rien, Griffe de Geai la vit regarder ses pattes et gratter nerveusement le sol. Puis elle releva la tête, croisa son regard avant de laisser à nouveau le sien dériver vers la blessure à la patte de son père.
- C’est lui qui t’a fait ça ?
- Qui ça, lui ?
- Le chat pendant la bataille. Celui du Clan de la Rivière, qui a voulu nous faire du mal. Le grand, et doré.
Éclat de Grès… Le guerrier du Clan de l’Ombre repense à la colère qu’il avait ressentie en voyant le matou doré avec sa compagne et ses chatons, quand il était entré dans la pouponnière pour vérifier qu’ils allaient tous bien… il pensait les trouver seuls, et là, il avait vu ce grand imbécile penché sur sa fille, lui racontant il ne savait quelles sornettes.
- Non, ce n’est pas lui. répondit-il tout de même, car en effet il s’agissait de Griffe de Fougère qui essayait de s’introduire dans la pouponnière ; lui il n’avait aucun regret à l’avoir tué. Il t’a fait peur ?
Petite Pomme hocha la tête.
- Hé ! Griffe de Geai, je viens de voir tes deux fils, c’est normal ?
Le guerrier gris releva la tête et vit Pluie Glaciale arriver vers lui, d’un air plus aimable qu’il n’en avait jamais eu. Sa balafre sur le flanc s’était à nouveau refermée, et il n’avait qu’une minuscule entaille à l’oreille. Derrière lui arrivaient Truffe de Musaraigne avec une balafre sur le museau, et encore après Pelage de Bruine, avec une oreille déchirée. Tous trois tenaient des proies entre leurs mâchoires, Pluie Glaciale avait même un merle particulièrement gros, qu’il avait déposé pour interpeller Griffe de Geai. Lequel lui répondit :
- Oui, c’est normal. Merci.
Le mâle blanc tacheté de gris hocha la tête et reprit son oiseau avant d’indiquer aux deux guerriers qui l’accompagnaient de reprendre la marche.
Il a changé depuis la bataille. se dit Griffe de Geai alors que les trois félins s’éloignaient.
- Pas trop tôt ! lança Petit Soleil quand sa sœur et son père arrivèrent auprès du buisson de ronce. On vous a attendus.
- Je l’ai forcé à vous attendre. rectifia Petite Nacre. Lui, il voulait couper les ronces tout seul !
- On serait allé plus vite. maugréa Petit Soleil.
- Tu aurais pu te faire mal. déclara Griffe de Geai avec amusement avant de s’avancer et de trancher avec précaution plusieurs tiges de ronce.
Une longue pour lui, et trop petites pour ses chatons. Il les leur distribua et leur rappela :
- N’oubliez pas, tenez-les par le bout et faites attention à ne pas vous blesser avec les épines.
- On sait ! protesta Petit Soleil. On l’a déjà fait plein de fois.
Sur ce, il s’empara de la sienne et partit vers le camp aussi vite qu’il le pouvait sans risquer de trébucher, c’est-à-dire assez lentement. Griffe de Geai veilla à ce que Petite Nacre et Petite Pomme attrapent les leur correctement et passent devant lui, puis il se remit en marche à son tour. Ils progressaient bien moins vite qu’à l’aller, mais à la différence que cette fois ils ne pouvaient pas parler, ayant une tige de ronce dans leur gueule.
Ils croisèrent à nouveau Pluie Glaciale, Truffe de Musaraigne et Pelage de Bruine, qui retournaient chasser. Si les deux derniers avaient l’air profondément ennuyés de cette énième chasse, même Truffe de Musaraigne habituellement enjoué et qui ne rechignaient jamais à la tâche. Pluie Glaciale, en revanche, avait l’air aussi alerte et déterminé que si c’était sa première chasse de la journée. Non, décidément ça ne lui ressemblait vraiment pas. Peut-être est-ce la mort d’Aile de Neige ? se demanda Griffe de Geai. Ou d’Aile de Gland : sa mère ? Mais il ne voyait pas bien en quoi la mort de l’une ou de l’autre aurait pu le faire agir de cette façon. Il aurait davantage été attendu qu’il s’effondre ou perde la foi en la vie de chat de clan.
Il haussa les épaules. Après tout peu importe, ça le regardait. Quand Griffe de Geai, ses fils et sa fille arrivèrent en vue du camp, le premier sentit sa gueule s’assécher un peu. La terre de la pinède autour du camp avait été retournée et en était devenue très meuble. Signe des nombreux morts enterrés là. Une dizaine au total, si l’on comptait Plume de Pierre et Aile de Neige, morts dans les jours qui avaient suivi.
- Bon, tu avances ? lança Petit Soleil, en déposant sa tige, à Petite Nacre qui l’avait dépassé sur le chemin.
- Comme si tu allais plus vite que moi ! répliqua le matou doré lui aussi en déposant ses ronces et en se tournant vers son frère d’un air furieux.
Posant également son chargement et agitant légèrement, mais assez pour marquer son agacement, sa queue dans l’air, Griffe de Geai leur lança :
- Ça prendra encore plus de temps si vous vous mettez à discuter tous les deux pas ! Allez avancez !
Petite Nacre reprit aussitôt ses ronces et recommença à les tirer. Voulant faire de même, Petit Soleil alla trop vite et se piqua le bout de la truffe.
- Aïe ! s’exclama-t-il vivement.
Avec un profond soupir, le guerrier tigré se tourna vers Petite Pomme et lui ordonna de passer devant son frère et d’amener les ronces aux guerriers qui réparaient les fortifications, puis il s’avança vers Petit Soleil et inspecta l’endroit où il s’était piqué. Une minuscule goutte de sang avait coulé de l’égratignure et Griffe de Geai l’en débarrassa d’un coup de langue.
- C’est dégoutant ! protesta Petit Soleil en reculant.
- Tu n’avais qu’à faire attention ! Tu as mal ?
- Pas du tout.
Le chaton roux et blanc reprit la tige de ronce, cette fois avec plus de prudence et en prenant son temps, et il recommença à la tirer vers l’intérieur. Enfin dans la combe, Griffe de Geai entendit qu’on l’appelait, il se tourna vers la source du bruit et vit son frère lui faire signe d’amener son chargement là où il était.
Griffe de Geai lui obéit et la lâcha au pied de fortifications fraichement reconstruites.
- Tu m’aides ? demanda Patte Flambante.
Le guerrier au pelage gris hocha la tête. Il ne s’était toujours pas habitué à la minuscule partie d’oreille arrachée de son frère, et encore moins à la petite entaille que le matou roux avait désormais sous l’œil. Ça lui donnait l’air plus âgé. Sans doute le nouveau lieutenant avait-il mis autant de temps à s’habituer à la balafre sur le museau de son frère, causée par le faucon qui avait emporté leur petit frère bien des lunes plus tôt, mais à présent elle presque entièrement dissimulée sous sa fourrure grise.
