Wiki Vos histoires de LGDC
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Note de l'auteur[]

Cette histoire est un regroupement de nouvelles basées sur l'univers de la série "Néant". Elle raconte le quotidien de différents personnages secondaires et sera mis à jour de temps en temps pour en apprendre plus sur d'autres personnages de l'univers.

Merci de me demander avant d'apporter toute correction sur cette page, la relecture des chapitres est réalisée petit à petit et peut parfois prendre du temps.

Bonne lecture !

I- L'envol des lucioles[]

Partie 1[]

C’était une belle nuit. La lune brillait haut dans le ciel, pas encore tout à fait pleine mais juste assez pour déverser sa lumière blafarde sur la forêt. Les pâles rayons plongeaient le camp du Clan du Tonnerre dans une douce torpeur, illuminant l’herbe, donnant une atmosphère presque magique à la carrière leur servant de nid. Si cela n’aurait rien eu d’étonnant à voir les guerriers du Clan de l’Ombre vaquer à leurs occupations et s’agiter au milieu de la nuit entre les tanières, il était rare de voir autant de matous du Clan du Tonnerre éveillés à cette heure, discutant joyeusement autour du promontoire au centre de leur clairière. Tous attendaient avec impatience de voir un chat, une silhouette bien précise s’extirper de la tanière du chef de clan, surplombant le promontoire et la clairière plus généralement. Les chuchotements et commérages allaient bon train parmi les chats entassés.

« Tu te rends compte qu’elle a déjà dormi dans la tanière du chef alors qu’elle n’a même pas encore reçu ses neuves vies ? C’est scandaleux !
- Elle est tellement jeune, cela faisait à peine quelques jours qu’Étoile d’Aconit l’avait désignée comme lieutenante… comment pourrait-elle nous guider ?
- Bois de Genêt aurait dû être lieutenant à sa place ! Nous avons besoin de chats expérimentés à la tête du clan ! »

Les indignations et commentaires s'entrecroisaient parmi les chats de la forêt. Les queues s’agitaient nerveusement sur le sol herbeux et les coups d’œil inquiets s’échangeaient sans cesse. Tous affichaient une certaine appréhension. La mort d’un chef de clan, surtout d’une personnalité aussi illustre et marquante que celle d’Étoile d’Aconit n’était jamais un élément anodin. La chatte avait marqué des générations entières de guerriers venant du Clan du Tonnerre comme du reste du lac. Fine stratège, meneuse forte et têtue, personne n’avait jamais réussi à la faire taire, jusqu’à ce qu’elle pousse son dernier souffle et parte rejoindre leurs ancêtres dans la Toison Argentée. Beaucoup de matous, surtout des apprentis, se plaignaient de sa froideur et de sa grande sévérité, mais ne plus entendre ses miaulements rauques sermonner les novices un peu trop paresseux manqueraient à tous les guerriers du Clan du Tonnerre. La chatte avait trouvé la mort paisiblement, s’éteignant doucement durant son sommeil, perdant sa dernière vie au creux de son nid douillet. Il s’agissait bien de la seule consolation que pouvaient s’offrir les chats de la forêt, en comparaison à la mort tragique qui leur avait arraché leur précédent lieutenant, Saut du Chevreuil.
Le décès du valeureux matou avait ébranlé le clan quelques jours plus tôt. Saut du Chevreuil était aimé de son clan, c’était un guerrier valeureux, un lieutenant efficace et surtout un matou doté d’une grande empathie. Il aurait pu devenir le prochain chef du Clan du Tonnerre et aurait très certainement mené son clan avec fierté. Pourtant, le Clan des Étoiles en avait décidé autrement. Qui aurait pu s’attendre à ce que la neige tombe aussi durement sur la forêt ? Qui aurait pu prévoir que la roche se décroche des parois du camp ? Qui aurait pu prévoir l’avalanche qui avait recouvert la moitié de la clairière et avait emporté la vie de Saut du Chevreuil ? Personne. Absolument personne. Le camp portait encore les vestiges de ce moment funeste : la tanière des apprentis était à moitié ensevelie sous la neige épaisse. Les murs de ronce soutenaient difficilement la poudreuse mais les chats du clan avaient déjà commencé à nettoyer l’endroit, créant une trouée pour permettre aux novices de se rendre à l’intérieur.
Les miaulements et protestations continuaient de pleuvoir dans les rangs des guerriers du Clan du Tonnerre. Les noms d’Étoile d’Aconit, Saut du Chevreuil et Cœur de Lavande étaient dans toutes les gueules. Certains pleuraient les défunts, d’autres s’inquiétaient pour la future cheffe. Et, parmi tous ces piaillements insistants, une minuscule petite chatte gardait le silence, campée à l’entrée de la pouponnière. Ses grands yeux dorés brillaient dans l’obscurité, parcourant l’assistance du regard avec curiosité.

« Petite Luciole, ne reste pas là ! Tu vas attraper froid ! »

La chatonne ne put profiter plus longtemps de l’euphorie extérieure. Une queue tigrée l’entoura et l’obligea à rentrer au sein de la pouponnière. La torpeur de l’endroit l’enveloppa aussitôt et l’odeur du lait lui monta à la truffe. Des coups de langues râpeux parcoururent sa fourrure, elle se mit aussitôt à ronronner d’aise.

« Tu es encore trop petite pour sortir, la Mauvaise Saison est dure cette année, tu risques d’attraper le Mal Blanc.
- Jolie Narcisse, ne sois pas aussi angoissée ! Elle a bientôt deux lunes, il est normal qu’elle veuille explorer le camp.
- Nous reparlerons de cela lorsque tes petits seront nés, Pétale de Coquelicot. »

Jolie Narcisse, la mère de Petite Luciole, jeta un regard complice à sa camarade allongée sur le flanc, quelques longueurs de queue plus loin. La mise-bas de Pétale de Coquelicot n’était plus qu’une question de jours, son ventre gonflé l’empêchant presque de marcher.

« Tu sais qu’elle ne restera pas toute sa vie un chaton ? ronronna la rouquine, il faudra bien qu’elle sorte un jour de la pouponnière… et même du camp !
- Nous avons le temps, je ne veux pas la presser et la garder auprès de moi le plus longtemps possible… »

Jolie Narcisse fourra sa truffe dans le duvet gris de sa fille. Petite Luciole aurait aimé se rendre dans la clairière du camp mais elle ne voulait pas attrister sa mère. Elle aussi, elle aimait passer du temps avec elle, mais elle rêvait de sentir la neige sous ses pattes et de parler à d’autres personnes que Pétale de Coquelicot et Patte de Bambou. Cela n’échappait d’ailleurs à aucun des deux, Petite Luciole commençait à s’ennuyer, seule, dans la pouponnière. Seule Jolie Narcisse ne semblait pas remarquer cela, continuant de couver continuellement sa fille, surveillant le moindre de ses gestes, s’inquiétant au moindre miaulement un peu trop fort venant de la petite chatte grise.

« Tu penses que Bois de Genêt va devenir lieutenant ? s’exclama de nouveau Pétale de Coquelicot.
- Je ne sais pas. Mais je ne vois pas trop qui d’autre pourrait être nommé par Cœur de Lavande, répondit Jolie Narcisse, Cœur d’Ébène aurait été un très bon lieutenant mais il n’est plus…
- Je suis sûre que Cœur de Poussière pourrait être un excellent lieutenant, miaula la chatte rousse.
- Il est beaucoup plus jeune que Bois de Genêt…
- Et alors ? Cela se saurait si on évaluait la valeur de son chat à son âge ! Je te rappelle que notre future cheffe est bien plus jeune que nous deux !
- Un chat incapable de protéger son apprentie ne devrait pas pouvoir devenir lieutenant. »

Pétale de Coquelicot plissa ses yeux verts. Elle fouetta l’air de sa queue, agacée mais ne répondit pas, ne souhaitant pas déclencher une dispute avec sa camarade de tanière. Petite Luciole observait les deux femelles sans trop comprendre. Elle ne connaissait que peu Cœur de Poussière, le compagnon de Pétale de Coquelicot. Il passait de temps à autre voir sa bien-aimée et elle l’avait toujours trouvé gentil. Pas autant que Bois de Genêt, c’était sûr, mais elle ne comprenait pas la réflexion de sa mère. Cette dernière attrapa alors la petite chatonne par la peau du cou, la soulevant du sol. Petite Luciole couina et gesticula des pattes, elle détestait qu’on la porte ainsi.

