Note de l'Autrice :[]
Merci de passer outre la couverture plus que sommaire (il faut bien commencer quelque part, non ^^'' ?).
Enfin, bref... Voici le 1er tome du 1er cycle de "Le Temps des Secrets". À l'origine, il aurait dû être un hors-série, mais ça aurait été un peu gros pour un seul tome. N'ayant pas complètement terminée le hors-série "Le choix de Tempête de Braise", de la même série qui se passer bien des saisons après les évènements de ce livre, je ne peux promettre une régularité dans la sortie des chapitres (déjà que j'ai le plus grand mal à finir le livre mentionné plus haut).
Néanmoins, il faut bien l'écrire pour pouvoir ensuite passer au 2ème cycle.
Vous pouvez modifier cette page si cela est pour corriger des fautes d'orthographes et de frappe (ce qui m'arrive souvent), même si j'aimerais bien que vous m'en informiez pour éviter les malentendus inutiles. Dans le cas contraire, je vous remercierais de laisser mon histoire telle quelle.
Sur ce,
Bonne lecture, j'espère que ça vous plaira !
Résumé :[]
Découvrez la légende d'Étoile de Fumée et d'Étoile de Pavot !
Durant ce cycle, vous découvrirez comment le Clan du Tonnerre et le Clan de l'Ombre sont entrés en guerre, perpétuant durant des saisons et des saisons batailles et massacres. Ce récit vous sera tantôt raconté par Étoile de Pavot, meneur fourbe et rusé ; Papillon Rouge, lieutenante audacieuse et dévouée ; Feuille de Lichen, guérisseuse indomptable et imprévisible ; Fougère Épineuse, guerrière déterminée et manipulatrice ; Étoile de Fumée, chef féroce et exigeant ; ... Vous êtes prêts ? Parce que les morts seront au rendez-vous !
Nuage de Fumée et Nuage de Lichen, apprentis du Clan de l'Ombre vont apprendre la dure vie d'un chat de Clan. Le premier, ayant choisit la voie du guerrier, découvrira vite au combien la vie d'un combattant est rude. La seconde, quant à elle, verra sa détermination mise à rude épreuve, face à l'implacable Œil de Grive. Comme si leurs vies n'étaient pas suffisamment mouvementées, le frère et la sœur auront un mystère à élucider : pourquoi diable leur tante, Œil de Grive, semble tant les détester ? Cela aurait-il un lien avec leur père autoritaire, Griffe de Jonc, ou avec leur mère, Œil Vif ? Quel secret peut bien unir les trois félins qui, ne pouvant pourtant pas se voir en couleur, ne cessent de se couvrir mutuellement ?
Bien loin de tous ces mystères, Nuage de Pavot, un apprenti du Clan du Tonnerre, ne pense qu'à une seule chose : la vengeance. Le Clan du Tonnerre vit, par la faute de l'avidité du Clan de l'Ombre, parqué sur une portion de territoire bien dérisoire comparé à leurs terres d'antan. Nuage de Pavot n'est encore qu'un apprenti, mais il est déjà prêt à tout pour redorer l'honneur bafoué de son Clan. Sa sœur, Nuage de Fougère, arrivera-t-elle à lui faire entendre raison pour qu'il ne se perdre pas dans sa soif de justice, aux allures meurtrières ?
Allégeances :[]
Allégeance du Clan de l'Ombre | |
---|---|
Chef(fe) | Étoile de Pie - vieille chatte noire et blanche |
Lieutenant(e) | Éclair de l'Aube - chatte rousse au pelage flamboyant
Actuellement dans la pouponnière, remplacée par Griffe d'Ajonc |
Guérisseur(se)(s) | Œil de Grive - petite chatte brune, au regard jaune et froid
Apprentie : Nuage de Lichen |
Guerrier(ère)s | Épine Acérée - chatte brun sombre, à la carrure imposante
Apprenti : Nuage de Fumée Pétale de Bleuet - chatte gris-bleu, aux yeux verts Croc de Renard - matou roux pâle Griffe de Jonc - mâle gris aux yeux verts Œil Vif - chatte noire et blanche, aux yeux jaunes Plumage de Chouette - matou blanc moucheté de brun Apprentie : Nuage Noir Regard Bleu - grand et discret mâle noir Patte Rousse - femelle blanche et mouchetée Apprenti : Nuage de Musaraigne Éclair de Serpent - petit matou doré et tigré Poitrail Gris - petit chat gris et blanc Tache d'Or - chatte blanche rayée de gris Apprenti : Nuage Sombre Aigle Agile - grand matou brun Oreille de Lapin - mâle brun aux grandes oreilles Pelage de Fleurs - chatte écaille-de-tortue Apprentie : Nuage de Grêle |
Apprenti(e)(s) | Nuage de Lichen – chatte blanche mouchetée de gris et de noir
Nuage de Fumée – grand mâle gris sombre tigré, au corps imposant. Nuage Noir – jolie femelle noire, mouchetée de blanc Nuage de Musaraigne – petit chat noir et blanc Nuage Sombre - matou gris sombre Nuage de Grêle – femelle gris clair, mouchetée de taches plus foncées |
Reine(s) | Éclair de l’Aube – chatte rousse tirant sur le doré, à la carrure imposante.
Mère des petits de Croc de Renard : Petit Écureuil et Patte Rouge Parfum de Lavande – femelle gris-bleu, au poitrail blanc Attend les petits d’Éclair de Serpent Torrent Glacé – femelle gris sombre, aux yeux bleu foncé Attend les petits de Plumage de Chouette |
Chaton(ne)(s) | Petit Écureuil – femelle rousse, aux oreilles et à la queue touffues
Patte Rouge – femelle roux foncé tirant sur le rouge |
Ancien(ne)(s) | Orage Noir – vieux chat noir et blanc
Poil de Ragondin – vieux mâle brun Museau d’Épines – femelle grise et blanche, au museau couturé de cicatrice. Aile Brisée – jeune chatte crème |
Allégeance du Clan du Tonnerre | |
---|---|
Chef(fe) | Étoile de Prune - femelle brun sombre âgé |
Lieutenant(e) | Pluie de Fleurs - belle chatte écaille-de-tortue |
Guérisseur(se)(s) | Aile de Pinson - chatte rousse, grise et blanche |
Guerrier(ère)s | Pelage de Noix - matou brun clair
Pétale de Bruyère - guerrière brun tigré Griffe d'Argent - chat au pelage d'argent Poil de Houx - mâle noir, aux pattes avant et au poitrail blancs Langue de Vipère - femelle brun tacheté Poil de Lion - matou doré pâle et blanc Truffe d'Oseille - petite femelle brune et blanche Apprenti : Nuage de Pavot Jasmin Fleuri - jolie chatte gris clair constellée de tâches plus foncées, aux yeux verts Flaque d'Eau - matou gris clair, aux yeux bleus Patte d'Écorce - matou brun foncé Cœur de Tilleul - matou roux et blanc Fleur d'Acacia - jolie chatte rousse et blanche Apprentie : Nuage de Fougère |
Apprenti(e)(s) | Nuage de Pavot - chat brun roux, aux yeux jaunes
Nuage de Fougère - chatte roux pâle, aux yeux bleus, rayée de tigrures plus foncées |
Reine(s) | Jolie Jacinthe – femelle grise, aux pattes plus sombres, aux yeux verts.
Mère des petits de Pelage de Noix : Petit Loup et Petite Châtaigne |
Chaton(ne)(s) | Petit Loup – mâle gris
Petite Châtaigne – femelle brun sombre Petite Pluie – petite femelle écaille-de-tortue Petit Cèdre – petit mâle brun tigré Petit Olivier – grand matou roux et blanc |
Ancien(ne)(s) | {{{Nom_Ancien}}} |
Allégeance du Clan de la Rivière | |
---|---|
Chef(fe) | Étoile de Mousse - grande chatte brun sombre |
Lieutenant(e) | Feuille Noire - chatte noire aux pattes blanches |
Guérisseur(se)(s) | Eau Trouble - femelle gris sombre, à moitié aveugle
Apprenti : Nuage de Gel |
Guerrier(ère)s | Bois de Bouleau - jeune mâle tigré
Brise Poussiéreuse - chatte brun doré, aux pattes et à la queue tigrées Apprenti : Nuage d'Érable Vol d'Hirondelle - petit chat noir et blanc Bois d'Orme - matou gris tigré, au ventre et au poitrail blancs Apprentie : Nuage de Rosée Aile de Pin - mâle brun tigré Apprenti : Nuage d'Oseille Pluie de Neige - chatte tachetée, aux yeux verts Plume de Granit - matou roux pâle à la queue mouchetée Apprentie : Nuage de Feuille |
Apprenti(e)(s) | Nuage de Gel - chat gris et blanc
Nuage d'Érable - chat noir et blanc, aux yeux jaunes Nuage de Rosée - jolie femelle tachetée Nuage d'Oseille - chat doré et blanc Nuage de Feuille - jeune chatte brun tigré |
Reine(s) | Éclat de Noisette - belle chatte brune et blanche
Feuille de Prêle - femelle à la belle robe grise
|
Chaton(ne)(s) | Petite Perche - mâle roux foncé
Petite Perle - petite chatte gris tigré, aux yeux ambrés Petit Ruisseau - femelle mouchetée, aux yeux verts |
Ancien(ne)(s) | Ciel Ensoleillé - matou doré et tigré |
Allégeance du Clan du Vent | |
---|---|
Chef(fe) | Étoile d'Acanthe - matou gris pâle, aux yeux ambrés
Apprentie : Nuage d'Orme |
Lieutenant(e) | Papillon de Nuit - grande chatte au pelage sombre, presque noir |
Guérisseur(se)(s) | Lièvre Agile - chat sombre et tacheté, aux yeux jaunes
Apprenti : Nuage Cendré |
Guerrier(ère)s | Croc de Lion - vétéran à la fourrure brun doré et haut-sur-patte
Œil de Genêt - mâle crème et tigré Pétale de Lavande - chatte grise et aux pattes tigrées Plume de Caille - matou brun et tigré Plume de Héron - mâle noir et blanc Patte Légère - femelle grise et blanche Museau Neigeux - mâle gris à la truffe parsemée de minuscules taches blanches Cri du Geai - matou brun clair, aux yeux jaunes Truffe de Pin - jolie chatte rousse aux yeux bleus Merle Sautillant - petit chat noir Vol d'Oiseau - petite chatte gris pâle, aux yeux verts Ombre de Fougère - chatte brun tacheté, au corps frêle et aux yeux de jade Roncier Enflammé - matou roux tigré à la carrure imposante et au corps couturé de cicatrice |
Apprenti(e)(s) | Nuage d'Orme - chatte brun sombre, aux yeux ambrés
Nuage Cendré - matou ardoise, au pelage moucheté et aux yeux ambrés |
Reine(s) | Plume de Colombe - femelle au pelage pâle et tigré
Mère des petits d'Étoile d'Acanthe : Petite Brise, Petite Chouette et Petite Hase |
Chaton(ne)(s) | Petit Solitaire - mâle noir aux yeux verts
Petite Brise - chatte tigrée, aux yeux ambrés Petite Chouette - mâle gris moucheté, au pelage duveteux Petite Hase - femelle grise et blanche, au corps soupe |
Ancien(ne)(s) | Serre d'Aigle - vieux chat brun et borgne, au corps squelettique et décharné
Dent de Souris - petite femelle grise et famélique, à la santé fragile et au pelage rêche, et aux petites dents acérées |
Prologue :[]
En cette nuit d’hiver, sous la tempête de neige, avançait trois félins. Les deux premiers étaient des chatons : l’un un mâle brun roux, et l’autre une femelle roux pâle, zébrée de givrures plus foncées. Que faisait deux chatons dehors, en plein milieu d’une tempête de neige ? Mystère. Une chatte les accompagnait. Ce n’était pas leur mère. Après tout, quelle mère sortirait ses chatons par un temps pareil ? Aucune. Où était donc la mère de ces deux petits ? Qui était-elle ? Une seule personne avait la réponse à cette question : leur compagne de voyage. Il s’agissait d’Aile de Pinson, la guérisseuse du Clan du Tonnerre, reconnaissable à sa fourrure tricolore. En tant que guérisseuse émérite, elle savait que des chatons aussi jeunes ne résisteraient pas longtemps au froid. Le mâle étant le plus robuste, c’était sa sœur qu’elle portait dans sa gueule. La guérisseuse avait espéré pouvoir rallier son camp, mais elle dut se rendre à l’évidence lorsque le vent redoubla d’intensité. Il fallait trouver un abri, où les petits ne passeraient pas la nuit. Elle-même était transie par le froid, malgré son épaisse fourrure.
Aile de Pinson guida donc ses protégés jusqu’à une renardière abandonnée, et déposa délicatement la femelle rousse sur le sol, près de son frère. Elle s'ébroua pour débarrasser sa fourrure des flocons de neige s'y étant mêlés, et lorsqu'elle eut finit, frotta vigoureusement les fins duvets des deux petits. Les toiletter aurait été plus simple, mais cela leur aurait par la suite donner froid, or ils devaient impérativement se réchauffer. Enfin, son travail achevé, la guérisseuse s’allongea à leurs côtés et, instinctivement, comme s’ils la prenaient pour leur mère, ils se lovèrent contre son ventre, et ronronnèrent, heureux d’être enfin au chaud. Leur aînée les contempla avec lassitude. Que dirait son Clan en la voyant ramener ces deux petits ? Ses camarades avaient suffisamment de gueules à nourrir sans rajouter ces deux-là. Cependant… Elle avait promis. Et puis, par le Clan des Étoiles, elle était guérisseuse ! Pluie de Fleurs serait bien obligée de les accepter. Toute sa vie durant, Aile de Pinson s’était dévouée corps et âme à ses camarades. Ils pouvaient bien lui rendre un service, en élevant ces deux chatons. Vu tout ce qu’elle avait fait et enduré pour eux, ils lui devaient au moins ça.
N’empêche, si elle écoutait sa raison, elle savait qu’accepter cette demande était insensé. Surtout quand on savait de qui elle venait. Que ton Clan prenne soin de ces petits et, un jour, ils lui offriront le plus glorieux des avenirs. Aile de Pinson tentait de se convaincre qu’elle avait cédé à cause de cette prédiction. Si ses ancêtres avaient daigné répondre à ses prières en lui envoyant ces deux boules de poils, elle n’allait certainement pas refuser ! Cependant, la guérisseuse savait qu’il y avait une autre raison au fait qu’elle ait concédé aussi facilement à cette supplique. Les guérisseurs n’avaient le droit d’avoir ni petits, ni compagnon. Et, quand bien même elle aurait été une guerrière, l’élu de son cœur en aimait une autre… Rien ne changerait cet état de fait, malgré tout ce qu’elle pourrait dire ou faire…
- Aile de Pinson ?
Le chaton brun roux avait relevé la tête pour l’observer, perplexe.
- Aile de Pinson, c’est ton nom, miaula-t-il. Mais quels sont nos noms à nous ?
La guérisseuse poussa un léger soupir.
- Votre mère adoptive vous en trouvera un.
Ce devait être la dixième fois au moins qu’elle répétait cette phrase.
- Mais notre mère, c’est toi, miaula la petite femelle rousse, se redressant elle aussi.
Aile de Pinson se raidit.
- Je vous ait déjà dit que…
- … Tu n’étais pas notre véritable mère, compléta sa cadette. Mais on ne connaît pas cette dernière.
- On ne veut pas de mère adoptive, renchérit son frère. Notre mère, c’est toi, un point c’est tout.
Aile de Pinson contempla longuement les deux chatons, hésitante. Oui, elle avait songé à cette possibilité, tout en s’interdisant d’y croire. Mais si c’était eux qui le lui demandaient… Où était le mal ? Elle n’enfreignait pas le Code du Guérisseur : elle pourrait s’occuper d’eux tout en s’occupant de ses camarades. Laissant la joie s’insinuer en elle, Aile de Pinson ronronna :
- Très bien, petites têtes de mules.
Aile de Pinson étudia un moment le chaton brun roux, avant de dire :
- Tu t’appelleras Petit Pavot.
L’odeur du petit mâle était semblable à ses fleurs, aussi ne voyait-elle pas meilleur nom.
- Et toi, dit-elle en se tournant vers sa sœur, tu seras Petite Fougère.
Les tigrures de la jeune chatte ressemblaient effectivement à s’y méprendre à des fougères, et son parfum rappelait celui des bois, aussi son nom était-il parfaitement approprié. Petit Pavot et Petite Fougère poussèrent de petits miaulements surexcités, ravis.
Aile de Pinson sut alors qu’ils avaient raison. Ils n’étaient peut-être pas de son sang, mais à partir de maintenant, ils étaient ses chatons, de la même façon qu’elle était leur mère. Je veillerais sur eux, se promit-elle. Car désormais, ils sont ma famille, et je suis la leur.
Chapitre 1[]
- Tu es certaine d’avoir toute ta tête ?
Nuage de Lichen fit comme si elle ne l’avait pas entendu, ignorant son regard appuyé, et continua tranquillement de faire sa toilette.
- Il n’est pas trop tard pour renoncer tu sais, insista-t-il. Tu peux encore revenir sur ta décision. Je suis certain qu’Étoile de Pie acceptera. Après tout, le Clan a besoin de combattants.
Poussant un soupir agacé, sa sœur consentit enfin à lui répondre :
- Je ne changerais pas d’avis, Nuage de Fumée, malgré tout ce que tu pourras dire ou faire.
Nuage de Fumée l’observa un long moment, avant de soupirer.
- Tu es folle, finit-il par lâcher.
Nuage de Lichen leva les yeux ciel, agacée.
- Il n'y a rien de fou à vouloir devenir guérisseur.
- Quand ça implique d’avoir Œil de Grive pour mentor, si.
L’apprentie-guérisseuse grimaça. Effectivement, Nuage de Fumée n’avait pas tort. Leur tante et guérisseuse, Œil de Grive, était une chatte froide et insensible, avec une langue aussi acérée que ses crocs. De plus, si la petite chatte brune ne semblait déjà pas apprécier grand monde, c’était encore pire lorsqu’il s’agissait d’eux, ses "chers" neveux. Lorsqu’elle daignait poser son regard austère sur eux, ils n’y discernaient jamais d’affection pour eux, qui étaient pourtant ses neveux, ses derniers parents vivants, mis à part leur mère, Œil Vif. Dans ces prunelles jaunes ne brillaient que mépris et dégoût, les seules émotions qu’Œil de Grive leur ait jamais témoigné.
- Ça ira, lui assura-t-elle. Et puis, je suis sûre qu’Œil de Grive n’est pas aussi terrible qu’on le dit.
Nuage de Fumée retroussa le museau, et l'inspecta de haut en bas, comme s’il se mettait soudain à douter du fait qu’elle ait toute sa tête.
- Nuage de Lichen.
Dans un sursaut, les deux apprentis se retournèrent pour découvrir une Œil de Grive à l’expression orageuse.
- Que fais-tu encore là ? Tu crois que parce que tu es désormais apprentie, tu peux te permettre de passer toute la journée à papoter ?
Son ton n’avait rien de menaçant. Au contraire, il était doux, saupoudré d’un léger mépris, presque imperceptible. À l’entendre, on n’aurait pu penser que ce n’était rien d’autre qu’une simple réprimande. Seulement, lorsque l’on plongeait les yeux dans ses effroyables iris jaunes, on comprenait que ce n’était qu’un sentiment trompeur. Ses yeux luisaient d’une émotion dont Nuage de Lichen aurait été inapte à mettre un nom dessus, mélange de haine, d’agacement et de profonde rancune. Lorsqu’elle la regardait ainsi, l’apprentie-guérisseuse avait l’impression d’assister à une partie de chasse : qu’Œil de Grive était la prédatrice, et elle le gibier. Un gibier qui ne connaîtrait pas une fin rapide. La jeune chatte se força à déglutir, et baissa les yeux, incapable de soutenir le regard terrifiant de son mentor.
- Aujourd’hui, tu iras t’occuper des anciens, annonça-t-elle de son horrible ton doucereux. Peut-être que, si tu es d’humeur à travailler, nous pourrons commencer ton initiation demain.
Sur ces mots, la guérisseuse retourna dans son antre, fouettant son visage d’un violent mouvement de queue au passage.
- Tu disais ? dit Nuage de Fumée.
Sa sœur décida de l’ignorer.
- Tu ne devais pas prendre la patrouille de l’aube, ce matin ? lui rappela-t-elle plutôt, l’air désinvolte.
- Oh, crotte de souris ! Épine Acérée va me tuer !
C’était d’autant plus vrai que la guerrière brune n’était pas connue pour son indulgence. Certes, elle n’était pas aussi terrifiante qu’Œil de Grive, mais elle n’en était pas loin non plus.
Le novice fila aussitôt, ne prenant même pas la peine de saluer sa sœur. Nuage de Lichen, quant elle, se releva et se dirigea vers la tanière de son mentor, en quête de bile de souris. Cependant, alors qu’elle n’était plus qu’à quelques pas de l’antre, elle se figea, hésitante. Elle avait beau avoir assuré à son frère qu’elle saurait supporter l’abominable caractère de leur tante à son encontre, l’apprentie-guérisseuse se demandait en réalité si elle pourrait longtemps endurer le comportement implacable d’Œil de Grive. Nuage de Lichen inspira profondément pour se donner du courage, et se dirigea le plus dignement possible vers la tanière de son mentor.
- … s’il te plaît ! Laisse-moi encore un peu de temps. Je suis sûre qu’elle va guérir !
Le cœur de Nuage de Lichen se serra lorsqu’elle reconnut la voix d’Aile Brisée. Elle s’appelait jadis Nuage de Rossignol et, quelques lunes plutôt, Étoile de Pie l’avait envoyé chassé par une nuit d’orage. Seule. Malgré les doutes de nombreux de leurs camarades quant à cette directive, tous s’étaient tus. Après tout, personne ne discutait un ordre d’Étoile de Pie. Personne. Malheureusement pour Aile Brisée, la foudre s’était abattue sur un pin, à quelques longueurs de queue de souris d’où elle se trouvait. La petite chatte crème avait senti le danger. Mais trop tard. Sa patte arrière gauche s’était retrouvée coincée sous une branche du pin foudroyé, et s’était cassée. Et si les os s’étaient ressoudés, sa patte formait désormais un angle bizarre, l’empêchant d’être une guerrière. Dans sa grande antipathie, Étoile de Pie l’avait rebaptisé Aile Brisée, triste référence à sa patte folle, avant de l’envoyer sans plus de cérémonies rejoindre la tanière des anciens. Nommée apprentie à l’âge de quatre lunes, elle s’était retrouvée dans l’antre des anciens en ayant à peine atteint ses sept lunes.
- Je t’en supplie, Œil de Grive. Laisse-moi encore un peu de temps.
Le désespoir apparent dans la voix de la jeune chatte fendit le cœur de Nuage de Lichen. Ce jour-là, il n’y a pas que sa patte qui a été brisé. Mais aussi ses rêves, songea-t-elle. Toutefois, l’apprentie-guérisseuse se dit que sa camarade avait tort d’attendre de l’empathie de la part d’Œil de Grive. La connaissant, son mentor la renverrait aussi sec dans sa tanière, arguant qu’elle avait mieux à faire que de s’occuper de petits naïfs aux cas désespérés.
- Nuage de Rossignol…, soupira pourtant doucement la guérisseuse. