Wiki Vos histoires de LGDC
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Résumé[]

Rat est un jeune chat errant vivant dans la forêt, près de la frontière du Clan de l'Ombre. Comme tous les félins sauvages, il a apprit une seule chose : La loi du plus fort. C'est comme ça qu'il voit tout sa famille tuée sous ses yeux. Commence alors pour lui un long exil, ou il luttera nuit et jour pour sa survie. Ses pas le conduiront alors dans un endroit... pour le moins inattendu. Mais le passé n'est jamais vraiment oublié...

Dédicace[]

Je dédicace ce livre, cette longue aventure à Aube Éclatante. Sans elle et ses encouragements, je n'aurais jamais trouvé la motivation nécessaire pour écrire la suite de cet immense cycle, qui n'en est pourtant qu'à la moitié de son écriture ! Malgré, hélas, son absence dans les commentaires, et le fait qu'elle n'ait terminé et ne terminera sûrement jamais ce livre ainsi que la longue aventure qu'elle m'a motivée d'écrire, je lui dédicace tout de même cette fiction, qui, sans elle, n'aurait jamais vu le jour.

Je dédicace aussi ce livre à vous tous, chers lecteurs, sans vous non plus, vos encouragements, vos commentaires (légèrement sadiques pour certains) et surtout, votre présence et générosité, je n'aurai sûrement jamais eu le temps de terminer cette grande aventure de notre très cher Rat.

Bref, merci à vous tous !!! ^^

Histoire[]

Prologue[]

Un calme presque irréel baignait la forêt. Même les oiseaux n’osaient plus chanter de peur de troubler le silence. Un immense félin doré s’approcha silencieusement d’une petite chatte qui venait d’achever une maigre souris. La seule proie qu’elle avait réussie à trouver en cette mauvaise saison. Hélas, elle n’allait pas pouvoir y goûter une seule bouchée, car le chat errant avait lui aussi vu cette proie. Le mâle couleur or sortit silencieusement de sa cachette, la petite femelle de l’avait pas encore vu.

« Tiens, tu as du gibier pour moi ? » Grogna-t-il en dévoilant ses crocs.

La jeune chatte sursauta et se retourna. Dès qu’elle vit son interlocuteur, son cœur faillit cesser de battre à jamais. Lion… Pensa-t-elle. L’odeur de sa peur devenait de plus en plus forte, ce qui augmentait la joie de son adversaire.

« P-pre-prends-le ! Bégaya-t-elle. Il est à toi !!!

- Mais c’est la moindre des choses ! » Ricana Lion.

La petite chatte ne perdit pas une seconde, un battement de cœur plus tard, elle avait disparu. Avec un faible ronronnement, le matou doré dégusta la souris. Il m’a fallu un moment avant d’obtenir cette réputation, mais grâce à mon ancien mentor, tout le monde me craint, tout le monde est à ma merci !

« Tu devrait te méfier des jeunes… » Grogna une nouvelle voix.

Lion fit volte-face et sortit les griffes. Qui osait interrompre son repas ?! Un vieux matou gris possédant une patte en moins se tenait devant lui.

« Qui es-tu ? Cracha le chat errant. Et en quoi ces misérables chatons devraient me faire peur ?

- Un jour, tu vieilliras, et ces mêmes chatons pourraient bien causer ta perte…

- Tu te prends pour une de ces cervelles de mousse qui disent faire partie d’un Clan ?

- Non, je ne crois pas à leur prétendu Clan des Étoiles, ni à leurs stupides croyances… Mais je… Répondit l’ancien avant de s’interrompre, les yeux fixant le vide un moment avant de changer de couleur, un noir d’encre, comme un trou sans fond. Un jour naîtra un chaton, un chaton qui te tuera, Lion. Si tu ne prends pas garde, dans deux saisons du Grand Jour, tu seras mort… »

Le vieux matou gris s’effondra au sol, la respiration sifflante. Mais le félin doré n’était guère intéressé par son état. Il reconnaissait la voix qu’il venait d’entendre et le regard de son interlocuteur. Son ancien mentor avait prit possession du vieux chat, comme il le faisait si souvent. Mais cette fois, il avait annoncé à Lion que sa mort serait proche.

Chapitre 1[]

Rat banda ses muscles, prêt à bondir. Il plissa les yeux se concentrant sur la seule chose qui comptait pour lui. Un simple écureuil maigrelet qui grignotait un gland. Il faut qui je l’attrape. D’un bond prodigieux, le petit chat sortit de sa cachette, et atterrit en plein sur sa proie. D’un coup de griffe bien ajusté, il l’acheva. Seulement, le chat noir était dans une clairière. À découvert. Le poil hérissé de panique, il fonça se cacher dans un buisson de ronces. Malgré les épines qui griffaient chaque parcelle de son pelage noir-jais, il continua de s’enfoncer. J’ai été imprudent… Se figeant, le chat aux yeux dorés se concentra sur le bruit autour de lui, l’écureuil toujours dans la gueule. En lui, la panique continuait d’enfler. On dirait que je ne suis pas repéré. Myrtille va être contente, j’ai de quoi manger ! Cette fois, Rat ne put s’empêcher de lâcher un petit ronronnement de plaisir, sa mère allait être fière de lui ! Lentement et surtout silencieusement, il s’extirpa de sa cachette et commença à marcher. La petit chat se remémora pour l'énième fois le chemin qu’il devait suivre. D’abord zigzaguer entre les pins, puis, tourner en rond dans les marécages. Et finalement, filer à l’arbre creux. Enfin, Rat vit la silhouette de l’arbre mort au loin, il accéléra le pas, puis se mit bientôt à courir. J’ai réussi !!! Tout fier de lui, le jeune chat arriva chez lui, son écureuil pendant victorieusement dans sa gueule. Alors qu’il allait rentrer dans l’arbre, une masse brune lui sauta dessus et le plaqua au sol.

« Prend l’écureuil ! Je te le donne !!! Hurla le petit chat noir d’une vois aiguë.

- Calme toi cervelle de souris ! Grogna une voix provenant de l’arbre creux. Tu vas attirer tous les chats de la forêt à hurler comme ça !

- Ha ! Rat la cervelle de souris a peur ! Miaula l’agresseur.

- Lâche moi Mouche, ce n’est pas drôle ! Répliqua Rat.

- Si, ça l’est ! Répondit son frère.

- Mouche, rapporte-moi l’écureuil et lâche ton frère ! » Cracha Myrtille en sortant la tête de la tanière.

Tout fier de lui, le chat brun et noir arracha sa proie au jeune félin et l’apporta victorieux à sa mère. Pourquoi faut-il que je sois si petit ! Rouspéta intérieurement le chat aux yeux dorés. Ce n’est pas juste que les plus forts soient les plus nourris ! Ils devraient aider les plus faibles !!! Le chat noir-jais se releva péniblement et se roula en boule sur les racines dures de l’arbre creux. Plus qu’a attendre que Mouche et Myrtille aient fini de manger… J’espère que je pourrai avoir les restes cette fois. En poussant un long soupir, il ferma les yeux, et attendit que le sommeil vienne.

Chapitre 2[]

De nouvelles odeurs félines assaillirent les narines de Rat. Il lâcha son faisan sous le choc. Un groupe de quatre chats était passé récemment dans les environs, et bien trop près de l’arbre creux au goût du jeune matou. Sans se soucier du sort de sa proie ou du bruit qu’il faisait, le petit félin noir de jais fila à toute vitesse vers sa tanière. Myrtille, tiens-bon ! Hurla-t-il intérieurement. D’un bond, il sauta par dessus un tronc couché, mais évalua mal la distance et s’écrasa dans les fougères. Malgré ses coussinets tout égratignés, Rat se releva et continua sa course. Seulement, il dérapa sur des pierres couvertes de boue et s’étala dans un petit ruisseau. D’après sa mère, pendant la Saison des Nuages, il pouvait parfois déborder et inonder tout les marécages, mais maintenant, en pleine Saison du Grand Jour, le cours d’eau n’était même pas assez profond pour qu’un chaton puisse se noyer dedans… Un souvenir amer inonda l’esprit du petit chat noir. C’était quand il jouait près de ruisseau avec Mouche, sa mère les surveillait, mais elle regardait surtout comment ses chatons se défendaient. Le frère de Rat n’avait pas arrêté d’essayer de le noyer pendant toute la journée, depuis, quand le jeune félin se retrouvait dans l’eau, ce triste souvenir revenait le hanter. Il faut que je sois fort, pour Myrtille. Une vague de regret l’envahit. Elle veut avoir des chatons qui deviendront des survivants, pas des faibles comme moi… Le chat aux yeux dorés secoua la tête pour chasser ses mauvaises réminiscences. Myrtille et Mouche sont en danger ! Ce n’est pas le moment de me plaindre !!! Je suis vraiment ingrat, Myrtille m’a élevé et nourrit, jamais je n’aurais pu vivre une aussi belle et paisible vie !!!!! D'un bond, Rat se remit sur pattes et fonça vers l’arbre creux. Quelques minutes plus tard, il déboulait dans la petite clairière.

«- Myrtille !!! S’époumona le chat noir-jais. Où es-tu !?

- Arrête de hurler, cervelle de puce, je ne suis pas sourde et tu vas attirer tous les chats de la forêt ! Grogna sa mère en sortant de sa tanière, Mouche sur les talons.

- Il est où le gibier ? Feula son frère d’une voix bourrue.

- J-je… V-vous allez bien… Haleta Rat, encore essoufflé par sa course.

- Où est le gibier ? Cracha Mouche en griffant son frère au museau.

- Je l’ai laissé… Répondit-il, honteux.

- À la merci de n’importe quel chat errant ?! Hurla Myrtille en sautant sur son fils pour le plaquer au sol.

- C… c’est que j… j’ai… Parvint à articuler le petit félin noir alors que la mère avait posé une patte sur sa gorge, lui coupant la respiration. I-il y a d-des c-chats…

- Des chats ? Où ? Demanda-t-elle en le libérant.

- J’ai sentit des chats près d’ici, j’ai cru qu’ils nous avaient trouvés…

- Et tu as filé ici directement pour nous prévenir ?

- Oui…

Hélas, pile au moment où Rat prononçait ce mot, quatre félins imposants sortirent de la pinède pour encercler la famille. Le premier était le plus immense, il possédait un pelage doré avec deux yeux ambrés, mais le plus impressionnant chez lui, en plus de ses nombreuses cicatrices, était une énorme entaille ressemblant à une griffure à côté de son œil qui était pourtant indemne. La seconde et la troisième devaient être deux sœurs, car elles possédaient la même fourrure noire, avec les mêmes mouchetures brunes sur les pattes, jusqu’aux oreilles déchirées exactement pareilles. Enfin, le quatrième chat boitillait et possédait un pelage gris foncé et des yeux bleus-gris, mais Rat découvrit avec horreur qu’il possédait une patte en moins.

« Tu les as ramenés ici ! Cracha Myrtille en fusillant son fils du regard.

- Je suis désolé… Répondit-il.

- Je ne veux pas de tes sales excuses, espèce de cœur de renard, va-t’en, tu n’es plus mon fils, tu vas me le payer ! »

À ces mots, la chatte noire se jeta sur le matou doré. Mais les deux sœurs lui sautèrent dessus en parfaite synchronisation. Rat s’aperçut alors que l’une des deux possédait les yeux verts alors que l’autre avait les yeux bleus. La première plaqua Myrtille au sol et la seconde interrogea son chef du regard. Le matou doré lui ordonna d’un mouvement de queue d’achever la pauvre chatte. La femelle noire aux yeux bleus s’approcha, mais un félin au pelage brun et noir lui sauta dessus en poussant un miaulement outré. Mouche ! Rat s’approcha pour aider son frère, que son assaillante maîtrisait déjà, mais le regard assassin que lui lança sa mère le fit reculer. Plus personne ne prêtait attention au jeune chat noir-jais. Il se tapit au sol, et recula silencieusement. Enfin, le félin aux yeux dorés atteignit un épais bosquet de fougères et s’y cacha, il osa finalement lever les yeux vers l’horrible scène qui se déroulait devant lui. Mouche était maintenant débarrassé de son assaillante, mais Myrtille… La mère de Rat gisait dans une flaque de sang devant le félin doré. Était-elle encore en vie ? Le petit chat détourna le regard pour observer son frère tandis qu’il avait l’impression que son cœur se déchirait. Mouche s’inclinait avec soumission devant le chat doré, puis, sans prévenir, fit volte-face et s’enfuit. Le chat gris voulut le rattraper, mais avec une patte en moins, il ne put y faire grand-chose.

« Lion… Demanda l’une des deux sœurs. Devons-nous le rattraper ?

- À quoi bon ? Répliqua le matou doré. Il ne survivra jamais seul, vous l’avez bien entendu, il est habitué à ce que ce soit son pauvre frère qui lui apporte à manger, tel un sale chat domestique ! C’est lui qu’il faut trouver, et bien sûr, éliminer… »

Chapitre 3[]

Le sang de Rat se figea des ses veines. Ils veulent ma mort… Il chercha en vain les raisons qui pouvaient pousser ce groupe -non, cette bande- à vouloir sa mort, mais ne trouva rien à part une seule pensée : Il faut que je m’en aille d’ici, et vite. Pendant toute son enfance, Myrtille n’avait pas arrêté de critiquer le petit chat noir tantôt sur sa taille, tantôt sur sa férocité -qui d’après elle était comparable à celle d’une souris-, mais il comprit que les moqueries incessantes de sa mère et de son frère l’avaient endurci. N’importe quel chat ‘‘normal’’ aurait été figé sur place, incapable de penser après avoir entendu de telles déclarations, pourtant, pour le félin aux yeux dorés, tout allait parfaitement bien, même mieux que d’habitude, comme si une partie de lui s’était enfin réveillée. Il n’avait pas peur d’aller affronter ses adversaires, mais son instinct lui conseillait de partir. Alors, comment faire ? Je ne peux pas me permettre de courir, le bruit les alerterait aussitôt… Le jeune chat inspira profondément, mais silencieusement. Si seulement une partie de lui ne lui soufflait pas qu’il ne pourrait échapper éternellement à cette bande, cette bande d’assassins ! Enfin, si Myrtille est morte… J’aurais juré l’avoir vue respirer ! Elle doit faire semblant d’être morte. Quand les autres seront partis, je suis sûr qu’elle en profitera pour filer !!! Cette stratégie était du Myrtille tout craché ! Et puis, après, Rat pourrait retourner vivre avec elle ! Non… C’est moi qu’ils veulent, que Lion veut. Myrtille et Mouche ne seront jamais en sécurité tant que je serais auprès d’eux… Donc, je dois partir. Le jeune chat évalua ses chances de s’en sortir. Devant lui, les deux sœurs commençaient déjà à le pister. Il n’avait aucune chance de survie s’il partait silencieusement, donc lentement. Le félin aux yeux dorés évalua ses adversaires. Lion était le plus imposant d’entre eux, et d’après la marque de respect que semblaient lui montrer les autres chats, c’était leur chef. Les sœurs que Rat avait décidé surnommer Bleue et Verte possédaient toutes deux de puissantes épaules et étaient plutôt fines, ce qui devait les avantager lors des courses en terrain découvert, mais elles ne possédaient pas la carrure pour les slaloms. Et enfin, le chat gris devait avoir le même rôle que le petit matou noir-jais avec sa mère et son frère car, sans compter sa patte en moins, ses muscles étaient plutôt développés, comme après des centaines de parties de chasse. Bon, je n’ai plus le choix… Lentement, il fit demi-tour et, sans perdre une seconde, fonça bruyamment droit devant lui. Myrtille m’a toujours dit de ne jamais me rendre au grand arbre au bout de la plaine, si la simple idée de se rendre là-bas la terrorisait, je pense qu’il y a une chance que la Bande n’ose pas m’y suivre…

« Il est là-bas ! » Hurla une voix qui devait appartenir à Bleue ou Verte.