« Il est l’heure d’aller dormir, Petite Luciole, les chatons ne doivent pas restés éveillés la nuit pour ne pas attirer les renards…
- Mais je voulais voir Cœur de Lavande aller à la Source de Lune ! couina la chatonne.
- Si tu t’endors maintenant, le soleil sera levé bien avant qu’elle ne reçoive ses neuves vies… allez ! »

Petite Luciole tenta de protester, en vain. Logée au creux du ventre de Jolie Narcisse, elle tenta de lutter quelques instants mais la fourrure douce de sa mère, l’odeur du lait et la chaleur l’enveloppant eurent raison d’elle et elle sombra bien vite dans les bras de Morphée.

Partie 2[]

Des miaulements enthousiastes et des bruits de pas précipités perturbèrent le sommeil de Petite Luciole. Elle agita doucement ses oreilles, se recroquevillant sur elle-même dans l’espoir d’atténuer le brouhaha, en vain. Le sommeil quitta peu à peu son corps jusqu’à ce que la chatonne ouvre finalement ses yeux dorés, comprenant bien que, malheureusement, sa nuit s’arrêterait ici. Elle bâilla à s’en décrocher la mâchoire et laissa son regard embrumé parcourir sa petite tanière douillette qui était étrangement vide. Le nid de Pétale de Coquelicot portait encore son odeur mais la chatte rousse n’était nulle part en vue, tout comme Jolie Narcisse. Perplexe, Petite Luciole mit plusieurs secondes à réaliser ce qu’il se passait : Cœur de Lavande devait très certainement être rentrée de la Source de Lune ! Un frisson d’excitation parcourut la fourrure grise de la chatonne et elle se précipita aussitôt vers la sortie de la pouponnière.
À peine son museau eut-il passé l’épaisse barrière de ronces qu’elle fut cinglée par le froid de l’extérieur. Petite Luciole hérissa son poil, essayant tant bien que mal de se protéger. La différence de température entre sa tanière et le camp était frappante. Une fois de plus, tous les chats du clan étaient réunis dans la clairière enneigée. Devant la chatonne se tenaient Jolie Narcisse et Pétale de Coquelicot, elles lui tournaient le dos. Les deux reines ne semblaient pas avoir remarqué sa présence, bien trop préoccupées par Cœur de Lavande qui venait d’escalader le promontoire. Heureusement pour Petite Luciole, la guerrière tigrée était en hauteur, elle pouvait donc la voir depuis l’entrée de la pouponnière sans avoir à s’aventurer entre les guerriers.
Cœur de Lavande se tenait bien droite sur le promontoire. La femelle semblait fatiguée mais ses yeux violacés étaient lumineux, elle était déterminée. Elle attendit quelques instants que les chuchotis parcourant la foule devant elle se calment, avant de finalement prendre la parole :

« Le Clan des Étoiles m’a acceptée comme cheffe du Clan du Tonnerre. Je me nomme désormais Étoile de Lavande et espère être à la hauteur des attentes de nos ancêtres. »

L’assemblée resta silencieuse. Les chats du Clan du Tonnerre se lancèrent des regards soucieux tandis que certains observaient solennellement leur nouvelle meneuse. Petite Luciole ne comprenait pas pourquoi les guerriers semblaient aussi peu enthousiastes. Elle, elle appréciait Étoile de Lavande même si Jolie Narcisse passait beaucoup de temps à se plaindre du désintérêt de sa demi-sœur pour fonder une famille et trouver un compagnon.

« Je sais que beaucoup d’entre vous restent sceptiques vis-à-vis de la situation, reprit la femelle aux yeux violets, mais je ne vous décevrai. Je ne peux pas me permettre de détruire tout ce qu’Étoile d’Aconit a construit. Maintenant, il est temps que je nomme le guerrier qui me secondera en tant que lieutenant. »

Une vague d’excitation parcourt les chats entassés. Jolie Narcisse et Pétale de Coquelicot se jetèrent un regard tandis que Petite Luciole essayait tant bien que mal d’ignorer le froid, les yeux rivés sur Étoile de Lavande. La meneuse prit une grande inspiration puis déclara :

« À partir d’aujourd’hui, Cœur de Poussière sera le lieutenant du Clan du Tonnerre. »

Des miaulements surpris résonnèrent dans la clairière. Pétale de Coquelicot poussa un long miaulement victorieux, faisant ondoyer sa queue rousse tandis que Jolie Narcisse sortit ses griffes, les plantant dans la neige recouvrant le sol. Petite Luciole était déçue. Même si elle appréciait beaucoup Cœur de Poussière, elle aurait été très fière que son père devienne le nouveau lieutenant du clan.
Hélas, elle n’eut pas plus le temps de s’interroger sur les décisions d’Étoile de Lavande. Agacée, Jolie Narcisse venait de faire volte-face et avait donc découvert Petite Luciole, installée à l’entrée de la pouponnière. La reine était restée hébétée quelques instants avant que son regard se durcisse.

« Qu’est-ce que tu fais en dehors de la pouponnière ? Je t’ai déjà dit hier de rester à l’intérieure ! Il fait trop froid.
- Je voulais voir Étoile de Lavande revenir au camp.
- Il fait trop froid, Petite Luciole, tu ne dois pas sortir, gronda la chatte blanche et tigrée, ton pelage est gelé ! Rentre tout de suite, je vais aller chercher Patte de Bambou pour être sûre que tu n’as rien attrapé. »

Petite Luciole voulut protester mais le regard assassin de sa mère l’en dissuada. Elle se contenta de pousser un petit soupir et de rebrousser chemin dans la pouponnière, sa première sortie ne serait définitivement pas pour aujourd’hui.

Partie 3[]

Des miaulements aigus résonnèrent au sein de la pouponnière. Il était impossible de les ignorer tellement ils étaient forts. Malgré ses pattes posées sur ses oreilles, Petite Luciole ne parvenait pas à atténuer le boucan insupportable qui l’empêchait de dormir. Elle voulut se tourner, trouver une autre position peut-être plus confortable pour espérer s’assoupir mais ne récolta que des grognements lorsqu’elle écrasa sans le vouloir la queue de Jolie Narcisse. En voulant s'écarter, elle donna un coup de patte dans la truffe de Petit Érable qui feula, la fusillant du regard.

« C’est pas assez pour toi, les couinements de Petit Lierre et Petite Pluie, qu’il faut en plus que tu me réveilles ? fulmina le chaton.
- Désolée… »

Depuis que Pétale de Coquelicot avait mis bas, Goutte de Sève avait également rejoint la pouponnière pour donner naissance à Petit Lierre et Petite Pluie. Depuis, il fallait le dire, ils manquaient tous cruellement de place. Pétale de Coquelicot avait essayé de convaincre Jolie Narcisse de passer quelques nuits dans la tanière des guerriers puisque sa fille était désormais grande, mais sans succès. La chatte blanche avait catégoriquement refusé, trop effrayée à l’idée qu’il arrive quelque chose à Petite Luciole durant la nuit. Cette dernière avait d’ailleurs abandonné l’idée de retrouver le sommeil.
D’humeur maussade, elle enjamba les corps endormis, agglutinés dans la pouponnière pour se diriger vers la sortie. L’air frais de la nuit vint aussitôt cingler ses moustaches, faisant frissonner chaque parcelle de sa peau. Elle prit une grande inspiration et leva les yeux vers la toison argentée, elle adorait la nuit. Elle se sentait étonnement apaisée dans l’obscurité, enveloppée dans la douce quiétude nocturne. Le silence n’était perturbé que par les doux ronflements de ses camarades et le ululement lointain d’une chouette. La chatonne laissa son regard dériver vers l’entrée du camp où se tenait Pluie de Rose, somnolant à moitié. Elle s’imagina une fraction de seconde se glisser entre les pattes de la guerrière grise pour s’aventurer dans cette forêt qu’elle rêvait tant de découvrir, avant de se raviser. Elle ne voulait pas inquiéter Jolie Narcisse. Sa pauvre mère serait tellement mal si elle se réveillait avant son retour au camp ! Petite Luciole soupira intérieurement, il lui tardait tellement de rejoindre la tanière des apprentis et de découvrir le monde.

« Qu’est-ce que tu fais debout à cette heure-ci ? »

Petite Luciole sursauta, elle n’avait pas réalisé que quelqu’un s’était approché d’elle et elle ne s’attendait surtout pas à voir son père, assis devant elle, ses yeux bleus brillant dans l’obscurité.

« Je n’arrivais pas à dormir… Petit Lierre et Petite Pluie n’arrêtent pas de miauler pour réclamer du lait et on est tellement nombreux que je ne trouve pas de position confortable pour dormir !
- Quelle dure vie de chaton, ronronna Bois de Genêt, espiègle.
- Ce n’est pas drôle ! J’ai vraiment hâte de devenir apprentie. Maman m’a promis que je le deviendrai avant le début de la Saison des Feuilles Vertes… les arbres sont remplis de bourgeons mais je m’appelle toujours Petite Luciole et je dors toujours dans la pouponnière !
- Sois patiente, cela arrivera plus vite que tu ne le crois. La tanière des apprentis est bien trop vide depuis que Plume de Coton et Aile de Cygne sont devenus des guerriers. Étoile de Lavande ne devrait pas tarder à organiser ton baptême.
- J’ai tellement hâte ! Je me demande qui pourrait bien devenir mon mentor… »

Petite Luciole se perdit dans ses pensées quelques instants, réfléchissant intensément avant de redresser sa tête, les yeux lumineux.

« Tu pourrais devenir mon mentor ! miaula-t-elle, enthousiaste.
- Étoile de Lavande ne nommera jamais un père mentor de ses chatons, répondit Bois de Genêt en secouant la tête, puis je ne voudrais pas avoir ta mère dans les pattes toutes les cinq minutes parce qu’elle s’inquiète pour toi.
- Tu crois qu’elle pourrait refuser que je devienne apprentie ? s’inquiéta la petite chatte.
- Non. Elle ne fera jamais cela mais elle s’inquiétera énormément pour toi, c’est sûr. Elle craint beaucoup trop qu’il t’arrive la même chose qu’à Nuage d’Orage. »

Son regard s’était assombri. Petite Luciole baissa la tête. Ses parents lui avaient de nombreuses fois parlé de Nuage d’Orage, sa grande sœur, décédée durant son apprentissage. Elle avait une santé fragile mais était douée à la chasse. Étoile d’Aconit l’avait confiée à Cœur de Poussière dans l’espoir qu’il l’endurcisse. Malheureusement, elle avait trouvé la mort lors de la dernière Saison des Feuilles Vertes lorsqu’une sécheresse terrible avait tari tous les cours d’eau, mettant le lac quasiment à sec. Elle n’avait pas survécu à cette canicule terrible et était morte. Jolie Narcisse ne s’était jamais remise de son décès et avait passé de nombreuses soirées à parler de sa chère et tendre Nuage d’Orage à Petite Luciole.

« Bon, assez parlé, il est temps de retourner dormir !
- Il n’y a pas de place dans la pouponnière… gémit Petite Luciole.
- Tu es à peine plus grosse qu’une souris, je suis sûr que tu trouveras une place… »

Du bout du museau, le grand mâle l’invita à regagner sa tanière, ce qu’elle fit à contrecœur. Elle salua son père une dernière fois en lui effleurant l’épaule du bout du museau et s’engouffra sous le rideau de ronces, soupirant aussitôt en entendant les ronflements réguliers de ses camarades de tanière.

Partie 4[]

« Tu me fais mal aux oreilles, Maman !
- Ton pelage est tout ébouriffé, je veux que tu sois impeccable, donc tiens-toi tranquille ! »

Sous les sermons de Jolie Narcisse, Petite Luciole se força à rester bien droite, grimaçant en sentant les coups de langue râpeux de sa mère lui cisailler l'arrière des oreilles. Elle n’osait plus bouger, par peur que la moindre touffe de poils de son pelage se rebelle. Hélas, il était dur de rester immobile tant l’excitation envahissait le corps de la petite chatte grise. Sa queue s’agitait nerveusement et elle ne pouvait s’empêcher de frissonner de bonheur en pensant aux évènements qui allaient avoir lieu dans quelques instants. La veille au soir, Étoile de Lavande s’était rendue jusque dans la pouponnière pour annoncer à Petite Luciole qu’elle deviendrait apprentie le lendemain matin. La chatonne avait hurlé de joie et sautillait dans toute la tanière sous les regards envieux de Petit Éclat et Petit Érable, qui avaient passé leur soirée à affirmer qu’ils méritaient de devenir apprentis cent fois plus que Petite Luciole puisque leur père était lieutenant. La mesquinerie du frère et de la sœur n’avaient pas pu affecter Petite Luciole qui débordait bien trop d’impatience et de joie pour se sentir blessée par les propos désobligeants des deux chatons roux. Elle n’avait quasiment pas pu trouver le sommeil, se tournant et se retournant sans cesse en se demandant qui pourrait bien être son futur mentor, ce que cela ferait de dormir dans la tanière des apprentis, si elle serait meilleure à la chasse ou au combat…

« Que tous ceux qui sont en âge de chasser s’approchent pour une assemblée du clan !
- C’est l’heure ! »

En entendant l’annonce d’Étoile de Lavande, Petite Luciole bondit en avant, ébouriffant aussitôt son pelage, tellement l’excitation était grande. Elle jaillit de la pouponnière, manquant de percuter Racine Tordue, qui passait à ce moment, et alla s’installer au pied du promontoire, l’œil brillant. Jolie Narcisse la rejoignit aussitôt, jetant un regard dur à sa fille.

« Tu as accroché ton pelage dans les ronces, gronda la femelle, c’était bien la peine que je prenne autant de temps à faire ta toilette ! »

Petite Luciole ne lui répondit pas, se contentant de rouler des yeux et de reporter son attention sur Étoile de Lavande. La cheffe du Clan du Tonnerre se tenait fièrement sur le promontoire rocheux, sa fourrure tigrée lustrée lui donnant un air impérial dans cette position. Voilà près d’une lune qu’elle était devenue meneuse et elle avait réussi à étouffer bon nombre des inquiétudes de ses guerriers. Elle était à l’écoute de son clan, organisée, et formait un excellent duo avec Cœur de Poussière qui avait rapidement gagné le cœur du Clan du Tonnerre par sa gentillesse et sa bravoure au combat. L’entièreté du clan avait oublié son indignation en apprenant que Bois de Genêt ne serait pas le prochain lieutenant, mise à part Jolie Narcisse qui nourrissait toujours une colère sourde pour Étoile de Lavande et Pétale de Coquelicot, qui pavanait chaque jour dans la pouponnière.

« La tanière des apprentis est désormais vide depuis plus d’une lune. Aile de Cygne et Plume de Coton ont rejoint les rangs des guerriers, il est donc temps que de nouveaux chats rejoignent les chemins de l’apprentissage des guerriers, déclara solennellement Étoile de Lavande, Petite Luciole, approche. »

Aussitôt, la petite chatte sentit l’entièreté des regards de ses camarades peser sur elle. Elle frissonna, intimidée en sentant ces dizaines de regards posés sur elle, mais trouva la force nécessaire pour avancer fébrilement devant la meneuse, tentant de garder la tête haute malgré le stress qui l’envahissait peu à peu.

« Tu es maintenant en âge d’arpenter ce nouveau chemin. Moi, Étoile de Lavande, cheffe du Clan du Tonnerre, j’en appelle à nos ancêtres pour qu’ils se penchent sur cette chatonne. Elle a maintenant six lunes et est en âge de se comporter en tant qu’apprentie. Petite Luciole, tu t’appelleras désormais Nuage de Luciole. Pelage d’Argile, approche. Tu as montré de nombreuses fois ta dévotion pour le clan, il est temps désormais que tu transmettes tout ton savoir et ton sens du devoir. Tu seras le mentor de Nuage de Luciole. »

Surprise par ce choix, Nuage de Luciole tourna timidement sa tête vers le guerrier roux qui venait de fendre la foule pour se poster devant elle. Il posa ses yeux vert sombre sur elle et approcha doucement sa tête pour frôler l’épaule de la petite chatte. Elle l’imita fébrilement.

« J’ai hâte que nous commencions ta formation. »

Le miaulement doux et chaleureux du guerrier réconforta Nuage de Luciole qui ronronna de plaisir avant de se tourner vers l’assemblée qui scandait désormais son nouveau nom. Elle bomba le torse, fière et débordante de joie. Tous semblaient pleinement heureux pour elle, sauf Jolie Narcisse, qui, même si elle scandait le nouveau nom de sa famille, portait sur elle un regard rempli de terreur.

Partie 5[]

« Tu es sûre que tu ne veux pas que je dorme avec toi ? Tu dois mourir de froid la nuit, toute seule dans cette immense tanière !
- Nous sommes en pleine Saison des Feuilles Vertes, comment voudrais-tu que je puisse mourir de froid ? Je n’ai pas besoin de toi !

- Tu es sûre ?
- Par le Clan des Étoiles, oui ! Laisse-moi rejoindre Pelage d’Argile, il m’attend pour l’entraînement. »

Désespérée par l’insistance de sa mère, Nuage de Luciole tenta de couper court à la conversation pour se diriger vers la sortie du camp. Pensant avoir enfin trouvé un moyen de s’éloigner de la femelle blanche, ce n’était sans compter sur son esprit de mère protectrice qui trouverait toujours le moyen de retenir sa fille au camp…

« Qu’est-ce que tu as à l’épaule ? Tu t’es blessée ?! s’affola Jolie Narcisse, tu es allée voir Patte de Bambou ? Attends, je vais nettoyer ta plaie…
- Mais ce n’est rien, bon sang ! Je me suis juste griffée à des ronces en traquant une souris ! Je ne vais pas aller déranger Patte de Bambou pour cela ! Laisse-moi tranquille maintenant, j’ai des choses à faire. »

Surprise par le ton sec de Nuage de Luciole, Jolie Narcisse resta silencieuse. Elle s’écarta du passage de sa fille qui lui passa devant sans un regard, agacée par son comportement. Voilà plus d’une lune qu’elle était devenue apprentie et Jolie Narcisse s’inquiétait toujours autant à chaque fois qu’elle quittait le camp. Pelage d’Argile avait dû négocier à de nombreuses reprises pour empêcher la chatte blanche d’accompagner sa fille lors de ses premières patrouilles frontalières, et si désormais, elle la laissait sortir du camp sans trop rien dire, Nuage de Luciole subissait un véritable interrogatoire à chacun de ses retours. Aujourd’hui encore, la guerrière avait trouvé une nouvelle source d’inquiétude en réalisant que sa fille dormait seule, qui serait là pour la réconforter si ses nuits étaient troublées par de terribles cauchemars ?
Nuage de Luciole avait essayé d’être patiente avec sa mère, comprenant son inquiétude en songeant au destin tragique qu’avait connu Nuage d’Orage, mais là, Jolie Narcisse interférait beaucoup trop avec son entraînement d’apprentie guerrière. Elle avait tenté d’en parler à son père, en vain. Même Bois de Genêt n’avait pu raisonner sa compagne sur son comportement qui clamait haut et fort qu’il était son devoir de prendre soin de sa fille car personne d’autre ne le ferait à sa place. Enfin, Jolie Narcisse veillait tellement sur Nuage de Luciole qu’à cause d’elle, cette dernière arrivait très souvent en retard à l’entraînement. Pelage d’Argile se montrait compréhensif avec son apprentie, mais la petite chatte grise le sentait, cela commençait également à l’agacer sérieusement. Ainsi, lorsque la chatte grise rejoignit enfin le Vieux Chêne, haletante, le regard sombre de son mentor pesa aussitôt sur elle.

« Je suis désolée… Jolie Narcisse m’a encore retenue au camp.
- Qu’est-ce qu’elle voulait cette fois ? demanda le matou, la voix remplie de lassitude.
- S’assurer que cela ne me gênait pas de dormir seule dans la tanière des apprentis.
- Par le Clan des Étoiles… Nuage de Luciole, il faut que tu parles avec ta mère, ce n’est plus possible.
- Je sais bien, mais elle n’écoute personne, pas même Bois de Genêt…
- Je vais en parler avec Étoile de Lavande, soupira le guerrier, elle prend trop de place dans ta vie, et cela sabote ton apprentissage, elle doit apprendre à laisser ses chatons vivre. »

Nuage de Luciole ne répondit pas, se contentant de baisser la tête. Elle comprenait l’agacement de Pelage d’Argile, mais elle espérait que cela n’attirerait pas d’ennuis à Jolie Narcisse, s’il décidait d’en parler à Étoile de Lavande.
En fin d’après-midi, lorsqu’ils rentrèrent au camp la gueule débordante de gibier, Pelage d’Argile se dirigea aussitôt vers la tanière d’Étoile de Lavande, laissant la tâche à Nuage de Luciole de déposer les proies sur le tas de gibier. Félicitée par Patte de Charbon qui la regarda passer depuis l’entrée de sa tanière. Hélas, sa joie fut de courte durée lorsqu’elle reconnut le parfum de sa mère, approchant à grands pas.

« Tu as dû porter tout cela toute seule ? Tu ne t’es pas fait mal au dos ?
- Non, Pelage d’Argile m’a juste laissée tout déposer dans la réserve, il est allé parler avec Étoile de Lavande.
- Pourquoi ? Quelque chose ne se passe pas bien pour ton apprentissage ? s’inquiéta la femelle.
- En quelque sorte… »

Jolie Narcisse n’eut pas le temps d’assaillir plus que cela de questions sa fille. Le rideau de feuilles à l’entrée de la tanière d’Étoile de Lavande venait de frémir pour laisser passer la meneuse aux côtés de Pelage d’Argile. Les deux félins se dirigèrent aussitôt vers Nuage de Luciole et Jolie Narcisse. La meneuse salua les deux chattes solennellement.

« Que se passe-t-il, Étoile de Lavande ? Il y’a un problème avec ma fille ? demanda aussitôt Jolie Narcisse, elle n’est pas en état de devenir guerrière ?
- Nuage de Luciole est tout à fait capable de devenir une redoutable guerrière, rétorqua la meneuse, Pelage d’Argile est satisfait de ses progrès.
- Alors quel est le problème ?
- Le problème est que tu l’empêches de s’épanouir complètement dans son apprentissage, Jolie Narcisse, s’exclama alors Pelage d’Argile, je suis satisfait parce qu’elle est douée, mais Nuage de Luciole est complètement bridée par ta faute. Elle arrive à chaque fois en retard aux entraînements et lorsqu’elle a des tâches à accomplir dans le camp, elle perd un temps fou à te rassurer sur le moindre détail, cela ne peut plus durer.
- Qu’est-ce que tu insinues, Pelage d’Argile ? Je m’inquiète pour ma fille, c’est tout ! Il est bien normale qu’une reine prenne soin de ses chatons, non ?
- Sauf que Nuage de Luciole n’est plus un chaton, intervint Étoile de Lavande d’une voix douce, tu dois la laisser prendre son envol, Jolie Narcisse.
- Et risquer qu’il lui arrive la même chose qu’à Nuage d’Orage ?!
- Il n’y aura pas de sécheresse cette année et Nuage de Luciole est en bonne santé, contrairement à sa sœur. Tu n’as pas à t’inquiéter. »

Étoile de Lavande posa le bout de sa queue sur l’épaule de la chatte blanche, tentant vainement de la rassurer. Cette dernière s’écarta, visiblement blessée par les paroles de sa meneuse. Elle tourna la tête vers sa fille, ses yeux verts brillant de chagrin.

« C’est vraiment ce que tu penses, Nuage de Luciole ? Je t’empêche de t’épanouir ? »

Sa voix s’était brisée à la fin de ses mots. Nuage de Luciole ne put lui répondre, les mots restants bloqués dans sa gorge. Elle ouvrit la gueule plusieurs fois pour parler en vain. Elle ne voulait pas faire de la peine à sa mère qui s’inquiétait juste pour elle, mais Pelage d’Argile et Étoile de Lavande avaient raison, cette situation ne pouvait plus durer. Devant le silence de sa fille, Jolie Narcisse comprit. La guerrière baissa pitoyablement la tête, comme si l’entièreté des malheurs de la forêt venaient de s’abattre sur ses frêles épaules.

« J’essaierai de faire plus attention à l’avenir, je ne voulais pas empiéter sur l’apprentissage de Nuage de Luciole, je m’inquiétais simplement pour elle…
- Je comprends, toutes les mères s’inquiètent pour leurs petits, répondit tendrement Étoile de Lavande, mais tu dois la laisser vivre, désormais.
- Oui, je comprends.
- Bien, allons prendre une proie sur le tas de gibier, non ? J’ai vu que Nuage de Luciole avait ramené un gros écureuil, nous pourrions le partager ! »

Jolie Narcisse acquiesça timidement. Du bout de la queue, Étoile de Lavande invita la femelle à se tourner vers la réserve, laissant Nuage de Luciole seule avec son mentor. Ce dernier remercia sa cheffe du regard, visiblement soulagé qu’elle ait réussi à résoudre le conflit aussi aisément. Nuage de Luciole, quant à elle, était bien loin de se sentir soulagée. Elle s’en voulait terriblement de voir sa mère aussi triste et espérait sincèrement que les choses s’arrangeraient rapidement.

« Ne t’inquiète pas, Nuage de Luciole, tu n’as rien à te reprocher. Ce n’est jamais agréable de voir son comportement remis en question par les autres, mais Jolie Narcisse est forte, elle aura oublié tout cela demain et tu pourras enfin parler avec elle de ton entraînement sans qu’elle s’inquiète à chaque phrase. »

Nuage de Luciole opina mollement de la tête, moyennement convaincue par les paroles qui se voulaient réconfortantes de son mentor. Cependant, elle ne répliqua pas, se contentant de prendre une proie sur le tas de gibier pour se restaurer et rejoindre au plus vite sa litière pour s’y rouler en boule toute la nuit.

Partie 6[]

Les lunes étaient passées depuis la confrontation entre Jolie Narcisse et Nuage de Luciole. Bien qu’attristée, la guerrière semblait avoir appris de ses erreurs et entretenait une relation beaucoup plus saine avec sa fille, désormais. Elle aimait toujours passer du temps avec elle sans toutefois l’étouffer même si, Nuage de Luciole le savait, Jolie Narcisse se retenait de ne pas lui poser mille et une questions à chaque fois qu’elle revenait de la forêt. La jeune chatte appréciait beaucoup plus son apprentissage désormais, prenant un immense plaisir à traquer dans les bois et s’entraîner avec Pelage d’Argile. Les deux félins s’entendaient à merveille, ils partageaient la même passion pour la chasse et adoraient passer du temps ensemble. Nuage de Luciole n’aurait pas pu rêver un meilleur mentor. Fort heureusement pour elle d’ailleurs, elle pouvait passer beaucoup de temps avec lui. Car, il fallait tout de même l’avouer, la solitude dans la tanière des apprentis lui pesaient. Depuis quelques temps déjà, elle avait été rejointe par Nuage d’Éclat et Nuage d’Érable, mais les deux chats à l’égo surdimensionné ne lui adressaient que peu la parole, se contentant de la dévisager lorsqu’elle pénétrait dans la tanière des apprentis. Nuage de Lierre et Nuage de Pluie avaient suivi depuis peu, s’installant côte à côte dans la tanière, mais Nuage de Luciole n’était pas proche du frère et de la sœur qu’elle n’avait jamais fréquentés. Ainsi, en voyant les fratries s’entraîner en duo, partant en petite patrouille avec leur mentor respective, un profond sentiment de solitude avait commencé à s’installer dans l’esprit de la chatte grise. Jusqu’ici alors, elle n’avait jamais ressenti l’envie de partager sa litière avec quelqu’un d’autre mais, désormais, elle rêvait d’avoir un camarade dont elle serait assez proche pour se confier, autre que sa mère ou son mentor.
C’est en songeant une fois de plus à cela que Nuage de Luciole avait regagné sa tanière, alors que le ciel s’obscurcissait peu à peu et que la lune montait paisiblement dans le ciel. Pelage d’Argile avait passé son après-midi à lui enseigner des techniques de combat en grimpant dans un arbre avant de se laisser tomber sur son adversaire, technique avec laquelle elle était peu familière, si bien que l’entièreté de ses muscles étaient douloureux désormais. Mais la jeune chatte était fière d’elle, elle avait réussi à prendre confiance en elle, grimpant sur les immenses chênes de la forêt comme un écureuil désormais, sans craindre de tomber. Elle aurait voulu partager sa joie à quelqu’un, mais qui ? Personne ne l’attendait au camp. Elle avait partagé une proie avec sa mère qui n’avait eu de cesse de se plaindre du comportement de Pétale de Coquelicot durant tout leur repas avant de quitter sa fille, trop fatiguée pour rester plus longtemps éveillée. Nuage de Luciole avait donc regagné son nid tristement, le cœur lourd et l’esprit embrouillé, tellement embrouillé qu’elle ne put trouver le sommeil. La petite chatte grise ne cessait de se tourner et se retourner dans son lit de mousse, les mêmes questions tournant en boucle dans sa tête : pourquoi se sentait-elle si seule ? Pourquoi ne pouvait-elle considérer personne comme son ami ? Les choses auraient-elles été différentes si Nuage d’Orage était encore là ? Nuage de Luciole en voulait à sa mère de l’avoir autant couvée durant son enfance, l’empêchant de s’ouvrir aux autres, mais il était trop tard désormais, Nuage de Luciole était seule.
Au bout d’un énième tour sur elle-même dans sa litière, l’apprentie grise abandonna l’idée de trouver le sommeil. Elle poussa un petit soupir, s’étira les pattes et quitta sans un bruit la tanière des apprentis. Le camp était vide désormais. La lune avait atteint son paroxysme dans le ciel parsemé d’étoiles lumineuses, plongeant le camp du Clan du Tonnerre dans une douce torpeur. La dernière fois qu’elle avait vu le camp aussi paisible était la nuit où elle s’était éclipsée de la pouponnière, ne parvenant pas à dormir à cause de la tanière surpeuplée. Elle se souvenait avoir souhaité que Bois de Genêt devienne son mentor mais, finalement, avec le recul, elle était plus que ravie qu’Étoile de Lavande ait choisi Pelage d’Argile à la place. Nuage de Luciole ne sortait jamais la nuit, elle avait pris cette habitude depuis la pouponnière mais, ce soir-là, l’envie de découvrir la forêt plongée dans l’obscurité naquit dans son esprit. Elle hésita longuement, apeurée à l’idée de s’aventurer dans un endroit qu’elle ne connaissait que de jour, mais se ravisa bien vite, elle était forte et connaissait les terres de son clan, personne ne remarquerait son absence.
A pas de velours, Nuage de Luciole franchit donc l’entrée du camp, passant à côté de Poil de Hérisson qui somnolait paisiblement et n’avait même pas remarqué sa présence. L’obscurité l’engloutit, lui tendant les bras pour l’envelopper toute entière lorsqu’elle passa la barrière de ronces. Un frisson d’excitation parcourut son pelage gris, galvanisée par ces sensations inconnues. Elle ouvrit la gueule, s’imprégnant des senteurs nocturnes pour s’orienter et, silencieusement comme une ombre, prit le chemin de la clairière proche de la frontière avec le Clan de l’Ombre. Étrangement, Nuage de Luciole ne rencontra que peu de difficultés à s’orienter. Ses vibrisses et son odorat étaient suffisants pour esquiver les arbres et savoir où elle allait et, même si elle trébucha contre une ou deux racines affleurant du sol, son trajet se passa sans encombre. L’apprentie était heureuse de découvrir son territoire sous ce nouveau jour, elle se sentait vivante et avait oublié pendant un temps au moins la solitude qu’elle ressentait au camp. Lorsqu’elle arriva finalement dans la fameuse clairière, Nuage de Luciole fut aveuglée par la lumière qui y régnait. La lune déversait ses rayons pâles, éclairant l’herbe d’une lueur blafarde. La chatte grise avança sur ce sol gras quelques instants, parcourant l’endroit paisiblement avant d’apercevoir un énorme chêne en bordure. Elle s’approcha, reniflant l’écorce du tronc qui semblait épaisse mais molle. La novice repensa à son entraînement de l’après-midi et, sans hésiter, sauta sur le grand chêne. Ses griffes s’enfoncèrent sans difficulté dans l’écorce et, même si elle grimaça en sentant ses muscles fatigués se réveiller, elle grimpa sans difficulté dans l’arbre jusqu’à atteindre la branche la plus basse. Agile comme un écureuil, Nuage de Luciole s’allongea sur cette dernière qui était assez large pour soutenir complètement tout son poids. Du haut de son perchoir, l’apprentie observa la clairière, les arbres alentours et le ciel qui était plus proche désormais. En regardant les étoiles, elle se demanda une fraction de seconde si, de là-haut, sa sœur l’observait. Peut-être était elle fière de la voir ainsi progresser dans son apprentissage du moins, c’est ce qu’espérait Nuage de Luciole.
Et puis, soudainement, un craquement de branche résonna dans toute la clairière. L’apprentie sursauta, s’imaginant presque instantanément qu’un renard ou un blaireau allait débouler dans la clairière et l’empêcher de regagner son camp. Mais ce fut une silhouette bien différente qui apparut à l’orée de la petite place herbeuse. Un éclair de fourrure brune jaillit des buissons, avançant ventre à terre sur l’herbe. Une odeur nauséabonde envahit la gueule de Nuage de Luciole, une odeur qu’elle ne connaissait que trop bien.

« Le Clan de l’Ombre… »

En dessous d’elle se tenait un jeune chat du clan adverse qui avançait avec méfiance dans la clairière, ses oreilles bien droites, sa queue frôlant le sol. Il semblait extrêmement jeune, beaucoup plus que Nuage de Luciole, ce qui l’étonna dans un premier temps avant que la colère ne l’envahisse. Que faisait donc un apprenti du Clan de l’Ombre sur les terres de son clan ? Elle plissa ses yeux dorés, les oreilles rabattues. Il semblait seul, elle pouvait donc le chasser facilement, elle n’aurait aucun mal à avoir le dessus sur lui. La chatte grise attendit donc patiemment que le petit chat brun se rapproche du chêne où elle était perchée et, lorsqu’il se retrouva sous sa branche, elle se laissa choir. Pensant à tous les conseils que Pelage d’Argile lui avait donné quelques heures plus tôt, elle glissa de l’arbre, se positionnant de sorte à avoir ses pattes devant elle et, comme elle l’avait prévu, elle atterrit sans difficulté sur le dos de l’intrus. Ce dernier hoqueta de surprise et tenta de fuir mais il était trop tard, Nuage de Luciole l’écrasait désormais de tout son poids et l’empêchait de bouger.

« Que fais-tu ici, sale face de rat ? feula la jeune chatte, les apprentis du Clan de l’Ombre ne sont plus capables de reconnaître leur marquage ? »

Étonnement, le matou brun ne se mit pas à paniquer. En comprenant qu’il ne pourrait pas s’enfuir, il cessa aussitôt de se débattre et resta immobile. Il tourna sa tête, dévoilant ses grands yeux jaunes qu’il posa sur Nuage de Luciole. La femelle ne lut aucune peur ou colère dans son regard lumineux, juste un calme immense, une sérénité à toute épreuve.

« Pas mal comme technique, miaula le prisonnier, je ne savais pas que les chats du Clan du Tonnerre étaient aussi à l’aise que les écureuils dans les arbres !
- R-réponds à mes questions !
- J’aimerais bien, mais tu me comprimes les poumons, j’ai un peu de mal à parler, là, vois-tu… »

Ébranlée par le calme du matou, Nuage de Luciole ne sut que faire dans un premier temps. Décontenancée face au comportement anodin de l’intrus, elle s’exécuta donc, s’écartant de quelques pas pour le laisser se redresser. Le jeune apprenti se redressa doucement, toussotant et s’ébrouant pour se débarrasser des brins d’herbes parsemant sa fourrure.

« Bon, tu vas me dire ce que tu fais ici ?
- Je me promenais juste et je n’avais pas fait attention que j’avais franchi le marquage, voilà tout.
- Menteur !
- Pourquoi je mentirais ? contra le matou, quel intérêt aurais-je à me promener seul de nuit sur les terres du Clan du Tonnerre ? Cela ne fait même pas une lune que je suis devenu apprenti !
- Tu es bien petit pour un apprenti.
- Tu n’es pas très grande non plus, ronronna-t-il, mais ta technique reste impressionnante ! Je ne m’attendais pas à me faire attaquer depuis le ciel.
- Tu trouves ? C’est gentil…»

Les oreilles de Nuage de Luciole commencèrent à chauffer. Elle n’était pas habituée à être ainsi complimentée par un chat de son âge et ne savait plus où se mettre. Elle se mit à se dandiner d’une patte sur l’autre avant de se reprendre, ce chat n’avait rien à faire ici.

« Mais tu dois rentrer chez toi ! Si tu ne sais pas où sont tes terres je peux te raccompagner mais tu ne peux pas rester ici.
- Pourquoi ? Je ne vais rien faire de mal, tu sais.
- Parce que c’est comme ça ! Tu n’as pas à être ici, donc déguerpis avant que je t’arrache la fourrure. »

Désormais agacée, Nuage de Luciole sortit ses griffes et montra ses crocs, ses yeux jaunes jetant des éclairs.

« Whaou, tu es vraiment menaçante ! ronronna le chat brun, tu dois au moins t’appeler Nuage Dangereux vu ta carrure !
- Arrête de te moquer de moi ! Je m’appelle Nuage de Luciole et je vais te faire passer l’envie de te moquer des étrangers sur leurs propres terres !
- Moi, c’est Nuage d’Ombre, maintenant que tu connais mon nom, nous ne sommes plus vraiment des étrangers, pas vrai ? »

Une fois de plus, la remarque du dénommé Nuage d’Ombre décontenança Nuage de Luciole. Les yeux du matou brillaient de malice, il semblait se délecter de la situation et cela agaçait fortement la chatte grise. Elle poussa un long soupir.

« Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu partes ?
- Apprends-moi à grimper aux arbres et je te laisse tranquille !
- Hors de question ! Je ne vais pas t’enseigner les techniques de mon clan.
- Je te montrerai comment attraper un crapaud en échange !
- Pourquoi est-ce que je voudrais attraper un crapaud ? C’est dégoûtant !
- Tant que ça remplit le ventre, c’est l’essentiel !
- Vous êtes vraiment étranges, les chats du Clan de l’Ombre… »

Nuage de Luciole ne savait pas comment se comporter face à cet étrange énergumène. Elle savait pertinemment qu’elle devrait le chasser de ses terres mais… quelque chose lui donnait envie de rester avec lui.

« Allez, Nuage de Luciole ! Montre-moi comment grimper aux arbres et je t’apprendrai des choses de mon clan aussi ! Je te le jure ! »

Nuage d’Ombre la suppliait du regard, ses yeux jaunes implorants. Nuage de Luciole poussa un nouveau soupir.

« C’est d’accord… mais ça reste entre nous, promis ?
- Promis ! »

Le chat brun sautilla de joie tandis que Nuage de Luciole se mettait à ronronner. Elle venait peut-être de se faire le premier ami de son âge, après tout.

II- L'éclosion des amaryllis[]

Partie 1[]

Un miaulement déchirant brisa le silence de cette nuit de Saison des Neiges. Il surprit tous les membres du Clan de l’Ombre qui sursautèrent, à moitié endormis, dans leur litière, se demandant d’où pouvait provenir ce cri de douleur. Certains pensèrent qu’ils se faisaient attaquer et sortirent aussitôt les griffes. D’autres jetèrent des regards paniqués à leur chère et tendre endormie à leur côté et qui jetaient désormais des œillades affolées à leurs camarades. Finalement, certains se souvinrent de l’heureux évènement qui attendait le clan. Une de leur reine attendait des petits et la nuit fatidique était très certainement arrivée. Quelle joie ! Le clan allait accueillir des nouveaux chatons qui deviendraient par la suite de redoutables guerriers de la forêt de pins. Enfin, s’ils survivaient jusqu’à la belle saison. La Mauvaise Saison s’avérait particulièrement rude cette année et même si les immenses arbres aux branches piquantes protégeaient plus ou moins les chats du clan, le gibier se faisait rare, très rare. Mais le clan devait rester positif et espérait que ses nouveaux membres grandiraient en bonne santé jusqu’à débuter leur formation de guerrier. Pourtant, s’il y’en avait bien une qui ne se réjouissait pas de cet heureux évènement c’était bien la principale concernée ! Allongée sur le sol duveteux de la pouponnière recouvert de mousse et de plumes sombres appartenant très certainement à des corneilles ou corbeaux, la belle Coucher de Soleil souffrait le martyre. Ah ! Ce n’est pas ce que lui avait promis cette carne de Pelage Osseux lorsqu’elle lui avait parlé du « bonheur de donner naissance à des chatons » ! L’ancienne au pelage famélique avait très certainement omis de lui parler des bouffées de chaleur terribles qui la prenaient, des douleurs la faisant se tordre dans tous les sens et du tournis indescriptible qui lui donnait envie de vomir le peu qu’elle avait dans l’estomac. Non, la rouquine ne passait définitivement pas un bon moment. Depuis qu’elle savait qu’elle attendait des petits, rien ne s’était passé comme prévu. L’annonce en elle-même avait été suffisamment traumatisante. Elle qui rêvait de grandes batailles, de parties de chasse interminables et de patrouilles sur tout le territoire, là voilà bloquée dans la prison de ronces qu’était la pouponnière, quasiment incapable de faire sa propre toilette tellement son ventre était gonflé. Elle rêvait d’arracher la fourrure de cette idiote d’Œil de Chouette qui lui avait tant parlé de ses propres rejetons, du bonheur de s’en occuper et avait insisté auprès de son fils, Épine de Pin, pour l’assister durant la mise-bas. La future mère ne voulait pas de cette écervelée à ses côtés ! Elle ne lui avait rien demandé ! Connaissant la femelle gris tigré, elle s’empresserait d’aller raconter aux autres vipères du clan à quel point elle avait souffert et à quel point elle avait été là pour elle durant cette terrible épreuve. Finalement, Coucher de Soleil ne savait pas si ce n’était pas Œil de Chouette qui lui filait la nausée !
Un nouvel éclair de douleur la prit au ventre. La femelle se mit à trembler, elle avait l’impression que la foudre s’était abattue sur elle, elle n’avait jamais ressenti cela avant. Haletante, la vision trouble, elle entendait à peine les consignes et paroles rassurantes d’Épines de Pin qui tentait d’apaiser les douleurs en lui pressant soigneusement le ventre. D’un geste de la patte, il lui tendit un bout de bois solide à l’écorce sombre.

« Prends ça entre tes crocs, cela t’aidera à supporter la douleur, les chatons arrivent.
- … tu m’as prise pour une chatte domestique ? »

Malgré la fatigue et la souffrance qu’elle ressentait, l’orgueil de Coucher de Soleil restait plus fort que tout. Elle n’avait pas besoin de ces distractions de chaton pour endurer la douleur, elle était une guerrière du Clan de l’Ombre bon sang ! Épine de Pin n’insista pas mais il leva les yeux au ciel, si ce n’était pas la famine ou la maladie qui tuerait ses camarades durant la Mauvaise Saison cela serait très certainement l’orgueil qui les étouffait !
Coucher de Soleil avait désormais les yeux fermés. Gardé ses paupières ouvertes représentait un effort tellement intense, elle ne pouvait se permettre de gaspiller son énergie là-dedans alors qu’elle s’apprêtait à donner la vie. Sa respiration était saccadée et bruyante, cela avait au moins l’avantage de rendre inaudible les conseils insipides d’Œil de Chouette qui s’était approchée pour caresser la joue trempée de sueur de la chatte rousse. Coucher de Soleil aurait voulu lui arracher le bout de la queue mais elle fut prise d’une autre contraction. Elle serra les crocs, comment cette idiote pouvait-elle oser poser ses pattes sur son doux pelage ?

« Je vois le premier ! »

Le cri rempli d’espoir d’Épine de Pin surpassa la respiration sifflante de Coucher de Soleil. Le matou brun garda ses pattes posées sur l’abdomen de la future mère, pressant légèrement, encourageant cette dernière. Les oreilles rabattues sur son crâne, la sueur perlant presque sur ses moustaches, Coucher de Soleil poussa un feulement terrible, à la hauteur de la douleur qu’elle ressentit en donnant naissance à son premier petit. Tremblante de douleur, elle ne réagit même pas lorsqu’Œil de Chouette déposa doucement le petit paquet baigné de sang au creux de son ventre. La vision trouble, la reine ne parvenait pas à savoir si le pelage de son premier-né était bel et bien roux ou juste maculé du sang qu’elle venait de perdre dans l’effort. Elle n’eut pas le temps de s’attarder plus que cela sur la question car la douleur au creux de son estomac se raviva.

« C’est le dernier Coucher de Soleil. »

La rouquine ne pouvait plus s’empêcher de trembler. Elle ne s’était jamais sentie aussi faible de toute sa vie. Même son premier entrainement d’apprentie guerrière avait été moins éprouvant que de donner la vie. Puisant dans les dernières forces qu’il lui restait, la femelle réussit, dans un cri mêlant désespoir et la hargne qui la caractérisait tant a donner naissance à son deuxième chaton. Instantanément, elle eut l’impression que tout son corps se vida de la moindre parcelle d’énergie restante. Peinant à garder les yeux ouverts, elle fulminait intérieurement d’être trop faible pour pouvoir lever la tête et voir enfin ce pour quoi elle avait tant souffert cette nuit : ses chatons. Ses premiers petits.

« Oh c’est merveilleux ! Deux futures guerrières incroyables je suis sûre ! Comme toi Coucher de Soleil ! »

La voix d’Œil de Chouette lui semblait insupportable. Elle aurait voulu lui hurler de se taire, de déguerpir de la pouponnière pour la laisser tranquille mais elle n’en avait pas la force.

« Laissons-les Œil de Chouette, elle a besoin de repos. »

Les protestations d’Œil de Chouette vis-à-vis des décisions du guérisseur furent les derniers mots que Coucher de Soleil entendit avant de sombrer dans un profond sommeil.

Partie 2[]

La neige tombait en flocons légers dans le camp du Clan de l’Ombre. Le rideau de ronces formant l’entrée de la pouponnière n’avait pas été assez solidifié durant la Saison des Feuilles Mortes si bien que les infiltrations étaient nombreuses pour les pauvres habitants de cette tanière. La mousse recouvrant le sol était imbibée d’eau à plusieurs endroits rendant l’atmosphère particulièrement humide. Coucher de Soleil n’avait eu de cesse de se plaindre, sifflant aux oreilles du moindre apprenti s’approchant un peu trop près de sa demeure vétuste pour qu’il change leur litière et consolide la barrière. Mais la neige s’était installée rapidement et il était désormais difficile de trouver la moindre parcelle de mousse sèche dans la forêt au grand damne de la jeune reine. Ce n’était pas faute de s’être plaint à l’entièreté du clan, même Etoile de Grêle avait entendu parler des terribles conditions dans lesquelles vivait Coucher de Soleil.
La rouquine avait toujours eu un sale caractère, mais depuis qu’elle avait donné naissance à ses petits… c’était pire que tout ! Même les anciens craignaient de croiser la femelle près de la réserve gibier durant un de ses mauvais jours, tant l’humeur de la chatte était massacrante. Elle qui gardait autrefois une certaine contenance lorsqu’elle se trouvait face à des vétérans ou chats gradés de son clan déversait désormais ouvertement son venin à quiconque avait l’audace de la contrarier, que cela soit volontaire ou non d’ailleurs. Elle avait donné la vie, offert des futurs guerriers à son clan… elle méritait le respect bon sang ! Et comment ses camarades la remerciaient ? En lui offrant une tanière humide et glaciale où elle pouvait sentir le moindre flocon effleurer les poils de son pelage ? Quel bonheur !

Personne n’osait lui dire quoi que ce soit. Pas même Œil de Chouette. Pourtant, la guerrière bavarde avait d’ordinaire toujours son mot à dire sur tout et n’importe quoi. A vrai dire, elle s’inquiétait énormément pour les chatons de Coucher de Soleil. Même si la femelle parlait beaucoup des conditions terribles dans lesquelles elle vivait, elle avait souvent tendance à oublier ses chatons, qui devaient également subir le froid et la mousse trempée de la pouponnière. Petit Bouvreuil était celle qui subissait le plus. La petite chatonne, déjà fragile à la naissance, semblait maigrir à vu d’œil, un peu plus chaque jour. Ne pouvant dormir convenablement, elle ne parvenait pas à se reposer et peinait à s’alimenter. Œil de Chouette avait entendu Coucher de Soleil pester plusieurs fois contre sa fille, qui miaulait incessamment lorsqu’elle n’arrivait pas à téter. Le clan était démuni face à la faiblesse de Petit Bouvreuil, encore trop jeune pour prendre les herbes fortifiantes d’Épine de Pin et le manque d’empathie de sa mère, qui ne semblait pas se rendre compte de l’état grave de sa fille. Œil de Chouette essayait tant bien que mal de prendre des nouvelles, se rendant à la pouponnière aussi souvent que possible, malgré l’humeur massacrante de Coucher de Soleil.

Fort heureusement, sa sœur, Petit Amaryllis, se portait bien mieux. Elle avait déjà ouvert ses grands yeux vert-bleu depuis quelques jours désormais et s’impatientait de découvrir le monde extérieur. Coucher de Soleil ne se serait pas formalisée de laisser son chaton vagabonder alors qu’elle n’avait même pas deux lunes, cela lui aurait permis de se reposer un peu, loin de leurs piaillements incessants. Non, ce qui empêchait Petit Amaryllis de poser ses pattes au-delà du rideau de ronces, c’était qu’elle voulait découvrir tout cela aux côtés de sa sœur. Ainsi, comme chaque matin, Petit Amaryllis s’était réveillée aux aurores, le poil humide et parcourut de frissons glaciaux. Il était difficile de se réchauffer malgré la présence de sa mère. Coucher de Soleil avait tendance à beaucoup bouger dans son sommeil et à écarter volontairement ou non ses chatons du creux de son ventre. Petit Amaryllis se retrouvait souvent éloignée, ne devant compter que sur la chaleur de sa sœur. Et cette nuit n’avait pas fait exception à la règle. Les pattes tremblotantes et ankylosées par l’humidité, elle avait émergé difficilement du sommeil. La petite chatte avait pris soin de longuement étirer ses pattes rousses, en silence, pour éviter toute remontrance de Coucher de Soleil. Cette dernière dormait paisiblement, sa queue reposant sur le bout de son museau, Petit Bouvreuil essayant tant bien que mal de se lover contre elle pour se protéger du froid. La chatonne semblait minuscule, même en comparaison avec Petit Amaryllis. Elle n’avait pas le poil long de sa sœur, si bien que l’on discernait sans trop de mal les os de ses côtes sous son pelage qui se mouvait au rythme de ses respirations difficiles. Petit Amaryllis sentit son cœur se serrer, sa sœur serait-elle capable de l’accompagner dehors aujourd’hui ? Elle l’espérait du plus profond de son cœur. Sans un bruit, la chatonne s’approcha doucement de Petit Bouvreuil. Ses pattes s’enfonçaient dans la mousse humide, étouffant le bruit de ses pas. Elle posa délicatement le bout de sa queue sur la truffe de sa sœur qui secoua ses moustaches. Dérangée par les chatouillis, Petit Bouvreuil s’extirpa finalement du sommeil en remuant le museau.

« Debout espèce de loir. » chuchota la chatonne rousse.

Les yeux de Petit Bouvreuil étaient clos, elle n’avait pas encore dévoilé la couleur de ses iris mais Petit Amaryllis en était sûre, sa sœur aurait les yeux bleus de leur mère. Les siens tiraient légèrement sur le vert, Œil de Chouette lui répétait très souvent qu’elle avait « les plus beaux yeux du Clan de l’Ombre ». Cela rendait la chatonne très fière et elle espérait qu’en grandissant ils resteraient tels quels. Contrairement à elle, le pelage de Petit Bouvreuil se dégradait en un camaïeu allant du roux au gris. Petit Amaryllis se demandait souvent si le pelage de son père était gris aussi et si elle avait hérité du vert de ses yeux. Coucher de Soleil n’avait jamais voulu lui dire qui il était. Petit Amaryllis avait longtemps pensé qu’il s’agissait de Gueule de Loup, le frère d’Œil de Chouette. Même si elle ne l’avait jamais vu, Œil de Chouette lui avait souvent parlé du grand matou gris et blanc. Cela expliquerait également pourquoi la guerrière venait si souvent la voir avec sa sœur. Pourtant, la seule fois où Petit Amaryllis avait essayé d’aborder le sujet avec sa mère, la chatte rousse s’était mise à feuler de colère, indignée que sa fille puisse penser qu’elle aurait pu s’amouracher d’un sac à puces comme Gueule de Loup. Depuis, Petit Amaryllis n’avait plus parlé de son père avec Coucher de Soleil. Les couinements fébriles de Petit Bouvreuil tirèrent la chatonne tigrée de ses pensées. Elle reporta son attention sur sa sœur, qui tentait désormais de se lever péniblement, les pattes tremblantes, les yeux toujours clos. Petit Amaryllis frétilla de la queue.

« Allez Petit Bouvreuil ! Aujourd’hui on va dehors ! »

Cette dernière ne répondit pas immédiatement. Tout son corps tremblait et elle semblait avoir des difficultés à tenir sur ses quatre pattes. Petit Amaryllis s’approcha d’elle, se collant à sa fourrure pour l’aider à tenir droite. Elle ne comprenait pas pourquoi Petit Bouvreuil était aussi faible… elle, elle arrivait parfaitement à tenir debout et ouvrir ses yeux !

« Je ne vais pas y arriver… chuchota Petit Bouvreuil.
- Mais si ! On reste juste à l’entrée et on regarde comment c’est dehors ! Allez Petit Bouvreuil, tu peux le faire ! » Petit Bouvreuil réfléchit quelques instants. Petit Amaryllis la fixait intensément, priant intérieurement pour que sa sœur accepte enfin. « On peut essayer… »

Petit Amaryllis se retint d’hurler de joie pour ne pas réveiller leur mère, qui dormait toujours paisiblement. Trépignant d’impatience, elle guida sa sœur jusqu’à l’entrée de la pouponnière puis se tourna vers elle. Petit Bouvreuil tremblait encore plus qu’il n’y a quelques instants, sa fourrure rousse et grise hérissée. Petit Amaryllis l’aida à passer sa tête à travers l’ouverture du buisson de ronces et fit de même, gardant les yeux clos pour découvrir l’extérieur en même temps que Petit Bouvreuil.

« Je compte jusqu’à trois, tu es prête ? Un… deux… trois ! »

Délicatement, Petit Amaryllis ouvrit ses paupières. La lumière extérieure l’agressa aussitôt. Elle qui était habituée à la pénombre de la pouponnière, elle n’avait jamais été confrontée à une lueur aussi éclatante. Il lui fallut plusieurs tentatives pour s’accommoder, jusqu’à ce que ses iris supportent finalement la luminosité. Le tapis de neige immaculé qui recouvrait le sol du camp du Clan de l’Ombre laissa la chatonne sans voix. Gueule-bée, elle découvrit cette poudreuse blanche, couvrant chaque parcelle de terre, les grands pins encadrant le camp, si typiques de leur clan et surtout, les fourrures de ses camarades s’activant déjà au sein du camp. Des odeurs inconnues assaillirent sa truffe par centaine, lui donnant le tournis. Leur refuge au cœur de la forêt de pins semblait tellement immense !

« C’est magnifique ! Tu as vu ça, Petit Bouvreuil ? »

Petit Amaryllis se tourna vers sa sœur. Malheureusement, la lueur émerveillée dans ses prunelles s’éteignit aussitôt en constatant que la chatonne n’avait pas ouvert les yeux. Epuisée, Petit Bouvreuil s’était assoupie, la tête posée sur ses pattes avant, les paupières toujours closes. Elle ne sentait même pas les flocons qui tombaient délicatement sur sa truffe, formant des gouttes scintillantes dans sa fourrure rousse. Petit Amaryllis sentit son cœur se serrer, elle connaissait désormais la neige mais les yeux de Petit Bouvreuil lui étaient toujours inconnus.
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