Griffe de Geai commença alors à aider les constructeurs, mais continuant de vérifier régulièrement que ses chatons étaient toujours entrain de jouer sagement au milieu de la combe. Pas de Renarde n’était pas là pour les surveiller : comme tous les chats valides, elle passait une grande partie de ses journées à chasser.
À part les trois chatons apportant un peu d’animation, le camp semblait comme mort. Plus d’apprentis joyeux et insouciants, plus de Griffe Tigrée pour discuter de tout et de rien avec tout le monde, personne pour trainer devant sa tanière pour profiter de la douce brise de la saison des feuilles nouvelles.
Soudain, un cri déchira l’air pesant et le silence de la combe, faisant sursauter une bonne partie des chats présents, Griffe de Geai y compris. Il se tourna vers la tanière des guérisseurs, et vit en sortir Nuage d’Orage. Rose Blanche, qui jusque-là était au côté de Moustache de Brume pour vérifier qu’elle pouvait de nouveau marcher normalement, se précipita vers lui. Le guerrier vit l’apprenti guérisseur baisser la tête et se mettre à raconter quelque chose qu’il ne put pas entendre.
Alors, la guérisseuse sembla pousser un soupir presque résigné et s’approcha de Museau Écarlate et Tornade de Glace qui la regardèrent arriver avec horreur. Griffe de Geai comprit que, cette fois, c’était Aile de Papillon qui avait rejoint leurs ancêtres.
Griffe de Geai ne s’étonnait même plus, depuis la bataille, pas un jour n’avait passé sans que ne soit annoncée une nouvelle mort. Il se demandait simplement quand tout cela allait s’arrêter, quand est-ce que tout retrouverait un semblant de normalité.
Chapitre 2[]
Patte Flambante alla se coucher après une énième journée de reconstruction du camp bien remplie. Il fit mentalement le tour de tout ce qu’il devait faire le lendemain, de tout ce qu’il avait fait le jour même et vérifia qu’il n’avait rien oublié. Non, c’était bon. Et il avait également préparé les patrouilles du lendemain : il s’en remémora les noms de ses membres pour ne pas les oublier. Flamme Cendrée, Museau Écarlate et Pelage Bleu iraient à la frontière avec le Clan du Tonnerre, Tornade de Glace, Baie de Houx et Cœur de Cèdre iraient sur celle du Clan de la Rivière.
Non, c’est vrai, pas Tornade de Glace ou Museau Écarlate : leur fille était morte la veille et ils la veillaient toujours. Dans ce cas ce serait Fleur de Myosotis et Croc de Blaireau. Pour les patrouilles de chasse, Patte Flambante comptait envoyer Orage Noir, Vent de Nuit, Pluie Glaciale et Nuage Obscur vers la Roche Nocturne et Flaque Sombre, Nuage de Cerise, Nuage de Buisson et Pelage de Bruine vers le lac.
Ceux qui restaient, et qui étaient en état, resteraient au camp et continueraient les réparations. Patte Flambante s’incluaient parmi ceux-là.
Epuisé, le nouveau lieutenant du Clan de l’Ombre força ses pensées à ralentir mais elles continuaient de tournoyer à toute vitesse sous son crâne, lui causant un mal de crâne insupportable mais qu’il savait n’être que psychologique.
Il finit par perdre totalement la notion du temps, même s’il se savait éveillé et sentait toujours ses camarades, endormis pour la plupart, allongés autour de lui. La tanière lui semblait vide, et il sentait passer un courant d’air par une brèche dans la paroi qui n’avait pas encore été réparée.
Patte Flambante ressentit alors une vive douleur à la queue, et, émergeant de son demi-sommeil, releva vivement la tête pour voir qui avait bien pu lui marcher dessus. Il tomba nez à nez avec le museau roux et les deux grands yeux bleu ciel de son neveu qui grimaça en croisant son regard.
- Désolé. murmura Petit Soleil.
Patte Flambante poussa un grognement voué à signifier que ce n’était rien et reposa la tête contre son flanc. Du coin de l’œil, il vit Petit Soleil se faufiler jusqu’à Griffe de Geai et se blottir contre son pelage gris. Toujours endormi, le matou tigré enfouit son museau dans la fourrure de son fils qui ronronna doucement.
Le lieutenant referma les yeux et tenta de retrouver le sommeil.
Patte Flambante entendit alors un cri au-dehors et rouvrit brutalement les yeux. La tanière était vide, plus aucun de ses camarades à ses côtés, mais des cris et des miaulements rageurs au-dehors. Le félin roux bondit sur ses pattes et fut pris de vertige pour s’être relevé aussi vite.
Il se précipita alors à l’extérieur et tomba presque aussitôt sur Baie de Sureau, du Clan du Tonnerre. Que faisait-elle là ? Et il se rendit alors compte que le camp, son camp, était envahi d’odeurs étrangères appartenant aux combattants des clans du Tonnerre et de la Rivière.
Sans plus réfléchir, Patte Flambante attaqua férocement la guerrière et ils roulèrent ensemble dans la terre. Alors qu’il enfonçait férocement ses griffes dans la fourrure noire et blanche, il vit Nuage de Marais et Nuage de Groseille au milieu des combats. Il lui sembla qu’ils faisaient face à un guerrier mais il n’eut pas le temps de mieux voir car Baie de Sureau lui mordit férocement l’oreille. Il la repoussa mais ne chercha pas à se venger : sa priorité, c’était les apprentis.
Il se précipita vers l’endroit où il avait vu son frère et sa sœur un instant plus tôt, et, en tournant sur lui-même finit par les trouver. Nuage de Groseille faisait face à Nuage d’Averse, un apprenti du Clan du Tonnerre presque en âge d’être guerrier. Derrière elle, Nuage de Marais tremblait légèrement, une longue ligne rouge écarlate le long de son dos. Il croisa le regard de son mentor et celui-ci y lu une excuse muette.
Mais alors Nuage de Groseille feula en montrant les crocs et bondit vers l’apprenti adverse qui l’esquiva, avant de la percuter sur le côté et de l’envoyer rouler au sol pour lui mordre l’oreille, en arrachant un bout de peau et faisant crier la petite chatte rousse.
Alors Nuage d’Averse recula, hésitant. Patte Flambante le vit chercher un de ses camarades aînés du regard pour tomber sur Griffe des Fougères qui lui cracha furieusement depuis l’autre côté du camp :
- Qu’est-ce que tu attends, cervelle de souris ?!
Alors, Nuage d’Averse s’avança, comme paralysée, Nuage de Groseille se recroquevilla sur elle-même. Nuage de Marais fit un pas en avant, comme pour venir l’aider, mais il s’effondra sur le sol, le sang coulant de son dos commençant à couler entre les poils de son flanc comme autant de rivières sanguinolentes.