Des bruits de course talonnèrent bientôt Rat. Il risqua un coup d’œil derrière lui avant de contourner un buisson de fougère. Les deux sœurs le suivaient. Très bien, maintenant, je dois donner tout ce que j’ai ! Le jeune chat se mit à slalomer entre les pins, mettant en difficulté ses poursuivantes. Mais elle ne lâchaient pas prise, et la plaine était déjà en vue… Le petit félin fonça dans un buisson épineux et en ressortit le pelage en feu, mais Bleue et Verte n’avaient pas pris la même peine, elle avaient juste sauté par-dessus aussi facilement que l’on saute sur proie. Hélas, Rat arrivait à l’orée de la forêt. Il sentit le souffle chaud de l’une des chattes sur sa queue, le terrain les avantageait à présent.

« Attention, il fonce vers l’arbre ! » Cria la sœur la plus éloignée.

Je ne peux pas abandonner si près du but ! Le petit chat sentit le soleil de midi lui réchauffer le pelage tandis que ses muscles commençaient à le brûler. Puisant dans les dernières réserves d’énergie que le désespoir lui donnait, il fonça. L’arbre était maintenant à dix longueurs de queue de renard de lui… Plus que six… quatre… trois… deux… une ! Seulement, alors qu’il allait dépasser le grand arbre, un poids le percuta violemment. Bleue l’avait rattrapé. Rat roula au sol, tentant de se débarrasser en vain de son agresseuse, mais elle était entraînée, et il n’avait aucune chance. Le chat noir entendit plusieurs miaulements différents ainsi que le bruit des pas de Verte qui approchait. Il ferma les yeux. Sa gorge était exposée, il ne suffirait que d’un mouvement de patte à ses agresseuses pour enfin l’achever, et elles n’hésiteraient pas. Le félin aux yeux dorés inspira profondément et se prépara dignement à mourir.

Chapitre 4[]

Tout se passa extrêmement vite, il y eut des feulements agressifs, puis des bruits de pas. Et un seul miaulement. Un seul… Mais qui changeait tout.

« À l’attaque ! Et pas de quartier !!! »

Aussitôt, le poids de Bleue disparut. Mais Rat de bougea pas, autant adopter la stratégie de Myrtille. Mais comment se fait-il qu’il y ait d’autres chats près du grand arbre ? C’est alors que le félin noir comprit. Il y a des chats. Et c’est ça qui effrayait Myrtille, d’autres ennemis ! Il ne bougea pas, même quand un autre félin fut projeté contre lui. Puis, le petit chat entendit les miaulements minables de Bleue et Verte.

« C’est ça, filez, sales cœurs de renardes ! Gronda une nouvelle voix. Et surtout, que l’on ne vous revoie plus ici !!! »

Devinant que ses agresseuses étaient parties, le cœur de Rat se remplit de joie. Je suis vivant ! Du moins, pour le moment… Les autres chats pourraient m’échanger à Lion contre une souris… Ou même me tuer…

« Hé, il y en a un autre ! Remarqua un nouveau félin.

- On dirait qu’il est mort…

- Non, je l’ai vu se débattre tout à l’heure. Annonça la voix de la chatte qui avait lancé l’attaque. On devrait l’emmener voir Queue Brune.

- Pour le soigner ? Répliqua le deuxième d’une voix remplie de mépris. Belle Aube, c’est une blague ?!

- Pelage de Glace, parle moi sur un autre ton, et oui, nous ferions mieux de le soigner. Regarde-le bien, il allait se faire tuer !

- Très bien, lieutenant… Cracha le dénommé Pelage de Glace d’une voix amère. Mais Étoile Rousse ne risque pas d’apprécier !

- Étoile Rousse lui fait confiance, sinon, ce serait toi qu’il aurait nommé lieutenant. Répliqua le chat qui croyait Rat mort quelques secondes plus tôt.

- Merci Pelage de Chêne. Répondit Belle Aube. Devrions-nous le ramener au camp ?

- Non, les deux chattes de tout à l’heure pourraient revenir avec des renforts. Et nous ne sommes que quatre…

Rat se crispa. Ils sont quatre au total… Et il y en a d’autres, Étoile Rousse et Queue Brune… Donc six chats, ou plus ! Le félin aux yeux dorés se releva aussitôt et fonça vers la forêt. C’est ma seule chance. Seulement, un chat blanc lui bondit dessus et le plaqua au sol.

« Tu croyais t’en sortir comme ça ? J’espère que non, car personne ne rentre impunément sur notre territoire. »

Le petit chat noir profita de son temps de répit pour observer ses adversaires. En plus du matou blanc, il y avait un chat gris clair, une femelle gris foncé aux yeux turquoise et une très jeune chatte rousse qui possédait encore un peu de son duvet de chaton. Le félin noir-jais remarqua qu’elle possédait aussi une sorte de cataplasme sur son œil qui était gonflé, comme après une blessure infectée…

« Qui es-tu ? Demanda la femelle aux yeux turquoise, qui devait-être Belle Aube.

- Je ne vois pas pourquoi je vous répondrais. Répliqua l’intéressé, imitant le ton méprisant de Myrtille.

- Nous t’avons sauvé la vie, tu nous dois bien ça. Répondit-elle, prenant de vitesse Pelage de Glace qui ouvrait déjà la gueule.

- Je m’appelle Rat.

- Bonjour, Rat. Que fais-tu sur notre territoire ?

- Votre territoire ? Répéta-t-il.

- Oui, le grand arbre juste à côté marque la frontière. Tu ne le sais pas ?

- Non, mais maintenant, si ! Je ne fais que passer…

- Pourquoi ces deux chattes errantes te poursuivaient ? L’interrogea Pelage de Chêne.

- Je ne sais pas… Répondit le petit chat noir.

- Tu ne sais pas ?! Se moqua Pelage de Glace. Sans blague ! Elles allaient te tuer, et toi tu ne sais pas pourquoi ?!

- Oui ! Répliqua Rat. Leur groupe veut me tuer. Vous aussi, vous faites partie d’un groupe ?

- Nous sommes le Clan de l’Ombre. Dit Belle Aube. Et nous allons te raccompagner jusqu’à la ville des bipèdes. Là-bas, le groupe qui veut ta mort ne pourra te retrouver.

- Mais pourquoi ?! Lâcha la jeune chatte rousse, prenant pour la première fois la parole.

- Nuage Orangé, ne contredis pas les ordres. Répliqua Pelage de Chêne. Il ne manquerait plus que tu deviennes insolente… Un Pelage de Glace, c’est déjà assez !

- Nuage Solitaire ! Répliqua le matou blanc. N’oublie pas que mon apprentie a demandé à changer de nom. Et je ne vois absolument pas ce que tu sous-entends !

- Hum… Intervint la chatte aux yeux turquoise. Nous devons ramener ce jeune félin en sécurité, pas nous disputer.

- Étoile Rousse ne va pas apprécier… » Grommela une nouvelle fois le vieux chat.

Chapitre 5[]

« N’importe quoi ! Cracha un rouquin, le poil en bataille. Il est à moi !

- Je le traquais avant toi ! Répliqua un félin gris. Tu as profité de ma ruse pour l’attraper !

- Et ? Lança-t-il. C’est moi qui l’ai attrapé ! De toute façon, tu es bien trop gros pour attraper une souris si elle passait juste sous ta truffe !!!

- Hé bien, le gros va te faire ta fête ! Tu vas regretter d’être né !!! »

D’un bond, le chat couleur pierre se jeta sur le rouquin. Celui-ci fut obligé de lâcher le maigre pigeon qui faisait l’objet de la dispute pour se défendre. Les deux combattants roulèrent ensembles dans la boue. Le volatile était maintenant sans surveillance. Rat lui fonça dessus, profitant du combat comme diversion. Il sauta sur un tas d’ordure de bipède, et franchit une clôture. Le félin se retrouva dans un jardin, en face d’une vieille bâtisse abandonnée. Sans oser marquer un temps d’arrêt, il fonça dans la maison, pataugeant dans les flaques, comme si Bleue et Verte l’avait enfin retrouvé. Le chat noir-jais se tapit le plus possible contre un mur, profitant de l’abri du toit. Depuis trois jours, il pleuvait sans interruption. Joyeux retour de la Saison du Grand Jour ! Pensa amèrement Rat. Il s’aida d’une planche, grimpa le sur toit et s’engouffra dans un trou dans l’ardoise pour pénétrer dans une pièce poussiéreuse. Le chat noir expira longuement et se détendit enfin. Il se coucha sur un vieux tas de chiffons et commença à déguster son pigeon. J’ai l’impression de n’être qu’un sale chat errant. Digne de Lion et sa bande ! Depuis des lunes et des lunes, je passe mon temps à voler les proies et me faire voler les miennes. Rat arrêta un instant son repas. Cela faisait quatre saisons qu’il errait sur le territoire des bipèdes… La forêt me manque… Mais elle est bien trop dangereuse… Il ferma les yeux, se remémorant les derniers bons souvenirs de son ancienne maison. Il y en a une autre… Le félin noir se remit lentement à manger. Il y a plusieurs lunes, j’ai entendu dire qu’il existait une autre forêt… Mais si ça se trouve, elle n’existe même pas… Son repas terminé, il se roula en boule dans son nid, réfléchissant à la meilleure possibilité. En partant, il se lancerait dans un long voyage périlleux, où il faudrait traverser tout le territoire des bipèdes à la recherche d’un endroit qui n’existe peut-être pas. Mais en restant, il serait tout aussi en danger, entre les monstres, les autres félins, les chiens, les maladies, la famine, il y avait de quoi avoir peur. Sinon, il existe une troisième option… Rat secoua a tête pour chasser cette idée. C’était officiellement la pire idée de tous les temps ! Lion n’est pas le genre de chat qui abandonne facilement. Si je reviens dans la forêt, je viens réclamer ma mort. Et tout ce qui s’est passé jusqu’à présent n’aura servit à rien ! Il repensa à la gentillesse du Clan de l’Ombre. Tous les chats qui prétendaient avoir rencontré des clans racontaient qu’il mangeaient d’autres félins et étaient mille fois plus monstrueux que des blaireaux. Le Clan de l’Ombre n’est pas comme ça. C’est tout simplement un groupe de félins qui s’entraident pour survivre. Tous les chats y ont leur place, même Nuage Solitaire après sa blessure à l’œil ! Ne trouvant pas le sommeil, le félin au yeux dorés se releva et regarda le ciel par une fente de la toiture. D’après les chats errants, il n’existe aucun Clan près de l’autre forêt. Je pense que c’est ma meilleure chance. Rat s’aperçut soudain que quelque chose clochait. Le bruit. La ville était toujours bruyante, très bruyante, mais là, on entendait à peine les monstres défiler sur les chemins du tonnerre. Il sortit en trombe par une ouverture et grimpa sur le toit encore glissant. La pluie s’est arrêtée !!! Le chat noir-jais ronronna de plaisir. Très bien, ma décision est prise !


Le monstre passa en trombe éclaboussant d’une boue noirâtre Rat qui frissonna. Maintenant ! Profitant de l’ouverture, le chat errant fonça sur le chemin de pierre noire. Mais alors qu’il dépassait la bande blanche, un autre monstre apparut au loin. Mais pire, contrairement aux autres, celui-ci de faisait pas de bruit. Le jeune chat voulut faire demi-tour, mais une autre créature, cette fois bruyante, au pelage métallique fit son apparition. Je suis coincé ! Tentant le tout pour le tout, Rat fonça droit devant lui, mais alors qu’il ne se trouvait qu’à une longueur de la fin, le monstre silencieux poussa un rugissement tonitruant et percuta le chat noir de plein fouet. Le félin aux yeux dorés se retrouva au sol, tous les muscles de son corps le faisant souffrir. C’est alors qu’il vit la patte de son agresseur. Une immense patte ronde d’un noir d’encre… Qui fonçait droit vers lui. Le temps semblait ralentir autour de Rat, et le membre du monstre se rapprocher de plus en plus de lui. Il voulut se relever, mais il en était incapable, et savait qu’il n’aurait jamais le temps de s’enfuir. C’est ici que tout s’arrête… La patte ronde était maintenant à une oreille du félin, et c’est à ce moment qu’elle s’immobilisa. Quoi ?! Le temps n’avait pas semblé ralentir, c’était en réalité le monstre qui essayait de s’arrêter. Il y eut alors un bruit, comme une branche qui casse, et deux pattes apparurent. Un bipède vient de sortir de ventre du monstre ! C’est alors que la créature se baissa et regarda Rat. Le solitaire tenta de se relever pour lui échapper, mais n’eut pas le temps de bouger un seul membre, le bipède l’avait déjà attrapé. Mais lâche-moi ! Je ne suis pas un chat domestique !!! Le félin noir gesticula dans tous les sens, essayant d’échapper à son "sauveur", mais il n’arriva à rien à part pousser un miaulement pitoyable.

« Gré ayet eboné ! Lâcha l’étrange créature à deux pattes.

- Mais je te demande de me lâcher !!! » S’époumona Rat.

En guise de réponse, le bipède le serra contre sa poitrine et se mit à le caresser. Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?!??!! Le chat noir se débattit encore, mais l’étrange créature tient bon, puis, il s’avança vers le monstre et ouvrit un trou dans son ventre. Alors pour ça, tu peux toujours rêver ! JE NE RENTRERAI JAMAIS LÀ-DEDANS !!!!!!!! Mais le bipède ne savait sûrement pas lire dans les pensées, car s’approcha encore plus de la bête grondante. Le chat errant planta ses griffes dans la fourrure bleutée de son kidnappeur et s’accrocha à elle. Pas question qu’il rentre dans le monstre, autant rester agrippé à la bête à deux pattes. Mais celui-ci ne devait pas posséder de fourrure très épaisse car il poussa un petit cri de surprise et lâcha Rat. Le matou noir profita de l’ouverture et courut droit devant lui. Il atteignit enfin le bord du chemin du tonnerre, et se retourna. Le bipède le regardait, puis agita sa patte en s’engouffra dans le ventre du monstre. Le chat aux yeux dorés regarda la bête s’éloigner lentement sur une clôture, deux nids plus loin. Ces bipèdes sont vraiment bizarres… Mais, quand il voulut avancer, il dérapa et s’écrasa dans l’herbe. Il se releva en grommelant avant de se figer. De l’herbe ?! Rat regarda autour de lui stupéfait. Il se trouvait dans une immense pinède. Et bien, je viens de la trouver, cette fameuse forêt !


Chapitre 6[]

D’un bond, Rat sauta par dessus un buisson. Il ne prit même pas la peine de s’arrêter quand il dérapa dans la poussière, ni quand il lacéra sa queue contre des ronces. C’était une course pour sa survie. Derrière lui, le matou noir entendait le bruit de pas de ses quatre poursuivants. De plus en plus proche… Aucune cachette possible, rien que d’immenses pins dont les premières branches étaient beaucoup trop haute et de maigres buissons. Et de toute façon, même si le solitaire envisageait de se cacher, l’odeur de sa peur le trahirait aussitôt. Il faut les semer ! Puisant dans ses dernières forces, Rat accéléra, mais la seule chose qui changea c’est qu’il entendait maintenant les miaulements excités de ses poursuivants. Si seulement c’étaient des chiens, ou même des monstres ! Je pourrais facilement brouiller ma piste en zigzaguant entre les pins ! Ravalant un pur miaulement de désespoir, le félin aux yeux dorés tint inexorablement bon. Mais il n’était qu’une proie, et les quatre chasseurs se rapprochaient de plus en plus. Rat avait tout essayé depuis qu’il les avait senti. Quand, déjà ? Je chassais, non ? Il avait slalomé entre les arbres, avait sprinté en ligne droite, tenté de monter dans un pin, perdant alors le peu d’écart qu’il avait gagné avec ses poursuivants. Mais maintenant, c’était trop tard. J’ai eu tort de croire que je serais en sécurité dans la forêt… C’est leur territoire… Le solitaire était à peine arrivé dans la pinède, et voilà qu’il était poursuivi, n’ayant pour seule issue que la fuite. Mais le territoire des bipèdes était introuvable, cela faisait au moins un lever de soleil -ou plus, il avait perdu toute notion du temps- que Rat courrait sans oser faire la moindre pause entre les pins qui se ressemblaient tous. Sa gorge était sèche, ses muscles en feu, la faim plantait ses griffes glacées en lui, la tête lui tournait, pourtant, il avait tout juste assez d’énergie pour fuir. Ça doit être ce que l’on appelle l’énergie du désespoir… Le félin tenta une nouvelle fois d’accélérer, mais il se cogna contre un immense pin qui ne se trouvait pas là un instant plus tôt. À moins que mes yeux ne me jouent des tours… Il se releva, la truffe en feu, et tenta de contourner l’arbre, mais un autre lui bloquait la route. Le chat noir fit volte face, à la recherche d’une éventuelle sortie, mais tous les arbres étaient collés les uns contre les autres, bloquant toutes les issues possible. Enfin, pas toutes, il restait l’endroit par où Rat était entré. Mais quatre félins lui bloquait le chemin. Deux mâles et deux femelles. Deux brunes et noires, un gris et un doré.

« Non… Gémit le solitaire, reculant jusqu’à se retrouver contre l’écorce rugueuse de l’arbre le plus proche.

- Hé si… » Feula Lion en s’approchant lentement de lui.

C’est alors que Rat remarqua deux détails, pour le moins inattendus. Les yeux des quatre félins n’étaient pas de leur couleur habituelle. Ils n’étaient pas ternes, mais juste noirs. D’un noir profond, comme un trou sans fond. Mais si on observait bien, on pouvait distinguer plusieurs nuances de couleurs, comme les flaques de poison à l’odeur âcre au bord des chemins du tonnerre. Et il y avait aussi la voix. Une voix étrange, en même temps aiguë et grave, douce et forte, sympathique et agressive. Impossible de savoir si Lion lui parlait comme un ami ou un ennemi. Rat senti son pelage se hérisser tandis qu’un sentiment de malaise s’emparait de lui. C’est alors que les yeux du matou doré changèrent brusquement de couleur pour redevenir de leur teinte brune originelle. Le solitaire remarqua qu’il était arrivé exactement la même chose à sa bande. Bleue et Verte étaient à nouveau distinguables.

« Écoute-moi bien. Reprit le félin doré, au début avec toujours la même voix étrange, mais qui passa rapidement à celle de Lion. Tu as beaucoup de chats à ta recherche. Je te propose un marché.

- Un marché ?! Répéta Rat avant de se reprendre. Non merci, ça ne m’intéresse pas, pas question de marchander avec celui qui a attaqué ma famille !

- Tu ne vaux pas mieux que Lion, lui aussi m’a déçu… Grommela son interlocuteur, soudain beaucoup moins agressif, sa proposition devenait d’un coup extrêmement tentante.

- Lion ? Demanda le félin noir, résistant à grand peine de supplier à l’étrange chat de conclure ce fameux marché avec lui. Tu n’es pas Lion ?!

- C’est la forme que ton esprit m’a donné dans ce rêve, tout simplement. Miaula-t-il visiblement amusé par cette question. Vu que tu ne crois pas au Clan des Étoiles, je n’arrive pas à te contacter autrement !

- Le Clan des Étoiles ? C’est un autre Clan, comme le Clan de l’Ombre ???

- Et bien, tu n’es pas si ignorant, pour un chat errant ! Ronronna-t-il. Pour voir le Clan des Étoiles, il te suffit juste de lever la tête la nuit.

- Les étoiles ?! Comprit Rat. Tu veux dire que ce clan vit carrément dans les étoiles ?!

- Tu es aussi très futé ! Le Clan des Étoiles est composé des esprits des chats morts des Clans, libre à toi d’y croire ou non.

- Tu crois sincèrement que je vais gober ces histoires de chatons !? S’exclama le solitaire, complètement stupéfié par la "stupidité" de ce qu’il venait d’apprendre.

- Comme je le disais, libre à toi d’y croire ou non. Lança son interlocuteur. Je te laisse réfléchir à ma proposition. Si tu veux me recontacter, il te suffira juste d’amener une proie en offrande dans une clairière de nuit et de dire : J’offre cette proie au pouvoir des étoiles.

- J’offre cette proie au pouvoir des étoiles ? C’est une blague, j’espère ! »

Mais quand Rat voulut regarder l’étrange félin, il ne vit qu’un immense pin. Le cercle d’arbres avait disparu, la Bande de Lion et son interlocuteur aussi.


Chapitre 7[]

On ne pouvait pas qualifier le réveil de Rat de violent, mais on ne pouvait pas non plus l’appeler agréable. Il se réveilla aussitôt sorti de son rêve, et en oublia l’endroit où il dormait. Un épais bosquet de fougère couvert de ronces. Après de longues minutes à se dépêtrer dans les épines, le chat noir parvint à s’en extirper, couvert de la tête à la queue d’égratignures.

« Argh ! Pesta-t-il. Mauvaise idée de nid, cet endroit ! »

Rat soupira et entreprit de faire un brin de toilette pour retirer les épines restantes de sa fourrure épaisse. C’est alors que son rêve lui revint en mémoire. J’offre cette proie au pouvoir des étoiles, quelle blague ! Un songe tout droit sorti de mon imagination !!! Pourtant, sans savoir pourquoi, il savait que c’était vrai, ce drôle d’ami avait réussit à le contacter en rêve. Un ami ?! Non, mais qu’est-ce qu’il me prend ! Il a quand même pris l’apparence de Lion et m’a poursuivi dans la pinède avec la Bande au complet !

La queue de Rat balaya avec nonchalance la sol, soulevant un fin nuage de poussière. Mais il peut m’aider. Il peut me débarrasser de la Bande de Lion ! Il se donna un petit coup de patte sur la tête, interrompant sa toilette. MAIS QU’EST-CE QU’IL ME PREND ! Je suis amoureux de lui ou quoi ? À moins que ce ne soit une femelle, impossible à savoir avec sa drôle de voix… Rat soupira et se remit sur pattes, bien décidé à profiter de la forêt et de son gibier. Mais alors qu’il contournait le buisson où il avait dormi, un souvenir le frappa de plein fouet.

À l’époque, le chat noir n’avait que deux lunes seulement. C’était l’une de ses premières parties de chasse. La veille, quand il était rentré bredouille, Myrtille lui avait lacéré le museau et Mouche l’avait harcelé de coups de griffes jusqu’à ce que son frère soit aussi rouge que noir. Le Rat de l’époque s’était déjà remis de la plupart, mais ignorait qu’une plaie à l’épaule s’infecterait et faillirait le tuer. Mais, pour le moment, le petit félin devait trouver à manger pour sa famille.

« Mais je ne sais pas chasser ! S’était-il plaint devant sa mère. Comment veux-tu que j’attrape quelque chose si je ne sais même pas comment on fait ! Apprends-moi ! Tu sais chasser !!! Et pourquoi Mouche ne m’aide pas !?

- Cesse de poser toutes ces questions stupides ! Avait-elle craché. Ton frère est le plus fort, il doit apprendre d’une autre façon, d’une meilleure façon ! Pour ne pas devenir un sale rat comme toi !!! »

Le lendemain, bien avant l’aube, Myrtille l’avait chassé de sa tanière et ordonné de ne revenir que quand il aurait trouvé du gibier. Ce souvenir était resté gravé dans l’esprit du chat noir parce que, ce jour-là, il avait compris deux choses. La première, d’où venait son nom. Et la deuxième, qu’il ne fallait jamais, au grand jamais faire confiance aux autres.

En effet, alors qu’il chassait, il avait rencontré une jolie chatte d’une vingtaine de lunes qui avait eu pitié de lui et donné une proie qu’elle disait avoir attrapé plus tôt. Rat, encore un chaton naïf, l’avait acceptée, puis, après avoir recouvert cet écureuil de terre, il avait suivit en cachette sa "sauveuse". Caché dans un buisson, il l’avait espionnée et vu comment elle chassait.

Le félin avait ensuite appliqué ses techniques, avec une seule idée en tête : impressionner Myrtille. Peu de temps après, il avait réussi à attraper une petite musaraigne. C’était la tête haute qu’il était rentré à l’arbre creux, ses deux prises dans la gueule. Le jeune félin avait cru à un retour héroïque, Mouche et Myrtille acclamant son nom et ses talents de chasseurs dans toute la forêt. Mais le silence aurait été bien mieux.

Sa mère lui avait d’abord reproché son retard, mais ce n’était rien comparé à ce qu’il s’était passé ensuite. Moins d’une lune plus tard, la belle femelle avait débarqué dans leur camp. Et le pire, c’était ce qu’elle leur avait demandé.

« Pendant une lune, j’exige recevoir une proie par lever de soleil. Avait-elle ordonné. Vous avez une dette envers moi ! »

Mais Myrtille qui, à ce moment-là, n’était pas de sa plus bonne humeur, ne prit pas la peine de lui répondre. Elle lui avait sauté à la gorge et l'avait tuée de sang froid. Puis, comme si de rien n’était, sa mère était repartie se coucher dans sa tanière en marmonnant.

Quoi que te proposent les autres, cela aura toujours une contrepartie. Une contrepartie bien plus grosse que ce qui a été proposé. Enfin revenu à la réalité, Rat s’effondra au sol. Il avait l’impression d’avoir de nouveau vécu ce douloureux souvenir. Cette réminiscence qui le hanterait jusqu’à la fin de ses jours.

« Je refuse. Murmura-t-il. Jamais je ne pourrais te faire confiance. Pas tant que je ne connais pas tes exigences… »


Chapitre 8[]

Deux levers de soleil. Cela faisait deux levers de soleil. Deux levers de soleil que Rat était arrivé dans la pinède, que l’étrange félin l’avait contacté. Chaque fois qu’il attrapait une proie, cette phrase lui revenait encore et toujours en tête, comme une bourre de poils qui ne quitte jamais son pelage. J’offre cette proie au pouvoir des étoiles… Une phrase dont la signification était encore et toujours inconnue au félin noir. Mais que signifie ce fameux pouvoir… Le pouvoir des étoiles… Je me demande si cela a un rapport avec le Clan des Étoiles… Rat s’étira lentement, essayant de ne pas faire trop chauffer ses muscles. Ce jour-là, le soleil de midi était tellement brûlant que le solitaire était surpris que son pelage soit encore intact. Heureusement que j’ai quitté cette horrible ville de bipèdes ! À l’ombre des pins, il fait beaucoup plus frais !

C’est pile à ce moment-là qu’un écureuil choisit de débarquer. Un écureuil plutôt dodu, qui fonçait droit devant-lui en couinant. Enfin, juste avant, il se trouvait dans l’un des grands arbres, mais il avait dut avoir envie de dire un petit bonjour à Rat. Manque de chance, ce Rat-là était un chat. D’un coup de patte bien ajusté, le félin noir lui brisa la nuque, puis se mit à fixer sa proie tout droit sortie de nulle part. Ce n’est pas normal… Il tendit l’oreille, à la recherche du chasseur qui aurait pu traquer cet écureuil, mais le seul son qu’il parvint à entendre fut le bruit des aiguilles de pins déplacées par une brise chaude.

« Voilà un sacré coup de chance ! Murmura le chat aux yeux dorés. Je ne savais pas les écureuils aussi stupides ! »

Mais, l’écureuil n’était pas stupide, loin de là. Un poids venu de nulle part percuta d’un coup Rat, qui s’écrasa au sol. Puis, son agresseur prit sa proie entre ses crocs et la tira vers lui. Seulement, le félin noir avait planté fermement ses griffes dedans. À bout de patience, et sentant Rat se relever, son agresseur lui donna un coup de patte dans les coussinets. Étrangement, sa tactique fonctionna, et les griffes du solitaire se rétractèrent, laissant l’écureuil libre, et lui, complètement sonné. Puis, son agresseur disparut aussi vite qu’il était apparu, sa proie avec lui. Rat se releva péniblement et regarda autour de lui : à part une odeur féline inconnue, rien n’avait bougé. Je rêve ou quoi ?! Il n’a pas pu disparaître comme ça ! C’est alors qu’il leva la tête, et croisa le regard d’une jeune chatte. Celle-ci se trouvait en haut d’une branche, son écureuil sous une patte et fixait le matou noir avec une étincelle d’amusement dans son regard rouge-orangé.

« Hé ! Miaula-t-il. C’était ma proie !

- Plus maintenant ! Répliqua la chatte brune d’un ton sarcastique.

- C’est bon, je te la donne, il y a assez de gibier pour tout le monde ici. Dit le solitaire.

- Tu n’es pas du coin. Remarqua l’inconnue déroutée par cette dernière phrase. Mais que tu veuilles reprendre cet écureuil ou non, tu n’aurais aucune chance contre moi !

- Tu as quel âge ? Six lunes ? Répliqua-t-il piqué au vif. Et puis, je ne vois pas pourquoi tu me reproches de venir d’un autre endroit, vu que toi aussi, tu es une étrangère. »

Rat avait lancé cette dernière phrase au hasard, mais la réaction de la jeune chatte confirma son hypothèse. Celle-ci rabattit les oreilles en arrière et, après un regard assassin au chat errant, prit son écureuil dans la gueule et sauta sur un pin voisin.

« Attends ! S’écria-t-il en la suivant au sol, malgré la chaleur insoutenable. Qui es-tu ? Comment t’appelles-tu ?

- Qu’est-ce que tu en as à faire ? Répliqua la chatte aux yeux rouge-orangé en s’arrêtant un instant. Un nom ne définit pas qui nous sommes, pas plus que nos origines ! »

Rat en resta stupéfait. Il ne chercha même pas à poursuivre cette jeune chatte, conscient que la poursuivre n’arrangerait pas les choses. Il y a un truc qui ne tourne pas rond dans son passé. Le matou noir se glissa à l’ombre d’un pin, dans un creux formé par ses racines, profitant de la fraîcheur. Mais il ne put pas se poser plus d’un vingtaine de battements de cœur qu’un nouveau félin vint à sa rencontre.

« Laisse tomber. Murmura une chatte inconnue. Tu perds ton temps avec Nuage Rouge. Soit elle t’griffera le museau, soit elle partira avant même que t’ais pu poser ta question. C’est pas faute pour moi d’avoir essayé, c’est une vraie cervelle d’blaireau ! »

Le chat errant se redressa d’un coup, et sortit les griffes. En face de lui se trouvait une solitaire l’air plus vieille que lui d’une ou deux saisons, mais qui n’en restait pas moins bien plus petite. Comparée aux pins, elle devait faire plus ou moins la taille de Myrtille, ce qui troubla le félin. Aurais-je grandi à ce point ? Il chassa ces pensées d’un mouvement de queue, pour le moment, il devait se concentrer sur son interlocutrice. Une seconde inattention, et Rat se retrouverait la gorge tranchée. La femelle possédait un pelage en bataille et un museau plat, légèrement moucheté. Sa fourrure grise faisait ressortir ses yeux gris-bleu, dans lesquels brillait une étincelle de fatigue qu’elle essayait de masquer. Manque de chance, le chat errant avait appris comment connaître les intentions des autres bien avant qu’ils ne lèvent la patte. Et là, la chatte grise semblait aussi tendue que lui, l’air de se demander si elle ne devrait pas faire demi-tour et retourner se mettre à l’abri avant de se faire tuer. Rat remarqua un léger mouvement de sa queue qui trahissait son hésitation, tandis que la position dans laquelle étaient ses pattes semblait dire que si elle devait fuir, ce serait en direction du cœur de la pinède. Attends… Se dit-il. Elle vient de dire que cette chatte brune s’appelle Nuage Rouge, avec "Nuage" devant son nom, comme Nuage Orangé, cela signifierait-il qu’elle fait partie d’un Clan ?

« Bien, alors, t’as perdu ta langue ? Miaula la femelle grise.

- Non, mais… Qui… Qu’est-ce que… Bégaya Rat complètement pris au dépourvu.

- Moi, c’est Furie ! Répliqua la chatte aux yeux bleus. Ne t’demande pas pourquoi, mes parents avaient dû manger une souris pas fraîche le jour d’choisir mon nom ! Et toi ?

- Et pourquoi te le dirais-je ? Miaula le chat errant, imitant le ton hautain de Nuage Rouge.

- Pff… Soupira Furie. Vous êtes vraiment tous des chatons ici ! J’vais t’appeler Noiraud, vu que t’es tout noir. Bon, bien, suis moi ! »

À ces mots, la femelle grise se dirigea vers le cœur de la pinède. Voyant que Rat ne la suivait pas, elle se retourna et lui fit comprendre d’un mouvement de queue de se dépêcher.

« Ben alors ? T’attends la prochaine saison des Feuilles Nouvelles ou quoi ?

- La saison des Feuilles Nouvelles ? Répondit le chat noir. Qu’est-ce que c’est ?

- La saison qui suit les saisons froides, là où il y a plein de neige et pas de gibier, cervelle de souris ! Répliqua-t-elle, exaspérée. Bon, on y va ?

- Où ? Miaula le chat errant.

- Ben au camp, bien sûr ! »

Chapitre 9[]

« Et v’là ton nouveau chez toi ! Annonça Furie en montrant du bout de la queue un épais buisson de houx.

- Mon nouveau chez moi ?! » Répéta Rat, ne comprenant pas en quoi ce bosquet, guère accueillant, serait son nouveau foyer.

Pendant ce qui avait semblé une éternité au jeune chat, les deux félins avaient marché en silence, traversant la pinède entière. Le matou noir s’était déchiré les coussinets contre les petites pierres qui étaient apparues au fil du temps, d’abord en fine quantité, puis assez nombreuses pour torturer les pattes. Après un très long un moment de marche dans ces gravats, où la chatte grise lui avait fait faire tellement de détours qu’il était impossible pour le félin aux yeux dorés de se repérer dans ce labyrinthe d’arbres uniformes ; ils se trouvaient enfin devant cet épais buisson, compressé entre deux grosses pierres qui semblaient avoir jailli du sol. Furie soupira, exaspérée.

« Apprends à regarder au-delà du bout d’ta truffe, stupide moineau ! Miaula-t-elle. Tu n’crois quand même pas que nous vivons dans c’buisson ! Toi peut-être, mais pour moi, sans façon, merci.

- Nous ?! » S’exclama Rat, n’ayant pas pensé une seule seconde que son amie pouvait vivre avec d’autres félins.

Oh non ! S’écria-t-il intérieurement. Je viens de foncer la tête la première dans un piège ! Les paroles du mystérieux chat lui revinrent en mémoire. Tu as beaucoup de félins à ta recherche. Il chercha du regard une échappatoire. Peine perdue, Furie lui bloquait tout point de retraite. À tous les coups, si elle ne fait pas partie de la Bande, elle me livrera à Lion… Je suis fichu !!!

« Oh ! S’exclama Furie. Calme-toi !!! Tu vas finir par m’asphyxier avec ta peur ! Ou encore pire, attirer le Clan du Tonnerre ou c’groupe de chats errants qui traînent dans l’coin !

- Qu’est-ce qui me dit que je peux te faire confiance ? Répliqua Rat, le pelage en bataille.

- Rien. Répondit la femelle grise. Juste ma parole. Si tu veux un abri, suis-moi. »

À ces mots, elle se dirigea vers le buisson, et se tapit au sol. Tel un serpent, Furie rampa sous l’épais bosquet de houx. Elle étouffa un grognement lorsque les épines lui labourèrent le dos, auquel il manquait déjà quelques touffes de poils, mais continua. Bientôt, Rat ne vit plus que le bout de sa queue, qui disparut, avalée par les tiges de ronces. Il hésita encore un instant, pesant le pour et le contre, puis se décida enfin à suivre la femelle grise. De toute façon, qu’est-ce que j’ai à perdre ? Les épines lui rappèrent les flans malgré sa petite taille, le félin noir se contorsionna tel un serpent, puis, enfin, réussit tant bien que mal à sortir de ce buisson infernal. Devant lui se trouvait une petite clairière, entourée d’immenses rochers et de grands pins qui bloquaient les rayons brûlants du soleil et abritaient ce camp de fortune du vent et des intempéries. Rat chercha du regard Furie, et la trouva, discutant avec une chatte calico de gris l’air fourbe. À l’autre bout de la clairière se tenait un frêle chat noir constellé de taches blanches, comme s’il y avait neigé dessus. Il restait dans un coin, sursautant à chaque bruit, telle une proie fuyant un chasseur. Il a dû croiser un ennemi des plus redoutable pour être dans cet état… Se dit le félin noir en constatant que le petit chat possédait une longue cicatrice à peine refermée sur le dos et qu’il manquait d’épaisses touffes de poils à son pelage tacheté. Au centre du camp, un jeune et vigoureux chat brun-gris mangeait avec appétit une grive dodue qui rappela, hélas, la faim qui tiraillait déjà les côtes de Rat.

« Bin te v’la ! S’exclama Furie en l’apercevant enfin, avant de se tourner un instant vers son interlocutrice. C’est lui, Noireaud. J’l’ai trouvé par hasard en train d’courir après Nuage Rouge !

- Il n’est pas un peu… jeune, pour avoir une compagne ? Ronronna la femelle tricolore, posant son regard ambré sur Rat qui sentit aussitôt toute la fourberie et la ruse qui sommeillait en elle.

- Rooooh ! T’sais bien que j’voulais pas dire ça ! Il voulait juste savoir son nom ! Et, bien sûr, il a eu l’droit à la réponse habituelle. Répliqua la chatte grise avant de se tourner une nouvelle fois vers le félin noir de jais. Bin viens ! On va pas t’manger ! »

Après un instant d’hésitation, le chat errant fit quelques pas hésitants, puis, il finit pas se décider et se dirigea vers Furie et la chatte calico. Lorsqu’il passa à côté du félin qui dégustait sa grive, celui-ci interrompit un instant son repas pour regarder le nouveau venu de ses yeux orangés, puis le reprit. Il mordit avidement dans la chair de sa proie, l’air de se dire "c’est normal". On dirait que la présence de nouveaux ne les dérange pas… Rat jeta un léger coup d’œil vers le frêle félin noir et blanc qui continuait de fixer tout autour de lui comme s’il s’attendait à voir surgir une horde de blaireaux enragés. Enfin, presque tous ! Il se rendit compte trop tard qu’il avait accéléré, et c’était trop tard pour ralentir, les deux chattes errantes se trouvaient déjà à une queue de renard de lui. Le félin noir franchit la dernière longueur qui les séparait avec appréhension.

« Noireaud ? Je devine que c’est Furie qui t’a donné ce nom, comme elle a fait avec Constellé. Murmura la femelle calico en désignant du bout de la queue le petit chat anxieux. Toi aussi, tu refuses de parler ?

- N-non. Articula-t-il, l’esprit envahit de questions concernant Constellé et ce qui lui était arrivé pour qu’il décide de ne plus jamais parler.

- Rooooh, Vipère ! Ronchonna la chatte grise. T’pourrais essayer d’être plus gentille avec les nouveaux ! Enfin bon, elle, c’est Vipère.

- Mais pourquoi m’accueillir parmi vous ? S’exclama Rat. Je suis très bien, tout seul.

- Écoute, p’tit gars. Lâcha Furie. En c’moment, la forêt n’est plus sûre. Libre à toi d’rester avec nous ou non, c’est toi qui choisis. Mais sache que t’as eu d’la chance d’rester en vie jusqu’à aujourd’hui, et encore mieux, d'entrer dans la pinède.

- Comment ça ? »

La femelle ferma les yeux un instant, semblant peser ses mots. Agacée, la chatte calico dénommée Vipère lui donna un petit coup de patte insistant. Finalement, la chatte errante rouvrit les paupières, semblant avoir pris un choix décisif.

« Bon, vaut mieux que j’te montre. »


Chapitre 10[]

« N’faites surtout pas d’bruit. Murmura Furie. Sinon, on est morts. »

Rat n’eut pas besoin qu’on le lui dise. Rien qu’en voyant les quatre autres chats errants perchés sur la clôture, son instinct avait hurlé : "DANGER ! Fonce vite les tuer avant qu’ils ne te tuent !". Donc, en toute logique, il s’était tapi au sol, tremblant de peur, les griffes profondément enfoncées dans la terre meuble. Plume -le chat qui dégustait la musaraigne au camp- poussa un peu le félin noir pour voir ce qui le terrorisait, mais recula aussitôt, s’enfonçant plus profondément dans le buisson qui leur servait de cachette.

« Non d’un renard ! Chuchota-t-il. Ils sont beaucoup plus nombreux que la dernière fois !

- Le Groupe a dû recruter… Ronchonna Furie à mi-voix.

- Quel groupe ? Demanda Rat, intrigué.

- Ferme-la, on va tous se faire repérer ! » Répliqua-t-elle.

Comment se fait-il que j’aie eu la chance de ne pas me faire repérer ? Se demanda le matou couleur nuit. Il tendit l’oreille pour essayer d’écouter la conversation animée des quatre félins, qui étaient toujours assis, sur la clôture qui marquait la frontière entre le territoire des bipèdes et la pinède. Hélas, les matous du "Groupe" étaient beaucoup trop loin pour que Rat puisse entendre leur discussion, mais il réussit malgré tout à en comprendre quelque mots. Ils débattent de la meilleure façon de tuer un ennemi… Comme si c’était chose courante… Du coin de l’œil, il vit deux taches de couleur. Un félin d’un blanc immaculé suivi d’un autre, à l’épais pelage doré, tous deux portant ces colliers caractéristiques aux chats domestiques. Aussitôt, un mâle et une femelle qui montaient la garde coururent à leur rencontre les intercepter.

« Profitons-en pour filer ! » Ordonna Furie.

Les trois goupils coururent à toute allure, en direction du Camp, laissant le territoire des bipèdes loin derrière eux. Rat se retourna en vitesse lorsqu’il entendit Plume pousser un petit cri. Le jeune matou gisait au sol, une de ses pattes tordues dans un angle étrange.

« Il ne manquait plus qu’ça ! Rouspéta la chatte grise en s’arrêtant.

- Ne t’inquiète pas pour moi ! Miaula le félin au poil pierre en se relevant péniblement. J’arrive tout de suite ! »

Pour souligner ses propos, Plume esquissa un pas en avant, mais retomba aussitôt, étouffant à grand peine un gémissement de douleur. Furie fit rempart avec son corps avant que le matou ne s’écrase de nouveau au sol. Elle se baissa doucement pour aider son ami à s’allonger sur les graviers, puis, passa sa patte sur l’épaule du félin gris, toujours tordue dans son angle surnaturel.

« Ouf… Soupira-t-elle. C’est simplement déboîté. Ne bouge pas, je vais tout de suite arranger ça. Par contre, essaie de te taire, sinon, on est morts ! »

Rat en resta stupéfait. Non parce que c’était la première fois qu’il entendait Furie parler normalement, mais parce que celle-ci, malgré le danger que représentaient les chats du "Groupe", n’hésitait pas un seul instant à aider Plume. Jamais un seul félin provenant de la forêt où il avait grandi n’oserait faire preuve d’une telle solidarité. Furie est vraiment quelqu’un de bien…

« Hé, Noireaud ! Miaula cette dernière. Rentre tout d’suite au Camp ! Il m’faut de l’aide, même à nous deux, on n’pourra point traîner Plume jusqu’là-bas ! »

Aussitôt, Rat partit droit devant lui, tel un éclair. Enfin, jusqu’à ce que la chatte grise l’interpelle de nouveau.

« L’Camp, c’est de l’autre côté ! »

J’aurais mieux fait de demander tout le chemin ! Pesta intérieurement le chat noir en se glissant sous l’épais buisson épineux qui marquait l’entrée du Camp. Le point positif : il connaissait maintenant le chemin ; après avoir tourné en rond pendant un moment. Hélas, lorsque Rat sortit de l’épineux, il constata que la clairière entourée de grands rochers et de pins était vide.

« Crotte de souris. » Pesta-t-il en maudissant sa lenteur.

Le chat nuit huma l’air, et repéra une piste… qui sortait bien sûr du camp. Il donna un coup de patte dans la terre. Un nuage de poussière s’en éleva, ce qui le fit éternuer. Du coin du l’œil, Rat aperçut un mouvement. Furtif. Mais il était maintenant persuadé qu’un autre félin se trouvait dans le Camp. Le chat noir de jais sortit les griffes, tous ses sens aux aguets. Pas question de se faire surprendre ! Il se trouve derrière moi. Plutôt à ma droite, il y a une cachette formée par le pin et le rocher. Le chat errant se tourna un peu vers la gauche, pour induire son adversaire en erreur et attendit. Une bonne centaine de battements de cœur s’écoula, avant qu’il n’entende un léger craquement. Son adversaire avait dû marcher sur une brindille, ou délogé une petit pierre. Rat attendit encore un moment, puis, fit volte face, prit son élan, et, d'un bond calculé minutieusement en l’espace d’un battement de cœur, atterrit en plein sur son adversaire qui poussa un miaulement stupéfait. Le petit chat se roula en boule, tout tremblant, l’odeur de sa peur imprégnant l’air.

« Constellé ? S'étonna Rat en s’éloignant de son "adversaire". Vraiment désolé, je t’avais pris pour un ennemi !

- Il y en a trop par ici… » Répondit le frêle chat noir et blanc d’une voix à peine audible, sans bouger.

Le félin noir se sentit mal à l’aise, comme si quelque chose lui échappait. Il mit enfin la patte dessus lorsqu’une phrase que Vipère lui avait dit un peu plus tôt lui revint. "Toi aussi, tu refuses de parler ?"

« Attends… Miaula-t-il. Je pensais que tu refusais d’adresser la parole à qui que ce soit… »

Constellé ne répondit pas, et se tapit au sol, comme pour échapper à un éventuel ennemi.

« N’aie pas peur… Murmura son interlocuteur en se baissant de façon à croiser le regard apeuré du petit félin. Écoute, en vrai, je m’appelle Rat, et je ne te ferai aucun mal. Je ne suis pas comme ceux du "Groupe". Tu sais, j’ai déjà eu affaire à une Bande, qui voulait ma mort, cela fait des saisons et des saisons que je vis caché pour lui échapper. Mais sache que tu es en sécurité avec Furie et Vipère. Je pense que ce sont des chats bien.

- Vermine… Souffla le chat noir et blanc en relevant légèrement la tête. Je m’appelle Vermine… Mais je préfère Constellé, c’est plus joli…

- Très bien Constellé. Dit Rat d’une voix la plus calme et sereine possible. Toutes ces blessures, c’est le "Groupe" qui te les ont faites n’est-ce pas ? »

Le frêle félin ne répondit pas, ses yeux fixant un point que lui seul pouvait voir. Le matou noir se releva et s’éloigna à pas lents, préférant laisser à son interlocuteur assez d’espace pour respirer.

« Attends. Murmura celui-ci. Avant d’essayer de me tuer ils m’ont posé des questions… »

Le goupil noir et blanc se redressa et croisa le regard doré du chat errant. Il frissonna de peur, comme s’il se remémorait des souvenirs qu’il préférait oublier.

« Ils sont à ta recherche… Souffla Constellé. Les deux chattes qui m’ont torturé sur ordre de Lion m’ont demandé où tu étais… »

Chapitre 11[]

Le cœur de Rat manqua un battement. Un frisson de pure panique s’empara de lui. Alors… Ils sont toujours à ma recherche… Pensa-t-il, terrifié. Et le pire, c’était que Constellé avait payé les conséquences de sa lâcheté. Pendant ces deux dernières saisons, Rat avait passé son temps à se cacher, à fuir. Tandis que d’autres payaient. Tout ça parce qu’il était encore en vie… Tout ça parce que le Clan de l’Ombre l’avait aidé… Tout ça parce qu’il avait détruit la vie de Myrtille et Mouche… Tous en avaient payé les conséquences. Et les prochains seraient Furie, Vipère et Plume. Le matou noir les connaissait à peine, pourtant, ils étaient déjà comme une deuxième famille pour lui. Pas question qu’ils souffrent par ma faute… Mais, la réelle question était : que faire ? Il faut que je tue Lion. Décida-t-il après un moment de réflexion. Il est temps pour moi de l’affronter… Mais, alors que Rat commençait à peaufiner un plan, il se souvint aussitôt de la raison de sa venue.

« Constellé ! s’exclama-t-il, Furie m’a envoyé chercher en urgence Vipère, Plume s’est blessé. Tu ne saurais pas par hasard où est-elle allé ? »

Le frêle félin se contenta de secouer négativement la tête. Les pupilles dilatées de terreur, il fila ventre à terre se cacher dans un creux entre les racines d’un pin. Très bien… Se dit le matou noir. Je ne peux plus compter sur lui… Rat fit volte-face et sortit du camp. Si Vipère ne s’y trouvait pas, alors, autant chercher ailleurs. Le chat noir de jais se faufila sous le buisson épineux qui camouflait l’entrée de la clairière, laissant à regret quelques touffes de poils. Il se releva péniblement et huma l’air. L’odeur de Vipère partait en direction de la forêt de chênes, endroit où, auparavant, Rat ne s’était jamais aventuré. Il suivit la piste, la truffe presque collé au sol, de peur de perdre cette précieuse trace. Le paysage commença à changer, les buissons s’épaissirent, les gravillons qui jonchaient le sol furent vite remplacés par de la terre meuble, et les pins se resserrèrent. C’est alors qu’il croisa une autre piste. Un autre félin était récemment passé par là. Sûrement Nuage Rouge… Pensa Rat. Pourtant, quelque chose dans cette odeur était étrange. Il revint sur ses pas, et la sentit une nouvelle fois. Elle appartenait à un mâle adulte et avait un fin fumet de houx et de terre. Un cri de rage monta des sous-bois, non loin de lui. Les poils du matou noir se hérissèrent sur sa nuque et il sortit des griffes. Des bruits de cavale accouraient en sa direction, pourtant, Rat resta figé sur place, prêt à agir à tout instant.

« Rends-moi ça ! feula une chatte. Espèce de sale voleur de gibier, tu vas sentir mes griffes ! »

Le chat errant reconnut sans mal la voix de Vipère. Je n’ai pas eu à chercher longtemps ! Il banda ses muscles et arqua ses oreilles en direction du boucan provoqué par la course-poursuite. Les deux félins fonçaient toujours en sa direction. C’est alors que le premier chat jaillit d’un buisson. Dans sa gueule trônait un étourneau fraîchement attrapé. Pourtant, Rat se figea, son adversaire aussi, tous deux surpris. Le nouveau venu tourna rapidement la tête dans la direction où Vipère allait débouler d’un instant à l’autre. Il jeta sa proie en direction de Rat.

« Suis-moi ! » miaula-t-il.

Aussitôt, son interlocuteur reprit sa course. Rat resta un instant pétrifié, divisé en deux. Je dois aider Furie et Plume… Je leur dois bien ça… Pourtant, cette pensée ne l’empêcha pas de prendre l’étourneau et de suivre le chat errant.

Chapitre 12[]

Vipère l’avait vu… Rat le savait. Qu’allait-elle penser ? Le prendrait-il pour un traître ? Sûrement… Soupira intérieurement le petit chat noir en contournant un buisson de houx. Pourquoi se sentait-il tellement déchiré ? Comme si une part de lui était resté auprès de la chatte errante. Je tiens déjà à eux… Avoua-t-il. Rat était bien conscient que c’était la chose à ne pas faire… Baisser une seconde sa garde, et son prétendu allié lui trancherait la gorge. C’était ainsi, et ce n’était pas prêt de changer. Alors, pourquoi je le suis ? Remarqua-t-il en ralentissant le pas. Qu’est-ce qui me prouve que je devrais lui faire confiance ? Enfin, le chat errant s’arrêta complètement. D’un geste désinvolte, il lança son étourneau au sol. L’oiseau émit un bruit mat en atterrissant sur le sol meuble de la pinède.

« Je ne suis plus la proie ! » feula-t-il, son pelage noir en bataille.

Il savait aussi que l’autre solitaire l’avait entendu. Celui-ci s’était arrêté. Son interlocuteur fit demi-tour, pesant ses pas. Enfin, il apparut entre les fourrés. On aurait pu qualifier Rat de grand chat, chose remarquable vu à quel point il faisait peine à voir quelques saisons plus tôt, mais le nouveau venu le remettait bien en son rôle. Il s’était trompé : la proie et le chasseur. Le félin rejoignit son interlocuteur d’un pas tempéré. Il savait qu’il avait tout son temps, que Rat ne prendrait pas la fuite : il voulait prouver sa valeur. Le chat aux yeux dorés planta de toutes ses forces ses griffes dans le sol, s’empêchant de tout son être de partir en courant. Pourtant, lorsque son regard croisa celui ambré de l’immense félin, il ne put s’empêcher de tourner les yeux. Son interlocuteur eut un reniflement dédaigneux devant cette preuve de faiblesse. Le matou noir et brun s’immobilisa, et s’assit, ses yeux toujours fixés sur Rat.

« En es-tu certain ? répliqua-t-il faisant écho aux paroles de ce dernier. Je pensais que tu aurais l’air un peu plus… redoutable. Mais tu fais toujours aussi peine à voir… Je ne comprend toujours pas ce que Lion te veut, tu es minable. Aurait-il peur d’un moins que rien ?

- Mouche… cracha Rat, ça fait toujours aussi plaisir de te revoir. Que fais-tu ici ?

- Ce n’est pas à toi de poser les questions, feula son frère en sortant les griffes, sale assassin ! Je ferais mieux de te tuer maintenant et te rapporter à Lion, ça vaudra mieux !

- Assassin ?! répéta le matou noir sans comprendre, mais je n’ai tué per… »

Il ne put terminer sa phrase, Mouche lui sauta à la gorge. Retrouvant un réflexe d’enfance, il se roula en boule, ce qui lui sauva la vie. Son frère lui infligea une profonde entaille sur l’épaule. Aussitôt, Rat sortit les griffes. Plus question de souffrir ! C’est à son tour de subir ! Vif comme une vipère, il plongea ses crocs dans la nuque du matou bicolore. Celui-ci, surpris, émit miaulement strident. Il se cabra pour échapper au chat errant qui enfonçait plus profondément ses crocs dans sa chair. Du sang coulait à flot dans la gueule de Rat, écœuré, mais il s’en avait cure. Telle était la loi. Tuer ou être tué, seul les plus forts survivaient. Mouche roula sur le côté, obligeant son frère à lâcher prise. Mais, il n’en démordit pas pour autant, le chat errant avait baissé sa garde, laissant une ouverture dans l’armure : le matou bicolore se trouvait maintenant le ventre exposé. Rat ne lui laissa aucun battement de cœur de répit et bondit. Il aurait pu viser la gorge, mais préféra éventrer son frère. Tant que ton adversaire est en état de se battre, ne vise pas la gorge, affaiblis-le encore plus en attaquant son ventre, c’est l’endroit où la peau est la plus fine, puis, tue-le comme il se doit. Telle une réminiscence confuse, la voix de Myrtille résonna dans la tête du félin aux yeux or. Il se souvenait, il y a bien longtemps, avoir entendu sa mère expliquer une chose similaire à Mouche. Ce dernier poussa un hurlement, ramenant Rat à la réalité. Mais pas que…

« Non… » murmura-t-il en reculant.

Les fourrures des deux combattants étaient maintenant presque autant bordeaux que noires. Tout autour d’eux, les frondes étaient déjà maculées de sang. L’adrénaline manquant à l’appel, Rat se rendit compte que Mouche ne lui avait pas que mordu l’épaule, il était couverte de griffures et d’entailles… superficielles, mais douloureuses. Sa tête commença à lui tourner et sa vue se voiler, mais ce n’était pas la douleur. Simplement la vérité. Celle qui est capable d’infliger plus de mal qu’une simple blessure.

« Non… répéta Rat en regardant son frère se relever, Elle était en vie ! J’en suis sûr !

- Bienvenue, feula Mouche en crachant une touffe de fourrure jais imbibée de sang, dans la réalité ! Tu crois sincèrement que Myrtille aurait eu la faiblesse de se faire passer pour morte ? Alors que Lion l’avait enfin retrouvé ?

- Lion doit payer ! cracha le matou noir en sortant les griffes. Au lieu de rester chacun dans notre coin, à se terrer comme des proies, allions-nous, et faisons-le souffrir !

- Non, répliqua son frère, je ne suis pas comme toi. Jamais je ne me suis terré comme une proie, allant même jusqu’à supplier de l’aide aux Clans ! Myrtille serait fière de moi et de ce que je suis devenu !!!

- Un lâche ? répondit-il, Tu crois sincèrement que notre mère aurait voulut que tu ne sois qu’un vulgaire chat errant voleur de gibier ?

- Notre mère ? répéta le matou bicolore en montrant les crocs, Tu oses l’appeler ainsi ! Alors que tu n’as jamais rien été pour elle ? Juste un autre esclave ne servant qu’à apporter le gibier ! »

Comment ose-t-il ?! S’exclama intérieurement Rat, se retenant à grand peine d’attaquer à nouveau Mouche. Pourtant, une sensation désagréable lui hérissait la fourrure. Il avait oublié un détail crucial. Le chat errant fouilla dans sa mémoire, fusillant toujours son frère du regard ; enfin, il mit la patte dessus.

« Comment, miaula-t-il, sais-tu que le Clan de l’Ombre m’a aidé ?

- Oh, alors tu en viens au fait ? » cracha le félin noir et brun.

Il voulut ajouter quelque chose, mais un léger bruissement venu des fourrés réussit à lui faire fermer son museau -chose que Rat croyait impossible. Mouche recula de quelques pas, espérant se faire avaler par les buissons, comme il avait fait… Comme il avait fait avant de prendre la fuite face à… Le matou noir ne put terminer sa pensée, deux chattes identiques apparurent, comme surgissant des ombres. L’une aux yeux verts, l’autre aux yeux bleus.

Chapitre 13[]

Hé oui ! Comme je te l’avais dit, je ne suis pas comme toi… Rat dérapa sur la terre poussiéreuse. Je ne me cache pas, comme une vulgaire proie. Il heurta le tronc d’un pin, le choc lui coupa aussitôt la respiration, vidant l’air de ses poumons. Il est temps pour toi de mourir… Il inspira un grand coup et reprit sa course. Tu ne veux pas comprendre ce que Lion te veut ? Ce que Lion nous veut ? Le matou noir se prit la patte dans une racine et s’écrasa au sol. Tu ne peux aller nulle part, et puis, tiens-tu réellement à condamner d’autres à cause de ta lâcheté ? Il se releva péniblement et cracha un peu de terre. Actuellement, ils doivent tous être morts, tes amis… vivant près des rochers. Rat fit un pas en avant. La tête lui tournait, ses blessures le mettaient dans un supplice, un goût métallique lui envahissait la gueule. Lion a tout prévu. Je t’ai blessé trop gravement pour que tu aies une infime chance de lui échapper, affronte ta destinée, ce sera mieux pour les autres. Malgré le sang qui lui bourdonnait aux oreilles, il entendait ses poursuivantes. Bleue et Verte, comme il y avait deux saisons, le pourchassaient encore. Les paroles glaçantes de Mouche lui déchiraient encore les oreilles, celles qu’il avait entendues avant de prendre la fuite, encore une fois. Rat leva la patte, tous ses muscles protestèrent, le paysage se mit à tanguer. Et sans qu’il comprenne ce qui lui était arrivé, il était au sol. La respiration sifflante, et le bruit de course de Bleue et Verte de plus en plus proche. Il leva les yeux, espérant voir un ciel bleu limpide, mais les branches du pin contre lequel il était appuyé lui masquaient la vue. Le matou noir voulut se relever, mais ne parvint qu’à bouger la tête. Son corps avait laissé tomber tout désir de vivre. Son regard se dirigea vers l’endroit où ses poursuivantes allaient apparaître d’un instant à l’autre, il voulait les affronter en face à face. Il y eut un craquement lugubre. Puis, une forme sombre s’écrasa au sol. Sans trop comprendre où il venait de trouver tant d’énergie, Rat se retrouva sur pattes, le pelage hérissé. Il se tapit au sol et rampa jusqu’à la source du bruit. Le chat errant se tapit derrière un buisson de houx et tenta un regard vers l’origine de son. Une jeune chatte brun foncé se releva péniblement. Elle lança un feulement frustré vers une mésange qui la fixait du haut d’une branche. Le volatile émit un petit piaillement, puis s’envola.

« Crotte de souris, cracha Nuage Rouge en donnant un coup de patte rageur sur une brindille, il faut vraiment je travaille ma chasse en hauteur ! J’ai l’impression d’être aussi gauche que cette vulgaire Bande de ce prétendu Lion ! Attendez un peu que je vienne dans votre petit camp vous voler du gibier ! »

La chatte aux yeux rouge-orangé sembla un instant réfléchir à la question, puis, agita le bout de sa queue brune avec irritation. Rat tendit l’oreille, intéressé par la localisation de l’antre de son pire ennemi.

« Pour l’amour du Clan des Étoiles, reprit-elle, pourquoi a-t-il fallut qu’il y ait ce gros épineux en guise d’entrée… la solitaire leva la tête vers l’endroit où se trouvait auparavant sa proie. Attends un peu, inutile volatile, j’ai une revanche à prendre sur t… »

La jeune chatte s’interrompit et tourna en une fraction de battement de cœur la tête vers la direction d’où venaient des bruits de course effrénés. Le poil hérissé de panique, elle fila aussitôt vers la Cabane à Couper le Bois, la queue entre les pattes. Je n’y crois pas… S’exclama intérieurement Rat. Elle confond le groupe de Vipère et la Bande ! Il retint un ronronnement sonore, ce qui lui sauva, une nouvelle fois, la vie. Bleue et Verte jaillirent de derrière un tronc telles des ombres. D’un mouvement parfaitement synchronisé, elles humèrent l’air, leurs sens aux aguets. Le cœur de Rat dut manquer quelques battements, mais il s’efforça de ne pas céder à la panique. Les deux chasseuses se figèrent, puis, comme un même félin rampèrent en direction du matou aux yeux or. Ce dernier banda ses muscles sans bruit. Dès qu’elles le repèreraient, il faudrait décamper, et vite. D’un coup, Verte s’élança en sa direction avec un feulement rageur. Rat avait espéré de tout son être que l’odeur de Nuage Rouge couvre la sienne, mais les deux traqueuses n’étaient pas dupes. La femelle bicolore aux yeux verts sauta au dessus du buisson avec aisance, et atterrit à côté du fugitif. Elle sortit les griffes et lui sauta à la gorge. Le matou noir esquiva maladroitement, ce qui n’empêcha pas son adversaire de lui taillader le flanc. Alors qu’il allait contre-attaquer, un félin l’attrapa par la peau du cou et le tira en arrière. Crotte de renard… Pesta Rat. Il avait encore oublié la présence de Bleue. Verte, une expression d’immense satisfaction mêlée à un peu de sadisme sur le museau, dévoila ses crocs et s’approcha vivement de sa proie. Le chat errant voulut se remettre sur pattes et détaler, mais la seconde femelle ne lui laissa aucune chance. Un coup d’épaule et elle l’envoya de nouveau au sol. Rat sentit le souffle chaud de Verte contre sa gorge. Pourtant, celle-ci préféra lui murmurer d’une voix douce à son oreille :

« Tu as de la chance que Lion te veuille en vie, sinon, tu ne serais déjà plus de ce monde…

- Pourquoi lui obéis-tu ? répliqua-t-il, ce n’est qu’un vulgaire assassin !

- Et nous sommes des tueuses, intervint Bleue, penses-tu que nous nous contenterions de vivre une vie dans la peur de mourir alors que nous pouvons si facilement ôter la vie ?

- Tous les chats se battent, murmura sa sœur, sauf toi, car tu n’es qu’un lâche, tu as toujours vécu dans la peur ! »

Ces dernières paroles atteignirent Rat en plein cœur. Il détendit ses muscles et bascula la tête sur le côté. Il le savait bien, elles avaient raison. La peur était sa voie, son sentier. Il passait son temps à se cacher, fuir, et les autres souffraient par sa faute. Myrtille, Furie, Vipère, Constellé, et même Mouche. Verte eut un léger ronronnement de satisfaction lorsqu’elle vit son étincelle de combativité quitter son regard. Avait-il le choix ?

Chapitre 14[]

Mouche avait eu l’intelligence de ne pas le suivre, pour une fois. Comme le disait Myrtille, qui est chasseur devient proie. Peut-être avait-il eu peur que Verte et Bleue se débarrassent de lui. En tout cas, il avait eu raison. L’une des deux tueuses força Rat à se relever ; le matou noir obéit et se redressa lentement. Il baissa les oreilles et garda la tête basse, la queue entre les pattes, comme il faisait, chaton, face à celle qui l’avait mis au monde. Enfin, la sœur aux yeux océan lui donna un brusque coup de museau, lui signifiant clairement d’avancer. Le chat au regard or fit quelques pas, mais ses pattes se dérobèrent sous son poids et il s’effondra au sol. Aussitôt, il roula sur le côté. Profitant de son élan, Rat se remit en un éclair sur pattes. Un battement de cœur s’était écoulé, mais c’était déjà assez pour que ses crocs s’enfoncent profondément dans la gorge de Verte.

« Ça, c’est pour ma mère, murmura-t-il, la gueule déjà emplie de sang. »

La tueuse se cabra pour essayer de lui échapper, mais son mouvement permit aux crocs de son adversaire de mieux lui déchirer la peau. Finalement, elle se raidit une dernière fois, puis ses muscles se relâchèrent et sa tête commença à basculer sur le côté. Ses yeux feuille, vitreux, fixaient déjà le néant. Mais le matou noir n’en avait cure, dès qu’il avait senti Verte faiblir, il avait relâché son emprise et bondissait déjà sur sa sœur. Cette fois, il n’avait pas l’effet de surprise à son avantage. Bleue avait déjà esquivé lorsqu’il bondit vers elle. Rat fit volte-face et dévoila ses crocs. La tueuse sembla hésiter un instant. Mais oui… Se dit le matou noir de jais. Lion me veut vivant ! Profitant de l’occasion, il se jeta sur elle. Son adversaire voulut l’éviter de nouveau, mais le chat errant ne lui en laissa l’occasion. Ses griffes se refermèrent néanmoins sur la queue brune de la chatte. Elle roula sur le côté, ne laissant entre ses pattes de Rat qu’une touffe de poils écorce. Le matou aux yeux or roula sur le côté, mais un choc à la nuque le coupa dans son élan. Bleue l’avait attrapé par la peau du cou. Rat se débattit pour lui échapper, mais le réflexe qu’il avait, chaton -se raidir et ne plus bouger- le ralentissait. Enfin, la tueuse posa avec un calme effrayant sa patte contre la gorge du matou noir.

« Fini de jouer, murmura-t-elle sur le même ton qu’une mère réprimandant son chaton, maintenant, soit obéissant, ou il pourrait arriver un malencontreux incident. Ce qui serait bien dommage, n’est-ce pas ?

- Dommage pour toi, répliqua-t-il en dévoilant ses crocs.

- N’es-tu pas curieux de savoir ce que Lion te veut ? tenta la tueuse après un instant de réflexion.

- Oh, mais je sais exactement ce qu’il me veut ! »

Bleue écarquilla ses yeux ciel de surprise. Elle ouvrit la gueule, mais les mots n’en sortirent jamais. Son museau se déforma en une expression terrifiée, puis, elle bascula lourdement au sol. Rat se releva et essuya nonchalamment contre la terre sa patte imbibée de sang de son adversaire, avec laquelle il lui avait tranché la gorge. Le chat errant s’approcha de la tueuse, et inclina la tête de façon à se retrouver face à elle. Sans laisser transparaître la moindre émotion, il l’observa tenter de respirer, de plus en plus difficilement. La femelle bicolore leva lentement la patte vers lui, ses yeux déjà vitreux. Mais, son geste se figea. Son corps fut secoué d’un violent spasme. Rat finit par se lasser de ce lugubre spectacle et se retourna lentement.

« Excuse-moi, miaula-t-il, mais je n’ai plus le temps de jouer. »

Le matou noir pénétra dans les frondes vertes, laissant derrière lui Bleue dont le dernier souffle s’était déjà tut. Il se dirigea à pas lent en direction du Camp de Furie et Vipère.




Sans grande surprise, ce dernier était désert. Rat sortit en grommelant du buisson épineux qui marquait son entrée. La terre autour de lui était retournée, et plusieurs corps de chats errants inconnus jonchaient le sol. Mais aucune trace des habitants de ce lieu. Le matou noir huma l’air, cherchant en vain une odeur familière, mais le sang couvrait toute piste potentielle. Le félin tendit l’oreille. Seul le souffle du vent venait perturber le calme irréel. Rat perçut un mouvement non loin de lui. Il sortit aussitôt les griffes et fit volte-face, les crocs à découvert. Constellé banda ses muscles et hérissa son poil bicolore. Une étincelle de défi brûlait dans ses prunelles, plus aucune trace du petit félin apeuré n’était visible.

« Noiraud ! s’exclama-t-il, tu es en vie !!!

- Hélas… grommela Vipère en sortant de l’ombre d’une immense pierre, Furie sur les talons.

- Vous allez bien ? s’enquit Rat.

- Bien, avant que tu décides de conduire le Groupe jusqu’à nous ! cracha la chatte tricolore.

- Vipère ! s’exclama Furie, pas d’conclusions hâtives !

- Elle a raison, intervint la matou noir alors que la femelle ouvrait la gueule pour une répartie cinglante. C’est entièrement ma faute si Lion vous a fait ça. »

Plume sortit en boitillant d’un creux ombragé entre les racines d’un pin. Rat remarqua alors que tous étaient gravement blessés. Constellé était plus que jamais couvert de profonde lignes rouges, le museau de Vipère était déformé d’une profonde trace de griffes et l’une de ses oreilles était déchirée. Furie, elle, était tellement couverte de blessures et de sang que ses mouchetures grises n’étaient plus visibles, seuls ses yeux cyan avaient gardé leur éclat rebelle.

« Qu’veux-tu dire ? grommela cette dernière.

- Juste que je suis désolé… »

Rat se retourna et sortit lentement du camp, sentant contre sa fourrure les regards des quatre félins. Dès qu’il émergea du buisson, il inspira profondément. Les effluves des chats errants partaient en direction de la Cabane à Couper de Bois. Tu t’es trompé, Lion… Tu t’es trompé sur toute la ligne… Je sais ce que tu me veux, et tu n’as pas besoin d’envoyer des tueuses pour que je vienne à toi. Rat soupira, puis lança un dernier regard en direction du Camp de Furie. Enfin, il se dirigea vers sa mort.


Chapitre 15[]

« Où est-il ? cracha Rat en dévoilant les crocs.

- Je ne sais pas de quoi tu parles ! » répliqua une chatte écaille-de-tortue en le fusillant de ses yeux vert pâle.

Le chat errant planta encore plus profondément ses griffes dans la gorge de la solitaire, sans lui porter de coup mortel. Il l’avait surprise en train de chasser en compagnie d’un matou roux et blanc -actuellement plus de ce monde- peu de temps après avoir perdu la trace de la Bande de Lion. Son compagnon de patrouille avait eût la bêtise de tenter de tuer Rat dont les crocs avaient frappé en premier. La chatte écaille avait pourtant choisit de fuir -sans doute pour prévenir les autres chats du Groupe- dès que son partenaire avait attaqué, comme si elle répétait une scène déjà prévue à l’avance et était censée aller chercher du renfort. Son plan aurait fonctionné. Si Rat n’était pas un frêle félin assez agile et rapide pour la rattraper.

« J’ai déjà tué pour moins que cela… mentit-il en soutenant son regard.

- Oh, je m’en doute ! s’esclaffa-t-elle. On peut dire que tu m’as rendu un sacré service, Saule commençait à me taper sur les nefs. »

Le regard vide de Verte, puis celui de Bleue et ce prétendu Saule vinrent hanter l’esprit du matou noir. Trois… Se dit-il. Déjà trois… D’un coup de queue agacé, il chassa ses sombres pensées.

« Dis-moi où se trouve Lion, ordonna le chat errant.

- Je m’appelle Amarante, lança la femelle écaille, comme la plante, mais ça ne pousse pas ici. Et toi ? »

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec les noms ici ! S’exclama intérieurement Rat. Profitant de sa diversion, Amarante se libéra de son emprise d’une roulade, puis lui griffa la truffe pour attirer son attention. Elle est rapide ! Constata le chat errant. Son adversaire et lui se mirent à tourner lentement, zigzaguant entre les arbres. La solitaire ne cessait de remuer, bondissant entre les fourrés pour réapparaître, sans quitter le matou noir des yeux. Comme si elle l’évaluait. C’était sûrement le cas. En tout cas, Rat perdit patience et, d’un bond, avala l’espace qui les séparait. Seulement, Amarante avait déjà disparu. Un coup à l’épaule lui indiqua qu’elle se trouvait à sa droite, mais lorsqu’il se retourna, prêt à l’attaque, elle s’était volatilisée. Comment ai-je pu l’attraper aussi facilement, tout à l’heure ? Pesta le matou noir. Il se figea et tendit l’oreille. Avec le bruit du vent et le sang qui battait à ses oreilles, impossible de repérer la chatte écaille – si elle était encore dans les parages. Le chat errant aperçut du coin de l’œil un mouvement furtif. Il aurait pu attaquer, mais c’était sans compter la vitesse redoutable d’Amarante. Rat roula au sol juste au moment où cette dernière bondissait en sa direction. La solitaire se réceptionna avec grâce, soulevant un nuage de poussière, mais son adversaire la percuta de plein fouet. Le matou noir planta ses crocs dans son épaule et se servit de son poids - qui ne faisait pas grosse différence avec Amarante - et son élan pour la mettre définitivement au sol. Il se redressa en vitesse et plaqua sa patte, les griffes sorties, contre sa gorge.

« Réponds à ma question, cracha-t-il.

- Que je te le dise ou non, dans tous les cas, je suis morte ! répliqua la chatte écaille en posant nonchalamment la tête contre le sol. Tue-moi tout de suite, ça reviendra au même, je n’aurai rien à y gagner. Ou sinon, relâche-moi, je me ferai un plaisir de t’achever !

- Pourquoi suis-tu Lion ? demanda Rat après un instant de réflexion.

- Tu ne l’as jamais rencontré, ça se voit bien ! s’exclama Amarante une étincelle d’amusement dans ses yeux clairs.

- Tu pourrais bien te tromper, je connais assez bien Lion. Mais c’est moi, ou tu passes ton temps à esquiver mes questions ?

- Il se pourrait bien que oui, miaula-t-elle.

- Ce n’est toujours pas une réponse… constata le chat errant.

- Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ! »

Rat soupira, puis, enleva sa patte de la gorge d’Amarante. Il détourna son regard des yeux pâles de la chatte écaille, emprunts d’une étincelle d’incompréhension. La solitaire se releva, hébétée, mais le matou noir faisait déjà volte-face. Elle sortit et rentra les griffes nerveusement, ne sachant que faire. Seulement quatre… Se dit Rat en contournant un pin. Je ne tuerai que quatre chats. Lion sera ma dernière victime.

« Tu devrais peut-être passer près de la Cabane à Couper le Bois, miaula finalement Amarante, ce sera pour toi l’endroit parfait où te faire tuer. C’est bien ce que tu veux, non ? »

Le chat errant se retourna lentement vers elle. Ses yeux jaunes croisant les siens, plus clairs.

« Tu n’es pas censée m’achever ? rétorqua-t-il d’un ton légèrement provocateur.

- Tu sembles être prêt à te tuer tout seul, alors, autant ne pas me salir les griffes, répliqua-t-elle. Toi, par contre, pourquoi m'avoir relâchée et ne pas m’avoir achevée, tout simplement ?

- Il se pourrait que je préfère ne pas me salir les griffes.

- Ce n’est pas une réponse, lâcha Amarante. »

Mais Rat s’était déjà retourné, disparaissant dans les frondes vertes. Derrière lui, la chatte écaille-de-tortue l’observa silencieusement, puis, un bruis de feuille avertit le matou noir qu’elle avait détalé. Elle va peut-être prévenir Lion… Soupira-t-il intérieurement. Pourtant, il l’avait relâchée. Ça ne lui ressemblait vraiment pas. Le chat errant commença à prendre de la vitesse, zigzaguant entre les pins comme il le faisait chaton, dans l’autre forêt. Il dérapa dans la poussière, soulevant des aiguilles, esquivant un buisson de houx. Seulement, Rat constata avec contrariété qu’un autre bosquet se trouvait non loin. Se remettant en route, il contourna prudemment les buissons épineux. C’est pas vrai ! On dirait qu’ils ont poussé juste ici rien que pour m’embêter !!! Le félin aux yeux or se figea. Son regard dériva jusqu’à une tige verte où s’était accrochée une touffe de ses poils noirs. Un chat passant par là laissait forcément des traces, que ce soit un bout de fourrure, une tige brisée. Le chat errant continua lentement son chemin, attentif aux moindres détails. Enfin, il faillit pousser un miaulement de joie lorsqu’il aperçut une tache brune. Un autre félin était bel et bien passé dans les environs de la Cabane à Couper le Bois. Non, pas un seul… Plusieurs… Rat recula imperceptiblement en découvrant le passage fréquent d’autres chats. La terre était retournée, les plantes piétinées. Tout portait à croire qu’une tribu entière passait pas là chaque jour. Le matou noir contourna un autre buisson, et se retrouva à découvert. Aussitôt, des dizaines de paires d’yeux se tournèrent vers lui. Un nombre inqualifiable de chattes et chats errants peuplait la petite clairière. Il venait de trouver le Groupe. Au centre de la mêlée, un imposant matou or se détachait de la bande. Leur chef.

« Rat ! » s’exclama Lion en se retournant.

L’intéressé le foudroya du regard et sortit les griffes. Pourtant, son adversaire restait toujours aussi détendu. Le matou noir croisa alors son regard ambré. Dans lequel brillait une étincelle qu’il avait déjà vue chez Myrtille. Mais le plus perturbant était le ton qu’avait employé Lion, comme s’il savait depuis toujours que Rat viendrait, comme s’il le connaissait du bout des griffes. Comment est-ce possible ?! Se demanda-t-il intérieurement. Pourtant, il possédait déjà la réponse. Le matou noir savait déjà ce que son "ennemi juré" lui voulait : le tuer. Et il croyait que la raison était simplement parce que Myrtille avait fait de lui un excellent chasseur. Non, il entendait à nouveau la voix de sa mère résonner dans sa tête, alors qu’il n’était à l’époque qu’un chaton de deux lunes. "Alors, c’est non, tu ne lèveras pas la patte sur eux sans me passer sur le corps !" Rat s’était trompé sur toute la ligne, et il s’en rendait maintenant compte. Maintenant que l’un des souvenirs qu’il avait tout fait pour oublier refaisait surface. Après toutes ces saisons. Après tout ce temps.

« Tu as bien grandi, reprit Lion avant de s’interrompre devant l’étrange regard que lui lançait le jeune félin. Tu te souviens de moi, j’espère ? »

Chapitre 16[]

Une feuille jaunâtre, serpentée de veinures or, fut décrochée de l’immense arbre à l’écorce foncée et noueuse lorsqu’une brise fraîche vint secouer doucement la forêt. Elle commença à tomber lentement au sol telle une plume avant d’être de nouveau soulevée par le vent. Rat ne la quittait pas de ses yeux dorés, sa queue s’agitant dans tous les sens. Enfin, dès qu’il fut assez prêt, il bondit. Hélas, le petit félin manqua sa prise et s’écrasa lourdement au sol.

« Bien alors, on manque sa proie ? »

Le chaton à la fourrure duveteuse se retourna vers Mouche en le fusillant du regard.

« C’est pas vrai ! rétorqua-t-il d’une voix fluette.

- Rat n’est qu’un nullos ! Rat n’est qu’un nullos ! » scanda gaiement son frère.

L’intéressé rentra la tête dans les épaules, les oreilles en arrière et couvert de honte. Le matou bicolore bondit à son tour, et embrocha d’une griffe la jolie feuille avant que cette dernière ne touche le sol.

« C’est pas juste, maugréa le jeune félin, elle était presque à terre !

- Mais tu l’as manquée ! répliqua Mouche avant de reprendre sa chansonnette, Rat n’est qu’un nullos ! »

Le chaton unicolore baissa les yeux lorsque son frère déchira sa proie. Tant pis… Pesta-t-il. J’en trouverai bien une autre pour Myrtille. Il jeta un rapide coup d’œil en direction de sa mère. La chatte bleue se léchait nonchalamment le poitrail, couchée, le poil baigné d’un doux soleil annonçant bientôt une bonne saison. Elle semblait si calme, si détendue. Rat fut tenté d’aller se blottir contre elle, mais il savait qu’il risquait un bon coup de griffe. Malgré tout, il aimait sa famille telle qu’elle était. Il espérait secrètement qu’en lui apportant quelque chose lui faisant plaisir, elle l’aimerait à son tour, comme elle aimait Mouche. Le vent apporta une nouvelle odeur, cette d’un chat. Rat se releva aussitôt, pétillant d’excitation comme tout chaton âgé de deux lune découvrant un nouveau jeu. Pourtant, ce n’était pas un jeu, -Myrtille lui avait bien dit des milliers de fois qu’il était trop vieux pour se comporter aussi bêtement- mais un nouveau venu. Il se tapit au sol, sa queue remuant dans tous les sens d’excitation, puis banda ses maigres muscles et accourut en direction des frondes qui bougeaient déjà. Rat poussa un miaulement de bonheur lorsque le nouveau venu apparut. C’était un massif chat à l’abondante fourrure dorée couvert de diverses cicatrices, symbole de sa puissance. Il possédait des yeux noisette, et une maigre souris dans sa gueule. La proie avait beau être trop petite pour rassasier les quatre félins -donc, servir de repas au chaton noir- une étincelle d’émerveillement éclaira ses prunelles or.

« Lion ! » s’exclama-t-il, traversé d’une joie sans limite.

Pourtant, lorsqu’il vit l’expression sérieuse qui déformait les traits du nouveau venu, ainsi que le vieux matou gris possédant une patte en moins qui le suivait, le jeune félin stoppa sa course folle.

« Que se passe-t-il ? miaula le chaton emprunt d’inquiétude.

- Rat, répondit Lion, il faut que je parle à ta mère. Laisse-nous. »

Le chaton se figea, empli de tristesse. Il ouvrit la gueule pour demander à son oncle pourquoi celui-ci semblait si préoccupé une seconde fois, mais Lion le fit taire d’un regard sévère. Le chat errant se dirigea vers Myrtille qui avait interrompu sa toilette, le poil hérissé par la tension présente. Mouche la rejoignit, la queue bien haute, signe de sa fierté, mais cette fois, sa mère le chassa d’un feulement. Rat observa son oncle s’approcher de la chatte bleue, l’inconnu sur les talons. Le chaton remarqua alors que le félin gris-sale possédait une oreille dans un horrible état. Je me demande s’il a autant de cicatrice sur le museau que Lion… Se dit le petit chat noir. Il regretta de ne pas avoir fait plus attention aux traits du nouveau venu, il aurait eu sa réponse. Sûrement pas… Lion est le plus fort, il possède bien plus de cicatrices et n’est pas un vieux débris comme cette chair à corbeau ! Fier de cette pensé, Rat bomba le torse, mais sursauta lorsque Myrtille émit un autre feulement, mais plein de colère.

« Pas question ! cracha cette dernière, qu’importe ce qu’il veut, c’est hors de question ! »

Le frêle matou noir de jais tendit l’oreille, aux aguets.

« Je t’en supplie, rétorqua Lion, nous n’avons pas le choix ! Et puis, ne me dis pas que tu t’y es attachée !

- Peut-être bien, répliqua Myrtille, peut-être bien que non. Mais pas question que ces deux lunes de gibier aient été gaspillées maintenant !

- Tu connais la loi ! s’exclama son frère, les plus forts gagnent ! Si nous faisons preuve de faiblesse maintenant, c’en est fini pour nous !

- Pour toi, tu veux dire ! Sache que j’ai perdu deux lunes de ma vie à élever ces deux bouches inutiles à nourrir. Nous avons dû plus chasser, plus être sur nos gardes, et maintenant, tu es en train de nous dire que tous ces efforts n’ont absolument servi à rien ! Alors, c’est non, tu ne lèveras pas la patte sur eux sans me passer sur le corps !

- Oh, mais vous êtes tous concernés », souffla l’étrange chat gris, prenant subitement la parole.

Rat sursauta au son de sa voix. Il fut parcourut d’un frisson étrange qui lui arracha un petit gémissement. En effet, la voix de l’étrange félin était aussi inhabituelle que lui, mais presque plus. Elle ne sonnait ni grave, ni aiguë, ni forte, ni ténue. C’est comme si elle résonnait dans ma tête… Remarqua le chaton. Pourtant, sa réaction ne passa pas inaperçue. Lion et Myrtille se tournèrent en sa direction tel un seul chat. Le matou gris aussi. Rat eut un nouveau miaulement paniqué en voyant ses yeux. Deux orbites d’un noir bien plus foncé que le pelage jais du chaton l’observaient. Il recula lentement, les oreilles aplaties contre sa nuque et frissonnant de peur.

« Rat, murmura Lion d’une voix douce, tout va bien, petit… »

Le chaton se détendit aussitôt et s’approcha de son oncle d’un pas hésitant, ne quittant pas des yeux le matou gris qui le fixait toujours de son regard vide.

« Intéressant, miaula ce dernier, alors mes doutes étaient fondés… La vision claire se transmet bien de génération en génération.

- Non ! cracha Myrtille en se plaçant devant son fils, j’ai déjà perdu mon compagnon, alors rêvez toujours pour toucher ne serait-ce qu’une griffe de mes fils !

- Non, juste lui, répliqua l’inconnu, son frère ne l’a pas. »

Il désigna du bout de sa queue Mouche qui observait la scène sans comprendre. Ou plutôt sans ne rien voir.

« Tu ne le vois pas ? s’exclama le chaton unicolore en direction de son frère.

- Voir quoi ? répliqua ce dernier d’un ton exaspéré.

- Mais ses yeux ! » hurla Rat, son duvet dressé sur son dos.

Il se figea devant le regard grave de sa famille. Lion s’approcha à pas lent de son neveu, puis lui demanda :

« Toi aussi, tu les vois et entends ? Ses yeux noirs et sa voix étrange ? »

Le chaton hocha docilement la tête. Il lança un regard suppliant à son oncle, puis à Myrtille. Sa mère se contenta de remuer les oreilles, signe de son incompréhension. Elle ne le voit pas ?

« Lion, lâcha le chat gris, tu connais ma mise en garde. Tue-le, ou il te tuera, tu le sais. »

À ces mots, il fit volte-face et se dirigea en dehors de la clairière qui servait de camp à la petite famille. Il se retourna un instant, laissant son regard vide dériver entre Rat et la matou or, puis, disparut enfin entre les fougères. Lion jeta un coup d’œil empli de sous-entendus à Myrtille, puis il sortit comme à regret les griffes. La chatte bleue fut plus rapide. D’un coup précis, elle abattit sa patte sur l’œil noisette du chat errant. Celui ferma la paupière par réflexe, protégeant son globe oculaire, mais la coup de sa sœur lui laissa une profonde lacération sur le museau. Il se figea de surprise, laissant à Myrtille l’occasion de lui porte un nouveau coup. Cette fois-ci elle rentra les griffes et visa la tempe. Le coup violent assomma Lion qui s’effondra au sol.

« Désolé frérot, miaula la jeune mère, mais on ne touche pas à mes chatons ! Tu devras me tuer avant. »

À ces mots elle fit volte-face à son tour et prit Rat par la peau du coup. Le chaton, trop traumatisé par les évènements qui venaient de se dérouler se laissa faire. Mouche le suivant sans comprendre, il laissa sa mère l’éloigner. Rapidement, la clairière disparu au loin, Lion aussi.

Chapitre 17[]

« Oui, cracha Rat, et je me souviens surtout de ce que tu as fait à ma mère ! »

Lion détourna le regard, l’air faussement peiné. Mais le matou noir n’était pas dupe, le battement de queue agacé de son oncle le trahissait. Finalement, le matou or releva la tête et reprit :

« Elle ne m’a pas laissé le choix…

- Tu ne l’as même pas tuée de tes propres griffes, répliqua son neveux.

- Ta mère -et donc ma sœur- avait été très claire… se défendit le chat errant.

- Tu n’as pas eu à te salir les pattes ! feula le jeune félin.

- Myrtille m’avait dit qu’il faudrait la tuer si je voulais pouvoir t’approcher !

- Tu as simplement demandé à tes deux tueuses de faire le sale boulot, lâcha Rat, le pelage en bataille.

- Je n’ai fait que ce que ta mère m’avait demandé, répliqua Lion d’un ton catégorique tout en remuant les oreilles d’une fausse exaspération.

- Tu déformes ce qu’elle t’a dit ! hurla-t-il, n’en pouvant plus. Elle n’a fait que me protéger, et tu as demandé à ces tueuses de l’achever ! Alors que c’était ta sœur ! »

Le matou or inclina la tête, ne le quittant pas de ses yeux noisette. Tout autour d’eux, la foule de chats errants n’avait manqué un seul mot de la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Des murmures brisaient le silence, mais leur chef les fit taire d’un geste nonchalant. Son regard balaya les félins sous ses ordres, puis, d’un mouvement de tête, indiqua à l’un d’eux d’approcher. Mouche, la queue haute, sortit de la mêlée, et vint s’asseoir à côté de son oncle. Le matou bicolore bomba le poitrail, fier de lui et de ses nouvelles blessures, indiquant qu’il posséderait bientôt d’importantes cicatrices. Tout ce sang rappela à Rat à quel point il devait avoir l’air mal en point, aussitôt, le monde se mit à tourner. Je suis fou… Pesta-t-il intérieurement. Et surtout, pas en état à tuer Lion, même si j’ai l’effet de surprise à mon avantage…

« Oui, reprit le matou or, Myrtille était ma sœur. Mais Mouche ton frère, pourtant, il n’hésiterait pas à te tuer. N’est-ce pas ?

- Bien sûr ! répondit ce dernier d’un ton arrogant.

- Mais Mouche n’est qu’un imbécile, répliqua le matou noir. Il te suit comme un petit chat domestique et est incapable de lever la griffe sur qui que ce soit excepté moi. Enfin, je devine que maintenant, tu n’oseras pas, après la raclée que je t’ai mise, petit frère. »

Le matou bicolore poussa un rugissement de fureur et se jeta tête baissée sur Rat. Ce dernier, les griffes déjà sorties, banda ses muscles, l’adrénaline parcourant déjà chaque parcelle de son corps. Sa fourrure jais plaquée contre sa peau, signifiant que contrairement à son frère, il ne cherchait à intimider personne. Dès que Mouche fut assez prêt pour pouvoir le toucher, le matou noir roula sur le côté. Son mouvement rouvrit quelques blessures à peine refermées maculant déjà son poil de sang. Le félin noir et brun se retourna à la vitesse d’une vipère, son museau déformé par la douleur que lui causaient ses blessures encore fraîches. Eh bien, nous sommes deux à souffrir… Souffrons ensemble, mourrons ensemble. Rat savait bien que c’était du suicide de venir jusqu’ici, pourtant, il y était allé, conscient qu’il n’en réchapperait pas. Son plan initial était de traîner avec lui Lion dans la tombe, mais c’était sans compter toutes les blessures que Bleue et Verte lui avaient infligées. Leurs yeux vides vinrent à nouveau hanter le matou noir. Ce n’est pas en m’apitoyant sur le sort de ceux que j’ai tués que j’avancerai… Et puis, Verte l’a bien dit, tous les chats se battent. Murmura-t-il intérieurement. Rat se releva en vitesse et se propulsa en direction de son frère. Il est temps d’en finir. Seulement, ce ne fut pas une fourrure noire et brune que ses griffes rencontrèrent. Mais un poil or comme ses yeux. Lion le renversa d’un mouvement d’épaule et lui faucha les pattes pour le faire basculer au sol. Son oncle s’était interposé entre ses neveux, mais pas pour sauver le matou noir, au contraire.

« Si tu te souviens de moi, murmura-t-il assez bas pour que seul Rat puisse l’entendre, alors tu sais que tu ne peux rester en vie. »

Le chat errant marqua une pause. Il mit son épaisse patte dorée sur l’épaule du matou unicolore, et appuya assez fort pour le maintenir au sol. Puis, il reprit d’une voix forte pour que tous l’entendent.

« Mouche s’est conduit en vrai chat, il a décidé de rejoindre les rangs des vainqueurs. Alors que toi, tu as choisi de fuir. Si tu étais un vrai félin, légitime, et méritant ta place dans la forêt, tu serais resté. Tu te serais battu. Pourtant, Rat, tu t’es enfui, comme un vulgaire matou domestique, ronronnant toute la journée auprès des bipèdes en espérant avoir ne serait-ce une seule miette de nourriture, Lion s’arrêta à nouveau faisant mine de réfléchir avant de reprendre. En fait, non, tu ne vaux même pas un chat domestique. »

L’assemblée de chats se mit à murmurer, emplie de haine et de mépris envers le petit félin au centre de la clairière. Il se sert de moi pour assurer son pouvoir ! Son neveu voulut ouvrir la gueule, mais le matou or, d’un mouvement imperceptible, bascula une plus grande partie de son poids sur l’épaule du félin, menaçant de briser cette dernière.

« Et tu arrives, ici ! miaula le chef du Groupe, tu arrives en croyant pouvoir… Pouvoir quoi, au juste ? Me forcer à m’excuser pour avoir tué une chatte aussi faible que toi ? »

De nouveaux ricanements parcoururent la foule. Mais cette fois, Lion ne reprit pas. Il se contenta de lever son autre patte pour que tous la voient, en particulier Rat. Ses griffes étincelaient au soleil. Son neveu aurait pu fermer les yeux, mais il continua de fusiller le félin qui lui servait d’oncle du regard. La famille ne fait pas tout… Non, elle ne fait rien du tout. Il préférait mourir, en indigne, déloyal, ne valant pas mieux qu’un chat domestique que d’être comme Lion. Il aurait suffit d’un battement de cœur pour que les griffes de son oncle s’abattent sur sa gorge, lui ôtant la vie sur le coup, ou lui offrant une lente agonie emplie de souffrance. Mais c’était déjà trop, bien trop.

Chapitre 18[]

Un éclair de fourrure écaille-de-tortue passa en trombe, ne laissant plus aucune trace de Lion. Rat se releva, aussitôt sur pattes, et croisa les yeux empli de stupéfaction de Mouche. À quelques longueurs de queue de renard, non loin, un éclair or attira le regard du matou noir. Ce dernier resta figé de stupéfaction. Son oncle était en plein combat avec le dernier félin au monde qu’il aurait imaginé lui sauver la vie. D’une ruade, Lion se débarrassa de son assaillante et s’éloigna d’elle stupéfié.


« Amarante ? s’exclama-t-il, comment oses-tu m’attaquer ? Tu tiens tant que ça à mourir ?!


- Je ne suis quand même pas aussi stupide, répliqua-t-elle en jetant un coup d’œil complice à Rat. Avoue, je joue quand même bien les diversions ! »


Presque aussitôt, un miaulement rageur et familier s’éleva depuis l’entrée du camp et une chatte grise mouchetée de clair déboula pour se jeter à la gorge du félin le plus proche. Le matou noir réussit à voir le pelage tricolore de Vipère et celui gris sale de Plume. Le petit groupe de félins se battait comme dix, créant un mouvement de panique dans l’assemblée ennemie.


« Ah oui, ajouta Amarante, j’ai aussi croisé des amis en chemin. J’espère que tu ne m’en veux pas ! »


Lion se jeta sur elle, mais la chatte écaille-de-tortue était déjà à l’autre bout de la clairière. En quelques bonds agiles, elle se retrouva face à Rat.


« Tu comptes rester planté là à m’observer ? miaula malicieusement la chatte errante. Je sais que je suis magnifique, mais je ne pensais pas à ce point !


- Pourquoi est-ce que tu m’aides ? répondit-t-il simplement.


- Disons que tu ne m’as pas tuée, j’ai donc une dette à éponger si je veux pouvoir dormir tranquille ! »


À ces mots, elle donna un petit coup de queue sur la truffe du félin jais, et disparut dans un éclair de fourrure écaille-de-tortue. Amarante se dirigea vers l’assemblée, puis scanda d’une voix forte.


« Tous ceux qui veulent rester des sbires, sans liberté, luttant pour obtenir ne serait-ce qu’une seule part de gibier et vivant dans la peur d’être seul, comme de vulgaires chats de Clans, faites ce que vous voulez ! Les autres, avec moi, tous sur Lion ! »


Des murmures parcoururent la foule, mais aucun chat ne bougea. La chatte errante grommela une phrase comme "il faut vraiment tout faire soi-même, ici !" puis fit volte-face et se jeta sur le chef. Seulement, une femelle blanche aux extrémités brunes lui barra la route. D’autres félins rejoignirent la nouvelle venue, les griffes sorties. Amarante n’hésita pas une seule seconde et se jeta sur le chat le plus proche d’elle. Comme sortant d’une transe, Rat se rendit compte qu’il fonçait dans la mêlée lorsqu’un rouquin au ventre d’un blanc immaculé, ressemblant beaucoup trop à Saule au goût du chat errant, le percuta. Le matou noir se contorsionna pour lui échapper, mais le matou bicolore lui lacéra le ventre de ses pattes arrières, soulevant des gerbes de sang sur l’herbe déjà teintée de rouge. Le matou noir se prépara à riposter, mais son adversaire fut attiré dans la mêlée par un autre félin inconnu. En effet, le petit discours d’Amarante semblait avoir porté ses fruits. Le chat errant regarda autour de lui, tous les félins se battant lui étaient inconnus, aucune trace de Furie, Vipère, Plume ou bien Constellé. Mais j’ai encore des compter à régler… Rat se faufila aussi rapidement que le lui permettait sa petite taille entre les félins bagarreurs. Une chatte noire possédant une tache blanche sous le poitrail tenta de lui barrer la route, mais elle fut rapidement emportée par la mêlée. Le chat errant roula sur le côté alors qu’un autre félin, couleur écorce cette fois-ci, lui sautait à la gorge. Il zigzagua entre les combattants, donnant des coups de griffe çà et là, mais ne trouva aucune trace de Lion. Son oncle semblait s’être volatilisé. Lâche… Grogna-t-il intérieurement. C’est alors qu’un éclair de fourrure familier attira son attention. Rat se remit en route, esquivant habilement tous les bagarreurs. Enfin, légèrement à l’écart de la bataille qui faisait rage, il aperçut Constellé. Le matou noir et blanc se battait comme dix, face à un adversaire des plus inhabituels. Mouche poussa un grognement lorsque le petit chat lui lacéra le ventre.


« Lâche-le », demanda gentiment le matou jais.


Constellé se figea, et tourna ses yeux écarquillés vers Rat. Une sorte d’échange silencieux eut lieu, puis, le petit félin repartit dans la mêlée. Le frère du matou unicolore se releva péniblement tout en le fusillant du regard.


« Tu n’es qu’un faible ! » cracha Mouche avant d’être interrompu par une quinte de toux. Un filet de sang et quelques touffes de fourrures furent projetées dans la poussière. « Et un lâche !


- Plus que Lion ? répliqua son frère, parce que lui, il a prit gentiment la fuite en te laissant te battre seul. Le courage, c’est de famille ? »


Le félin bicolore poussa un feulement en dévoilant ses crocs. Mais il n’attaqua pas, au contraire, il fit volte-face et détala dans les fourrés la queue entre les jambes. Rat regarda son pelage brun et noir être avalé par la végétation luxuriante, soudain conscient qu’il ne reverrait sûrement jamais plus son frère. Pourtant, son cœur ne se serra pas, il ne ressenti aucune tristesse. Mouche était pour lui plus un chat errant qu’un membre de la famille. Le matou noir soupira, puis se retourna lentement prêt à retourner au combat. Mais il se figea. Une nouvelle odeur parvint à ses narines. Malgré le fumet métallique du sang, la piste était fraîche. Lion est parti par ici. Rat jeta un dernier coup d’œil en direction de la mêlée. Aucune trace d’Amarante ou Furie. Tant pis, pesta-t-il intérieurement avant de suivre la trace de son oncle.





Lion s’était éloigné de son camp par un petit sentier dissimulé par des frondes. Assis entre les racines d’un pin, son pelage or miroitant au soleil, il léchait ses quelques plaies, perdu dans ses pensées. Rat, les muscles bandés, prêt à bondir surveillait depuis un moment chacun de ses mouvements. Il vérifia une énième fois que la trajectoire du vent jouait en sa faveur. Son oncle n’avait aucun moyen de savoir qu’il l’avait retrouvé. Le chat aux yeux or sorti les griffes. S’il ratait son coup, cela risquerait de lui coûter la vie. Le matou noir attendit encore quelques battements de cœur, puis bondit. Il arqua sa colonne vertébrale gagnant quelques précieuses longueurs de queue de souris. Le temps semblait s’écouler au ralenti, tandis que Lion se rapprochait de plus en plus. Rat heurta violemment le sol, s’étalant dans la poussière jonchée d’aiguilles de pin. Il se releva, crachant un peu de terre. À ses côtés son oncle l’observait d’un air amusé.


« Ne me dis pas que tu croyais pouvoir m’avoir aussi facilement ? » cracha-t-il.


Le matou noir ne perdit pas une seconde, il se jeta sur le félin or. Une nouvelle fois, il heurta le sol. À ses côtés, Lion s’assit, observant attentivement son neveu. Mais qu’attend-il ?! Rat dévoila ses crocs, essayant de lui arracher ne serait-ce qu’une touffe de poils. Mais le chat errant s’était déjà volatilisé. Le solitaire fit volte-face, tentant vainement de toucher son oncle. Seulement, ce dernier ne cessait d’esquiver en usant de techniques plus agiles les unes que les autres. Une sensation de malaise de plus en plus vivace gagnait lentement Rat, tandis qu’il s’efforçait de repérer son adversaire. Il se stoppa violemment, ses poils noirs se hérissant le long de son échine.


« Alors, mon cher neveu, miaula malicieusement Lion, tu te fatigues déjà ?


- J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt… » cracha l’intéressé en levant ses yeux dorés vers ceux de son oncle.


Les yeux autrefois écorce de ce dernier étaient maintenant plongés dans un noir d’encre, tel un trou sans fond. Ce même noir d’encre qu’il avait vu chez l’étrange chat gris ou chez les félins de son rêve. Les yeux de quelque chose qui semblait en avoir après lui et sa "vision claire".


« Que me veux-tu !? feula Rat en dévoilant les crocs.


- Tu dois bien t’en douter, répliqua son interlocuteur de sa voix sans timbre. Je t’ai proposé un marché, tu l’as refusé, il y a des saisons de cela. Ton oncle m’a été d’une aide précieuse ces dernières lunes, je l’ai aidé à devenir ce qu’il est.


- Un monstre sans cœur ? ironisa le matou noir de jais.


- Il est vrai que Lion n’est qu’un monstre sans cœur, concéda-t-il. Mais toi, tu dois avoir compris ce que je te veux, et pourquoi j’aimerai te proposer mon aide.


- Qu’est-ce que la vision claire ? s’enquit Rat, méfiant.


- Très peu de chats peuvent me voir, répondit-il, pour tout t’avouer, ta famille est la dernière à porter ce don.


- C’est donc pour ça que vous voulez tous ma mort, compléta le solitaire.


- Lion veut ta mort car il sait que si je passe un pacte avec toi, il se retrouvera sans ma protection.


- Je ne veux pas de tes marchés, ou encore moins de tes pactes stupides, je me fiche bien de pouvoir te voir ou non, Lion a tué ma mère, c’est tout ce qui m’importe.


- Très bien, céda l’étrange félin, sache juste que contrairement à toi, j’ai toute l’éternité devant moi, alors…


- Il n’y a pas d’alors, le coupa Rat, j’ai dit que je ne voulais pas de ton aide, que ce soit maintenant, dans dix saisons, ou jusqu’à ma mort !


- Ta détermination me rappelle presque mon frère, soupira-t-il. Je devine que je ne pourrais pas te faire changer d’avis.


- Aucune chance, » cracha le matou noir.


Lion ne répondit pas. Les ténèbres qui habitaient son regard disparurent complètement et il s’effondra au sol, secoué d’un spasme. Ses yeux noisette réduits en deux fentes noires, habités d’une terreur sans nom, se posèrent sur Rat. Son neveu banda ses muscles, prêt à une attaque surprise qui ne vint jamais. Le matou or voulut dire quelque chose, mais seul un miaulement rauque s’échappa de sa gorge. Quelque chose de liquide et chaud heurta la patte du matou noir. Ce dernier la retira vivement avant d’apercevoir un filet rouge tracer un chemin ensanglanté dans la poussière de la forêt. Un nouveau spasme secoua Lion avant qu’il ne se fige à jamais, ses yeux dénués de vie posés sur Rat. Tout autour de sa gorge finement tranchée, sa fourrure or s’était teintée de pourpre.


Épilogue[]

Lion. Il n’avait pas choisi ce nom, et n’en avait jamais voulu. Mais dès que tous apprirent la mort de son oncle, tous crurent qu’il l’avait tué, seuls Furie, Constellé et Amarante étaient au courant de l’étrange scène qui s’était alors déroulée. Poussé par ses amis, Rat -non, Lion- s’était retrouvé à la tête du Groupe, aussi bien nommé Bande de Lion. Furie lui avait bien expliqué pourquoi il se devait de mentir et prendre la tête, à son plus grand regret, de ce grand groupe. Trop étrange pour être réels, les évènements qui s’étaient déroulés ce jour-là se devaient de rester secret, tout comme l’existence de ce félin-ombre qui passait des pactes, protégeait -et tuait- n’importe qui. Quant à Mouche, il semblait s’être volatilisé à jamais. Le Groupe, lui, sans chef, risquait de vite devenir hors de contrôle, faisant de la forêt un véritable charnier. Hélas, être chef d’un groupe aussi instable impliquait d’immenses sacrifices pour pouvoir garder le respect des siens. À commencer par se faire affirmer auprès des chats errants de la pinède, comme par exemple Nuage Rouge, bien que cette dernière soit tout bonnement infernale en faisant entrer des patrouilles du Clan du Tonnerre à l’intérieur même du Camp. Lion leva les yeux vers le ciel orageux. Le froid gagnait la forêt, et l’air humide annonçait l’arrivée imminente d’une averse. Le vent, plus violent que jamais, secouait la pinède, délogeant les aiguilles des pins qui retombaient sur les félins au centre du Camp. Une chatte grise bondit à ses côtés, sur la pierre qui surplombait une partie de la clairière.

« Alors mon p’tit Noiraud, miaula Furie en s’asseyant à ses côtés, t’jours aucune trace d’cette peste de Nuage Rouge ?

- Heureusement, non, soupira-t-il, espérons que nous n’ayons plus à entendre parler d’elle.

- Elle a forcément rejoint ce fichu Clan, répliqua Amarante surgissant de nulle part comme à son habitude. Sinon, Plume m’a signalé que les chats domestiques sont plus énervants que d’habitude… Ils ne peuvent pas rester chez leurs bipèdes ?

- Va savoir, répondit Furie, si ça s’trouve, ils sont aussi stupides qu’leurs bipèdes. »

Une branche ploya anormalement au dessus d’eux. Les trois félins levèrent la tête, trop tard, un poids percuta violemment le chef. Entraîné par son élan, il chuta de son rocher avant de finir sa course dans la poussière, au centre de la clairière.

« Vipère, qu’fais-tu ! s’exclama Furie alors que sa sœur rejoignait Lion.

- Je pense qu’il est temps pour nous d’avoir un chef légèrement plus farouche que ce pauvre chaton, répliqua la femelle gris-blanc.

- Tu es folle ? feula Amarante en rejoignant le matou noir d’un bon agile.

- Non, juste réaliste. »

Lion eut à peine le temps de se relever qu’un imposant groupe de chats déboulait dans la clairière maintenant pleine à craquer. À leur tête, un jeune matou d’un blanc immaculé muni d’un collier rouge vif traversait le Camp, un air satisfait peint sur son museau.

« Traîtresse ! » cracha Croc en se jetant sur Vipère.

Le jeune chat noir et blanc, membre de l’ancien groupe et empreint d’un grand respect pour le nouveau Lion se fit repousser par un imposant matou doré d’un seul coup de patte. Ce dernier possédait lui aussi un collier, comme tous les nouveaux venus. Ce sont tous des chats domestiques ! Croc se releva avant de se jeter sur son nouvel adversaire. Personne du Groupe ne bougea pour aller l’aider, ils se savaient en infériorité numérique.

« Arrête » ordonna Lion d’une voix forte. Aussitôt, le chat-errant lança un regard désolé au meneur avant de disparaître entre les félins du Groupe. Le matou noir leva les yeux vers le chat domestique blanc. « Que nous voulez-vous ?

- Simplement nous venger de ce maudit Clan du Tonnerre, répondit-il. Je me nomme Lune, et le félin qui a protégé Vipère, notre alliée, se nomme Soleil.

- Je ne pense pas avoir besoin de me présenter, miaula le chef , mais au cas où certains peureux ne se seraient jamais aventurés ici, je m’appelle Lion. Qu’est-ce qu’une bande de chats domestiques comme vous fait ici, et que voulez-vous ?

- Oh, juste quelques félins, cracha Lune. Lion, je te défie pour prendre la tête de ton groupe. »

L’intéressé hocha la tête, en signe de consentement. Il vit du coin de l’œil plusieurs chats sortir des rangs de la horde de chats domestiques. Sortant les griffes, Lion se prépara à l’attaque. Il savait ce combat vain et la défaite assurée, mais il se battrait jusqu’au bout, comme il l’avait toujours fait.

Fin

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