Voyant Nuage d’Averse sortir les griffes, même si l’air toujours hésitant, Patte Flambante lui fonça dessus par derrière et, d’un puissant coup de patte, l’écarta de sa sœur. Il coinça le jeune félin gris sous lui et montra les crocs, un grondement s’échappa de sa gorge. Nuage d’Averse écarquilla des yeux à présent remplis de terreur et murmura quelque chose que le matou roux n’entendit pas dans le vacarme de la bataille. Mais il pouvait le deviner à l’expression terrorisée du jeune félin, c’était une supplication. Sans y faire attention, Patte Flambante abattit une de ses pattes sur le museau du mâle gris. Du sang gicla jusque sur le museau du félin roux et Nuage d’Averse poussa un cri de douleur.
- Rentre à ton camp ! lui ordonna Patte Flambante en s’écartant de lui.
Il se tourna ensuite vers son petit frère et fit signe à Nuage de Groseille de l’aider à le trainer à l’écart. C’est ce qu’ils firent, et ils le lâchèrent derrière la tanière des apprentis. Émergèrent alors d’un buisson Nuage de Santoline, Nuage de Cerise, Nuage de Buisson et Nuage Obscur.
- Nuage de Marais ! s’exclama la première.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Nuage de Groseille avec agressivité à sa sœur. Tu ne te bats pas ?
- Je… Souffle de Sable nous a ordonné de rester ici, je…
- Assez ! ordonna Patte Flambante. Souffle de Sable avait raison. Vous restez ici, je vais voir si je ne veux pas trouver Plume de Pierre ou Rose Blanche. Ne faites aucun bruit, et n’attirez surtout pas l’attention sur vous !
- Je peux aller les chercher. répliqua Nuage de Groseille.
- Trop dangereux, tu restes ici.
- Non ! protesta-t-elle en défiant son frère du regard.
- Si. cracha-t-il avec un début de colère et d’impatience, son clan avait besoin de lui par le Clan des Étoiles !
- Je ne me battrai pas. promit Nuage de Groseille. Je vais juste les chercher. Comme ça, toi tu peux continuer de chasser ces cœurs de renard !
Patte Flambante hésita, mais il finit par hocher la tête en signe d’assentiment et retourna d’un bond sur le champ de bataille après avoir vérifié que sa sœur prenait bien la bonne direction. Il remarqua alors Étoile de Tempête, étendu sur le sol et entouré par deux guerriers qu’il savait ennemis mais qu’il ne reconnaissait pas.
À vrai dire, il ne reconnaissait plus personne. Tous les museaux étaient flous, sauf ceux de ses camarades qu’il parvenait encore à reconnaître, pour la plupart. Mais peu importait, Patte Flambante se mit à courir vers son ancien mentor, mais fut percuté par une masse qui le jeta au sol et lui plaqua les épaules dans les terres à l’aide de ses pattes avants. Son pelage était brun, et tacheté. Il était un savant mélange de Griffe de Geai, Nuage de Groseille et Nuage de Marais, car il avait en effet la carrure du premier, les motifs de taches de la seconde, et la couleur du pelage du dernier.
- Où est-ce que tu vas comme ça ? lui demanda le matou d’un air mielleux.
- Oreille de Crapaud ! s’étrangla Patte Flambante.
Son adversaire le frappa violemment à la tête et Patte Flambante ferma les yeux le plus fort possible, comme si ça allait lui permettre d’échapper à tout ça. Mais quand il les rouvrit, son père était toujours là, son pelage brun et tacheté flottant dans le vent, son museau un peu aplati presque collé à celui de son fils, ses yeux bleus plantés dans les siens.
Ses yeux bleus ? Non ! Son père avait toujours eu les yeux dorés, comme Patte Flambante. Mais pourtant, là, ils étaient d’un bleu éclatant. Le félin roux cessa alors de sentir la terre sous lui, et les griffes enfoncées dans ses épaules. À présent il sentait à nouveau le contact chaleureux et agréable de la mousse de son nid. Il voyait toujours celui qui était son père sans l’être tout à fait, et le vit feuler.
Il te suffit d’ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux ?
Il cligna des yeux et se réveilla avec un sursaut de peur. Les attaquait-on ? Mais non. Une grande partie de ses camarades dormaient toujours, ou alors somnolaient sans lui prêter la moindre attention, et pas le moindre bruit de combat au-dehors, rien que le chant des oiseaux.
Le lieutenant se força à se lever. Il ne pouvait pas rester allongé là à ne rien faire, le soleil était lever, et donc lui aussi. Il devait trouver les camarades à qui il voulait confier les quatre patrouilles prévues. Il les chercha tout d’abord autour de lui, dans la tanière des guerriers, et en effet trouva sa mère, Flamme Cendrée, ainsi que Croc de Blaireau. Il leur indiqua à tous deux là où ils devaient patrouiller et qui ils devaient emmener.
Les deux guerriers hochèrent la tête sans protester, même si Flamme Cendrée inclina la tête sur le côté et lui demanda d’un air intrigué :
- Tu vas bien ? Tu m’as l’air un peu étrange… des mauvais rêves ?
- Oui je vais bien, ne t’inquiète pas. répondit Patte Flambante en ignorant délibérément la fin de la question.
- On en fait tous, tu sais. murmura sa mère en se levant et s’étirant. Il n’y a pas de honte.
- Je sais.
- Tu as parlé à Aile d’Ambre ? ajouta-t-elle un ton plus bas, bien que la concernée ne soit pas dans la tanière.
- Quoi ? s’étonna son fils.
- De son frère, de la bataille. Il faut que tu sois là pour elle, tu sais.
- Oui je lui ai parlé. maugréa Patte Flambante. Elle va bien.
- Tu l’aimes toujours ?
- Arrête ! s’exclama-t-il.
Flamme Cendrée ronronna.
- D’accord, désolée ! Mais tu ne me racontais rien quand tu étais apprenti, maintenant j’en profite.
- En tout cas une chose est sûre, maugréa Patte Flambante. Ça je n’aurais jamais dû te le dire.
Sa mère leva les yeux au ciel.
- Arrête ton cirque ! Elle t’adore ! s’exclama-t-elle avant de plisser les yeux et d’ajouter d’un ton railleur. Et tu es lieutenant maintenant… et guerrier accompli !
Elle finit sa phrase en fixant la cicatrice que son fils avait sous l’œil.
- Tu es insupportable. répliqua Patte Flambante sans pour autant pouvoir s’empêcher de sourire.
Flamme Cendrée se mit à rire avant de lui passer devant pour sortir de la tanière des guerriers. Après avoir attendu quelques minutes, Patte Flambante fit de même. Inspectant le camp du regard, il remarqua avec satisfaction que les réparations avançaient bien, les fortifications étaient presque finies et ils pourraient bientôt s’attaquer aux tanières. Le tas de gibier également était bien garni, mais il s’empêcha tout de même d’aller se chercher une pièce de viande, préférant en laisser aux blessés.
Le jeune lieutenant remarqua alors Aile d’Ambre assise non loin du tas de gibier, elle se léchait doucement l’épaule, le regard absent. Ne sachant pas vraiment à l’avance de ce qu’il allait lui dire, Patte Flambante s’avança vers elle.
Elle releva la tête en l’entendant arriver et lui sourit, sans perdre son air mélancolique.
- Tu vas bien ? lui demanda Patte Flambante en s’asseyant.
Elle hocha la tête.
- Et toi ?
- Moi aussi.
Un silence s’installa, le lieutenant du Clan de l’Ombre hésitait. Devait-il lui parler de Souffle de Sable ? Il n’avait pas abordé le sujet une seule fois depuis la veillée où il s’était contenté de rester à ses côtés. Il n’avait aucune idée de quoi lui dire, et craignait que ça ne paraisse forcé.
Aile d’Ambre finit par ronronner et lui dit :
- Tu as l’air nerveux ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Rien. répondit-il en se donnant un coup de langue sur le poitrail.
- Tu es allé voir ton frère ? demanda Aile d’Ambre.
- Mon frère ? s’étonna-t-il. Griffe de Geai ?
- Nuage de Marais ! Nuage de Bouvreuil m’a dit qu’il était allé le voir, et qu’il ne parlait que de retourner s’entrainer.
- Ah.. et bien, non, par encore. J’y vais tout de suite ! Je reviens. En attendant, est-ce que tu peux prendre Griffe de Geai, Nuage de Groseille, Nuage de Bouvreuil et Œil d’Ébène, s’il se sent assez en forme pour ça, et continuer les réparations des fortifications ?
- D’accord. répondit Aile d’Ambre avec un signe d’assentiment avant de se diriger vers la tanière des apprentis.
Patte Flambante l’observa un instant avant de prendre la direction de la tanière des guérisseurs. Sur le chemin, il croisa Pelage de Bruine et Flaque Sombre et il leur confia la patrouille de chasse en leur demandant d’emmener Nuage de Cerise et Nuage de Buisson.
Enfin, il entra. Rose Blanche ne se détourna pas de ses remèdes pour le regarder entrer et se contenta, pour l’accueillir, d’un simple et monocorde :
- Salutations Patte Flambante.
- Salutations. répondit le lieutenant. Je viens voir Nuage de Marais.
- Là-bas. lui indiqua la guérisseuse en lui montrant un nid tout proche de la paroi dans lequel était lové le petit matou brun.
Patte Flambante s’approcha de lui et lui effleura le front du bout de son museau pour le réveiller. Nuage de Marais tressaillit légèrement avant de lever des yeux ensommeillés et de bailler longuement. Il reconnut finalement son frère et mentor et ses yeux perdirent toute fatigue pour se mettre à briller d’excitation. Il s’exclama :
- Patte Flambante ! On va s’entrainer ?
- Certainement pas. cracha Rose Blanche qui avait abandonné ses remèdes pour se tourner vers le lieutenant et son apprenti. Son dos n’est pas encore totalement guéri, trop d’efforts et ça pourrait se rouvrir.
Le félin roux hocha la tête pour lui montrer qu’il avait compris et la guérisseuse retourna à sa tâche. Nuage de Marais, lui, s’était redressé dans son nid dés que la chatte blanche avait eu le dos tourné, et avait commencer à se plaindre dans un murmure :
- Je vais bien ! Je te le jure. Regarde.
Pour le prouver, il fit le dos rond, en étirant son dos encore balafré par l’apprenti du Clan du Tonnerre. Patte Flambante le vit légèrement grimacer de douleur mais l’apprenti se reprit aussitôt et fit bonne figure : avec un grand sourire, il lança :
- Tu vois ? Je ne saigne plus.
Patte Flambante leva les yeux au ciel et lui ordonna de se rallonger.
- Si Rose Blanche a dit non, c’est non. Elle sait mieux que nous.
- Tu parles. bougonna Nuage de Marais. Tout le monde meurt ici.
- Nuage de Marais ! cracha Patte Flambante pour le rappeler à l’ordre en jetant un coup d’œil inquiet à Rose Blanche qui heureusement n’avait rien entendu.
- Quoi ? persista l’apprenti. Plume de Pierre avait dit qu’Aile de Papillon allait facilement guérir, que ça prendrait un peu de temps mais que dans une demi-lune maximum elle irait mieux. Il meurt, et après Aile de Papillon aussi, alors qu’il avait dit qu’elle allait guérir.
- Qu’est-ce que tu insinues ? soupira Patte Flambante.
- Que peut-être Rose Blanche ne sait pas trop ce qu’elle fait. marmonna Nuage de Marais.
- Je suis sûr que si. affirma le félin roux. Arrête de te faire des nœuds au cerveau, on repartira bientôt à l’entraînement.
- D’accord… se résigna le novice. Mais… Patte Flambante ?
- Quoi ?
- Tu m’en veux ?
De l’inquiétude avait envahi le regard du jeune apprenti.
- Pourquoi est-ce que je t’en voudrais ? s’étonna Patte Flambante.
- D’avoir attaqué l’apprenti du Clan du Tonnerre avec Nuage de Groseille… si je ne l’avais pas fait je n’aurais pas été blessé.
- Tu as agi comme un guerrier. le rassura Patte Flambante. Et tu as été blessé, comme même le meilleur des guerriers peut l’être. Je ne t’en veux pas du tout. Ne t’en fais pas.
Nuage de Marais sembla se rasséréné d’un seul coup, et Patte Flambante commença à se diriger vers la sortie.
- Attends ! l’appela son jeune frère, et le lieutenant se retourna vers lui.
Le matou brun avait un air hésitant, et semblait sur le point de parler. Il sembla changer d’avis et secoua la tête.
- Non rien.
- Tu es sûr ?
- Oui !
Sur ce, Patte Flambante quitta la tanière des guérisseurs et rejoignit Aile d’Ambre, Griffe de Geai et leurs apprentis auprès des fortifications.
Chapitre 3[]
Le camp était animé par un semblant d’agitation qui n’avait plus été vu depuis la bataille. Pas de Renarde avait été habituée à une apathie pesante qui lui faisait mal au cœur, mais ce jour-là, ses camarades parlaient avec animation en petits groupes disséminés partout dans la combe.
La reine jeta un coup d’œil hésitant à ses enfants qui jouaient autour d’elle avant de prendre sa décision et de leur lancer :
- Je reviens, pas de bêtises, d’accord ?
- Ne t’inquiète pas Pas de Renarde ! Je les surveille. répliqua Petit Soleil d’un air très sérieux en se tenant bien droit dans une position qui faisait ressortir son poitrail blanc et le faisait encore plus ressembler à son grand-père.
Elle leva les yeux au ciel avec amusement et laissa ses fils et sa fille pour rejoindre Aile d’Ambre, seule non loin de l’arbre-promontoire. Ces temps-ci, Pas de Renarde ne pouvait s’empêcher de penser que sa sœur était bien trop souvent seule à son gout, depuis la mort de leur frère.
Pas de Renarde chassa le museau roux ainsi que les yeux verts et gentils de son esprit pour recentrer ses pensées sur Aile d’Ambre. Comme celle-ci n’avait pas l’air de l’avoir sentie arriver, la chatte tricolore lança, pour lui annoncer sa présence :
- Aile d’Ambre !
La chatte brun tigré sursauta et se tourna vers Pas de Renarde. Aile d’Ambre avait un air absent qui disparut dés qu’elle reconnut sa sœur et elle lui sourit d’un air tout à fait normal, mais plus tout à fait franc et prévenant comme il l’était auparavant.
- Pas de Renarde ! s’exclama Aile d’Ambre en se levant pour lui effleurer le museau avec affection. Tu vas bien ? Et tes chatons ? Ils ont l’air en tout cas !
Elle avait dit sa dernière phrase en observant les trois chatons qui s’étaient mis à se battre devant la pouponnière, le regard débordant de bienveillance.
- Ils vont bien. confirma Pas de Renarde.
Même si Petite Pomme prend son père pour monstre, que Petite Nacre ne me parle plus et que Petit Soleil va dormir avec Griffe de Geai presque toutes les nuits. Mais elle s’abstint de le dire… sa sœur n’avait pas besoin de ça, pas après les nombreux deuils auxquels elle faisait face depuis plusieurs lunes : d’abord Plume de Pie, puis Branche de Frêne, puis Brume Cendrée, et enfin Souffle de Sable. Leur frère. Auquel Pas de Renarde ne devait surtout pas penser. Elle le chassa une nouvelle fois de son esprit et sourit à Aile d’Ambre en ajoutant :
- Et moi aussi je vais bien. Et toi ?
La guerrière brune hocha la tête mais ne dit rien, et elle sentit sa présence flotter entre elles.
- Et… ajouta Pas de Renarde. Enfin, tu sais ce qu’il se passe ?
Elle engloba d’un large mouvement de la tête les petits groupes qu’avaient formés leurs camarades et l’agitation générale dans le clan.
- C’est la pleine lune ce soir. lui rappela Aile d’Ambre.
Pas de Renarde réalisa que c’était vrai, elle avait complètement oublié l’Assemblée. Étoile de Tempête allait-il vraiment les emmener sur l’île ? Là où serait à coup sûr les clans du Tonnerre et de la Rivière qui les avait décimés ? Qui accepterait de venir et de se retrouver face à ces meurtriers… ? À par Orage Noir, pour venger les morts de sa fille et de sa compagne, et d’autres guerriers aux intentions vengeresses.
- Il veut qu’on y aille ? demanda Pas de Renarde à sa sœur.
- Je ne sais pas. Patte Flambante est avec lui, je crois qu’ils parlent de ça.
Mais oui c’est vrai. Patte Flambante le lieutenant. Dés qu’elle pensait au nom du matou roux suivi de son nouveau grade, Pas de Renarde voyait systématiquement surgir dans son esprit un Patte Flambante chaton avec un pelage en pétard et d’immenses yeux ahuris comme il les avait toujours, avant. À l’époque où ils étaient chatons, où Griffe de Geai et Pas de Renarde étaient les meilleurs amis du monde, où Plume de Pie faisait partie du camp, où ils ne rêvaient que d’êtres apprentis, où le Clan de l’Ombre était le plus puissant de la forêt et où Souffle de Sable était en vie.
C’est alors qu’elle avait ces pensées macabres que le chef et le lieutenant du Clan de l’Ombre quittèrent la tanière sous l’arbre-promontoire, d’abord Étoile de Tempête, puis Patte Flambante, en partie dissimulé dans l’ombre de son ancien mentor.
Pas de Renarde et Aile d’Ambre firent face à l’arbre-promontoire et regardèrent leur père bondirent dans ses branches, pendant que Patte Flambante s’installaient sur les racines du pins, échangeant à l’occasion un regard avec Aile d’Ambre.
- Que tout ceux qui sont en âge de chasser s’approchent du promontoire pour entendre mes paroles !
Les félins de l’Ombre n’attendaient que ça, et s’amassèrent autour de l’arbre aussi vite que des oiseaux charognards autour d’un cadavre. Aile d’Ambre et Pas de Renarde étaient déjà suffisamment proches, aussi elles ne bougèrent pas. La reine tricolore jeta un coup d’œil à ses enfants pour vérifier qu’ils ne chahutaient pas trop alors qu’Étoile de Tempête s’apprêtait à parler, mais à sa grande surprise, Petite Nacre et Petite Nacre avaient cessé leurs jeux et semblaient attendre avec impatience les paroles de leur grand-père.
Où est Petit Soleil ? se demanda Pas de Renarde. Elle fit le tour de la combe du regard et vit entre le corps de deux de ses camarades filer le pelage roux et blanc de son fils. Elle n’avait pas besoin de le voir se blottir contre les pattes de Griffe de Geai pour savoir que Petit Soleil allait voir le guerrier tigré, aussi se détourna-t-elle. Ces démonstrations d’affection entre Griffe de Geai et son « fils » la mettaient bien trop mal à l’aise.
- Ils sont mignons. lui chuchota Aile d’Ambre à l’oreille.
Pas de Renarde sursauta et se tourna vers sa sœur.
- Quoi ?
- Ce n’est pas eux que tu regardais ? s’étonna la chatte brune.
- Qui ?
- Griffe de Geai et Petit Soleil ! Regarde.
À contrecœur, Pas de Renarde tourna la tête vers eux en tentant de ne pas trop laisser transparaitre son malaise. Griffe de Geai léchait le front de Petit Soleil à grands coups de langue affectueux et le chaton roux envoya un coup de tête contre l’épaule de son père.
Elle tenta d’ignorer le fait que quand c’était elle qui voulait lui faire sa toilette, son fils se dérobait à chaque fois, et tourna la tête vers l’arbre-promontoire où, heureusement, Étoile de Tempête avait commencé à parler, lui épargnant la dure tâche de répondre à Aile d’Ambre.
- Vous le savez sans aucun doute, disait le meneur. Ce soir c’est la pleine lune, je sais ce que vous vous demandez, et ma réponse est non : nous n’irons pas à l’Assemblée. Ni à celle-là, ni à la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que le Clan de l’Ombre soit de nouveau au mieux de sa forme ! Nous ne nous montreront pas affaiblis face à nos agresseurs.
Regardant ses camarades, Pas de Renarde vit que la grande majorité approuvait leur chef. Et elle-même était d’accord avec lui, même si elle n’y aurait de toute façon pas participé. Outre le côté humiliant d’apparaître faibles aux côtés des attaquants alliés contre eux, leur meneur devait surement craindre une esclandre due au ressentiment emmagasiné par l’un et l’autre camp.
- Et le Clan des Étoiles ? demanda alors Œil d’Ébène d’un air hésitant.
Le vétéran n’avait pas été épargné par la bataille et avait une longue balafre presque totalement cicatrisée qui lui traversait le flanc que l’on voyait bien malgré l’épaisse fourrure brune de son torse. Son regard vert sapin fit le tour de ses camarades, comme s’il se cherchait un soutien mais tous s’étaient déjà retournés vers Étoile de Tempête et attendait sa réaction.
- Je veux dire, continua Œil d’Ébène sans se démonter. Que… ils ont instauré cette règle dans le Code du Guerrier et…
- Je comprends. le coupa Étoile de Tempête. Et le Clan des Étoiles aussi comprendra que nous ne voulons pas accomplir la cérémonie du partage avec ceux qui ont tué tant des nôtres. Pour l’instant, le Clan de l’Ombre doit se centrer sur lui-même, pas s’ouvrir aux autres clans, nous devons panser nos plaies pour revenir encore plus fort qu’avant.
Œil d’Ébène hocha la tête, apparemment convaincu par les paroles de son chef et celui-ci, l’air satisfait, ordonna qu’on se remette à la reconstruction du clan à présent presque achevée, à la chasse, et à l’entraînement des apprentis.
Patte Flambante descendit des racines du pin et se dirigea vers les deux sœurs. Il s’assit à côté d’Aile d’Ambre et ils commencèrent à parler de tout et de rien. À son tour, Étoile de Tempête quitta l’arbre-promontoire, mais à la grande surprise de Pas de Renard, quand il vit ses filles il se dirigea vers elles.
- Salutations. leur lança en les rejoignant, et Pas de Renarde ne put s’empêcher d’être déçu par cette formule si impersonnelle.
- Salutation ! répondit Aile d’Ambre avec enthousiasme, et sa sœur l’imita.
- Vous allez bien ?
- Oui. répondit la chatte tricolore, gênée par cette attention soudaine.
- Et les chatons ? demanda Étoile de Tempête en regardant Petite Pomme et Petite Nacre devant la pouponnière, puis en tournant la tête pour observer Petit Soleil, toujours avec Griffe de Geai.
- Ils vont bien. répondit-elle. Au fait, j’aimerai te parler.
- Je t’écoute.
- Seuls, s’il te plaît…
Le meneur la dévisagea avec étonnement avant de lui faire signe de la suivre.
- Tout va bien ? demanda Aile d’Ambre à sa sœur, qui hocha la tête.
Pas de Renarde emboita le pas à son père, sentant sur elle les regards intrigués de Patte Flambante et Aile d’Ambre et percevant vaguement leurs murmures interrogateurs, elle se demanda qu’est-ce qui lui avait pris. Pendant un instant, elle avait voulu parler de la véritable ascendance de ses chatons à son père, mais à présent elle y repensait et sentait l’angoisse lui étreindre le cœur. Et s’il réagit mal ? Et s’il nous chasse du clan ? Qu’il l’annonce à tout le monde et qu’ils finissent écartés ?
Elle se glissa sous les racines de l’arbre-promontoire et s’assis en face d’Étoile de Tempête, droite comme un i.
- De quoi est-ce que tu voulais me parler ? lui demanda Étoile de Tempête.
Mais Pas de Renarde hésitait encore. Elle ouvrit la gueule, prête à poser une question sans importance pour se dérober, puis la referme et prit encore quelques secondes pour réfléchir. Lui-même a eu un fils avec une chatte d’un autre clan… il n’y a pas de raisons qu’il me chasse, et puis je suis sa fille.
- C’est… à-propos de mes chatons. se lança-t-elle.
Sans pouvoir se retenir, Pas de Renarde se donna un coup de langue nerveux sur l’épaule et balaya le sol de sa queue. Elle fixa encore quelques secondes le sol, observa le bout de la patte avant droite de son père qu’elle pouvait voir, puis, toujours sans le regarder, continua :
- Griffe de Geai… enfin, Griffe de Geai n’est pas leur père.
Elle attendit qu’Étoile de Tempête réagisse, mais il ne dit rien. Elle jeta un coup d’œil furtif vers son museau et vit qu’il la fixait. Il eut un petit mouvement de tête et ordonna :
- Continue.
- Leur père est… c’est Éclat de Grès, du Clan de la Rivière. Quand j’ai su.. quand j’ai su que j’attendais des petits, on a parlé et on était d’accord pour qu’ils grandissent ici, Griffe de Geai est au courant et il était d’accord.
Maintenant qu’elle avait avoué, Pas de Renarde n’arrivait plus à s’arrêter de parler, elle voulait absolument expliquer à son père les raisons de ses actes.
- Je suis désolée. acheva-t-elle. Je sais que je n’aurais pas dû et…
- Ne t’en fais pas, la coupa Étoile de Tempête. Je ne t’en veux pas, comment est-ce que je pourrais te blâmer de ça de toute façon ? J’ai gardé l’identité de ton frère secrète pendant des lunes sans en parler à personne, jusqu’à ce qu’il décide lui de rejoindre le clan.
- On… bredouilla Pas de Renarde. On est en guerre contre le Clan de la Rivière, ils nous ont attaqués.
- Ce n’est pas Éclat de Grès qui a pris cette décision, si ? Je comprends ce que tu ressens, mais je ne suis pas sûr que ce soit également de cas de tous nos camarades, alors n’en parle à personne, d’accord ? Et… ce sont tes chatons, mais évite de leur en parler tout de suite.
Pas de Renarde, d’abord rassurée par ces paroles et comprenant que son père ne lui en voulait pas et que personne ne serait au courant, le dévisagea en entendant ces dernières paroles. Pourquoi ? Comprenant qu’elle attendait une explication à son conseil Étoile de Tempête s’expliqua :
- Branche de Frêne a appris que j’étais son père quand il n’avait que deux lunes, il ne me l’a pas dit comme ça, mais je crois que ça lui a fait beaucoup de mal de me voir à chaque Assemblée, sans qu’il ne puisse venir me voir. Et encore, lui c’était différent, dés sa naissance il se sentait exclu de son clan car il pensait que son père était un chat domestique. Alors que tes chatons ont un père, et sont parfaitement intégré au clan.
- Je ne veux pas leur mentir… lâcha Pas de Renarde dans un souffle.
Le regard d’Étoile de Tempête se durcit, mais il semblait faire un effort pour se contrôler lorsqu’il lui répondit :
- Fais-le pour eux, ce ne sont que des chatons et si tu le leur dis maintenant ils n’arriveront pas à garder le secret, en parleront à leur mentor lorsqu’ils seront apprentis, et alors tout le clan sera au courant.
- Je devrais bien leur dire, un jour.
- Un jour, oui. Ou pas. Ça, ce sera à toi de voir. - D’accord. murmura la reine tricolore, même s’il savait déjà qu’un jour elle serait bien obligée de leur parler de leur père. Je vais y aller… ils vont s’inquiéter sinon.
Étoile de Tempête hocha la tête et Pas de Renarde se releva pour se diriger vers la sortie.
- Attends. la rappela son père, et elle s’arrêta net. Tu n’en as parlé à personne ?
Elle secoua la tête.
- Non.
- Même pas à ta ses sœurs ?
- Non, même pas à elles.
- D’accord, c’est bien, surtout n’en parle à personne.
Chapitre 4[]
Qu’est-ce qu’elle fait ? se demanda Griffe de Geai en sentant la panique lui étreindre le cœur. Pas de Renarde venait d’entrer dans la tanière d’Étoile de Tempête à la suite de son père, et elle avait le même air que si elle avait été sur le point de vomir… Est-ce qu’elle va tout lui dire ? songea le guerrier du Clan de l’Ombre en baissant des yeux remplis d’inquiétude sur Petit Soleil.
- Papa je peux monter sur ton dos ? demandait le chaton, qui n’avait rien remarqué.
- Non ! Moi ! protesta Petite Nacre.
Griffe de Geai ne l’avait même pas entendu arriver, sans doute à cause du bruit de l’Assemblée qui se dissolvait. Et il n’avait pas non plus entendu sa sœur, Petite Pomme, qui avait pourtant suivi son frère.
- Griffe de Geai, demanda la petite chatte blanche. Il a dit quoi Étoile de Tempête ?
- Tu n’as pas entendu ? lui répondit Petit Soleil à la place de son père. Il a dit que personne de notre clan n’irait à l’Assemblée !
- Pourquoi ? s’étonna Petite Nacre.
- À ton avis cervelle de souris ! cracha Petit Soleil. Parce que ce sont tous des meurtriers !
Son frère ne répondit rien et s’abima dans la contemplation du sol.
- Ce n’est pas tout à fait ça, intervint Griffe de Geai. Le Clan de l’Ombre est tout à fait capable de se défendre, le soir de la bataille nous avions été pris par surprise, et le soir de la pleine lune est une trêve de toute façon. Mais Étoile de Tempête ne veut pas nous montrer affaiblis face à nos attaquants. Et tout le monde n’aurait pas accepté de venir.
- Comment ça ? s’étonna Petite Nacre.
- Ils ont peur d’eux ? s’exclama son frère.
- Certains, peut-être.
- Toi aussi ? s’étonna le chaton au pelage roux et blanc.
- Non, ronronna Griffe de Geai. Pas moi, qu’un seul guerrier vous fasse du mal et je lui arrache la tête.
- C’est dégoutant ! protesta Petite Pomme.
- Je peux monter sur ton dos maintenant papa ?
- Tu ne perds pas le nord toi, n’est-ce pas ? demanda le guerrier tigré à Petit Soleil en se penchant vers lui.
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Ça veut dire…
Griffe de Geai perçut alors du mouvement provenant de l’arbre-promontoire, et donc de la tanière d’Étoile de Tempête. Il se retourna vivement, terrifié à l’idée de voir le meneur en sortir, remonter dans l’arbre-promontoire et révéler à tous leur mensonge et surtout l’identité des trois chatons.
Mais ce n’était que Pas de Renarde, le guerrier s’apprêtait à foncer droit sur elle mais Petit Soleil le relança :
- Alors ? Ça veut dire quoi ?
- Je t’expliquerai, je reviens tout de suite, d’accord ?
- D’accord. marmonna le chaton roux et blanc avant de vite retrouver son enthousiasme et de se tourner vers son frère et sa sœur pour les défier d’arriver plus vite que lui de l’autre côté du camp.
Griffe de Geai se dépêcha ensuite de rejoindre Pas de Renarde avant que celle-ci n’atteigne Aile d’Ambre et Patte Flambante.
- Attends ! lui lança-t-il une fois qu’il fut juste derrière elle.
Elle se retourna et le dévisagea avec exaspération.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Tu lui as parlé des chatons ? attaqua-t-il immédiatement.
- Tu m’espionnes maintenant ?
- Non ! Je t’ai juste vu entrer dans la tanière d’Étoile de Tempête après l’Assemblée… Alors ?
- Oui. répondit-elle sèchement. Je lui ai dit la vérité.
Les pires craintes du guerrier se confirmèrent et la panique l’envahit. Même si cette possibilité était restée dans le coin de son esprit, il n’aurait jamais cru que Pas de Renarde allait réellement tout révéler à son père. Surtout après la bataille, et ce que leur avait fait le Clan de la Rivière.
- Tu n’aurais jamais dû faire ça ! feula-t-il, tentant de cacher sa panique sous de la fureur.
- Griffe de Geai… commença-t-elle mais il la coupa immédiatement.
- C’était une décision à prendre tous les deux !
Ses griffes étaient sorties et creusaient des entailles dans le sol, il jeta un bref coup d’œil vers les trois chatons qui couraient dans tout le camp, Petite Nacre en tête, suivi d’un Petit Soleil furieux et d’une Petite Pomme ennuyée un peu en retrait. Était-ce la dernière fois qu’il les voyait jouer avec autant d’insouciance ? Étoile de Tempête allait-il décider de tout dire au reste du clan ? Ou pire, de les bannir ?
- Griffe de Geai ! reprit Pas de Renarde, avec plus de force cette fois. Écoute-moi, tout va bien. Étoile de Tempête ne s’est pas énervé, il m’a juste dit de ne le dire à personne.
Le guerrier tigré étouffa un soupir de soulagement, mais presque aussitôt la colère revint à la charge et il gronda :
- Et qu’est-ce que tu aurais fait si ça n’avait pas été le cas ?
Pas de Renarde haussa les épaules, et sa désinvolture mit le guerrier de l’Ombre dans une rage plus grande encore.
- Tu n’es qu’une inconsciente ! siffla-t-il. Ils auraient pu être bannis, et nous avec ! Tu ne peux pas les mettre en danger juste pour soulager ta conscience, d’autant plus que le clan a besoin de guerriers avec ce qu’il s’est passé !
La chatte rousse, jusque-là plutôt calme, se crispa immédiatement et fusilla celui qui se faisait passer pour son compagnon du regard avant de chuchoter furieusement :
- Ce que tu oublies, c’est qu’ils ne seront peut-être jamais des guerriers du Clan de l’Ombre ! S’ils le souhaitent une fois adultes, ils rejoindront leur père.
- Je suis leur père ! protesta-t-il vivement.
Elle le dévisagea et Griffe de Geai réalisa que cette fois il était allé trop loin, Pas de Renarde n’était pas encore prête à accepter cette vérité. Elle se détourna et commença à s’éloigner.
- Attends, je suis désolé ! se força-t-il à dire.
- C’est ça. feula-t-elle sans s’arrêter, ni même se retourner.
Elle retourna auprès de sa sœur et de Patte Flambante qui regarda son frère d’un air curieux. Griffe de Geai évita son regard doré et s’éloigna à son tour, laissant la colère l’envahir à nouveau il s’assit dans un coin du clan et regarda un instant ses deux fils se battre, avant de laisser son regard dériver jusqu’à Pas de Renarde qui parlait à Aile d’Ambre. Il détourna les yeux, il espérait juste qu’elle ne serait pas idiote au point de tout révéler à sa sœur et au matou roux.
- Griffe de Geai !
Le matou tigré se retourna en entendant qu’on l’appelait et vit sa jeune sœur et apprentie Nuage de Groseille trottiner vers lui.
- On va s’entraîner ? demanda-t-elle avec enthousiasme.
- Si tu veux ! répondit son mentor, se disant qu’un entrainement lui ferait sans doute oublier la dispute avec Pas de Renarde, ou qu’elle lui changerait au minimum les idées pour quelques heures.
Le guerrier se releva et déclara :
- Combat ?
- Oui ! répondit-elle avec ardeur. Ça fait un temps fou qu’on n’en a pas fait !
Griffe de Geai acquiesça, c’était vrai, suite à la bataille, ils avaient tous les deux été très pris par la reconstruction du camp qui ne laissait que peu de place à l’entraînement. Et même une fois les réparations achevées, la priorité restait la chasse, car une bonne partie de leur camarade était encore blessés et incapables de chasser. Mais à présent, tout était revenu à la normal.
- Viens. dit-il à son apprentie en commençant à se diriger vers la sortie du camp.
Nuage de Groseille le suivit et se mit même à trottiner, sortant du camp avant lui. Elle tourna la tête vers Griffe de Geai qui lui dit d’un air amusé :
- Je suis toujours là.
La chatte rousse leva les yeux au ciel et recommença à marcher, la queue s’agitant dans l’air avec un mouvement de balancier.
- On va où ? demanda-t-elle.
Il réfléchit un instant avant de décider :
- Simplement dans la pinède, j’ai une idée d’entraînement. Éloignons-nous juste encore un peu, pour ne pas croiser toutes les patrouilles.
- D’accord ! lança Nuage de Groseille en accélérant encore un peu.
- Il n’y a pas le feu, tu sais !
Après encore quelques minutes de marche, ils atteignirent un coin de la pinède dans lequel leur camarade n’allait presque jamais. C’était un coin comme un autre de la pinède, mais c’est là que Griffe de Geai décida de s’asseoir, ramenant sa queue sur ses deux pattes avants. Nuage de Groseille lui tourna autour en le dévisageant. Au bout de quelques secondes sans que son mentor n’ai rient dit, elle demanda :
- Alors ?
- Alors quoi ? demanda Griffe de Geai avec un sourire amusé.
- On fait quoi par le Clan des Étoiles !
- Moi ? Rien. Je vais rester tranquillement ici, et fermer les yeux…
- D’accord, et moi ?
- Toi, tu t’éloignes un peu et tu essaies de t’approcher de moi sans que je ne t’entende arriver.
- Ce n’était pas si dur de m’expliquer ! s’exclama Nuage de Groseille. C’était vraiment nécessaire de me faire attendre aussi longtemps ? Surtout que ce n’est pas vraiment un entraînement au combat !
- J’aime soigner mes mises en scène. répliqua Griffe de Geai.
- Ça marche que quand on a du charisme. se moqua-t-elle, et son frère reteint à grand peine un éclat de rire. Et répond-moi, pourquoi tu m’as dit que c’était un entraînement au combat ?
- C’en est un, expliqua patiemment Griffe de Geai. Ça, ce n’est que la première étape. Une fois que tu seras capable de m’approcher sans te faire surprendre, on fera évoluer et on passera au combat. Allez, oust maintenant !
- Je vois. marmonna Nuage de Groseille sans protester davantage tout en disparaissant entre les pins.
Il ferma les yeux et déploya tous ses autres sens, il sentait le vent frôler ses moustaches, ses pattes dans la terre, l’odeur des pins et celle de son apprentie toujours présentes autour de lui, elle ne s’était pas éloignée depuis suffisamment longtemps pour avoir disparu. Il devait donc compter sur son autre sens : son ouïe. Il ouvrit grand les oreilles et entendit une branche craquer quelque part derrière lui.
- Je t’ai entendue ! lança-t-il.
Il entendit Nuage de Groseille pousser un juron qu’elle n’apprécierait sûrement pas qu’il répète à Flamme Cendrée, puis le son de ses pas diminua à nouveau, même s’il les entendait toujours.
- J’entends tes pas ! lança-t-il, toujours les yeux fermés, il faut que tu marches tout doucement, en effleurant à peine le sol.
- T’es malin toi ! riposta-t-elle. C’est facile à dire quand on a rien d’autre à faire qu’écouter !
Après ça il ne l’entendit plus, elle avait compris et marchait à pas de velours sur le sol de la pinède. Le matou tigré l’entendit frôler doucement un buisson :
- Je t’ai entendue ! lança-t-il une nouvelle fois. Encore ! Fais attention à ce qu’il y a autour de toi.
Nuage de Groseille ne répondit rien et à nouveau il ne l’entendit plus. Son cerveau commença alors à divaguer vers la récente dispute avec Pas de Renarde. Maintenant qu’il avait pris un peu plus de recul sur la situation, il sentait la colère enfler en lui, et sa queue tressaillit sur le sol. Il en avait assez. Assez qu’elle le traite comme un être odieux et manipulateur alors que c’était lui qui lui avait sauvé la mise en devenant le père officiel de Petit Soleil, Petite Pomme et Petite Nacre. Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même ! enragea-t-il. Elle n’avait qu’à rien me demander et se débrouiller toute seule comme une grande. Mais maintenant qu’elle lui avait fait cette demande et qu’il avait accepté, il avait bien son mot à dire dans sa décision de tout révéler à Étoile de Tempête, car ça aurait pu avoir des répercussions sur lui aussi ! Ce sera qui, le prochain dans la confidence ? songea-t-il en réprimant un grondement. Les chatons eux-mêmes ? Elle en serait bien capable...
- Je t’ai eu ! s’exclama Nuage de Groseille en posant sa truffe contre le flanc de son mentor.
Griffe de Geai tressaillit vivement et ouvrit brutalement les yeux. Perdu dans ses pensées, il avait complètement oublié où il se trouvait, et qu’il était en plein entrainement.
- Tu ne m’as même pas entendue arriver ! se vanta l’apprentie avec un grand sourire et des yeux brillants.
- C’est vrai. marmonna son frère.
- Alors on passe au vrai combat ?
- Pas encore : on va d’abord vérifier si tu peux recommencer !
- Évidemment ! s’exclama la petite femelle rousse avant de trottiner et de se glisser entre deux pins.
Griffe de Geai referma les yeux et chassa loin de son esprit ses chatons et Pas de Renarde, bien décidé à être le plus concentré possible et à ne plus laisser sa petite sœur gagner aussi facilement…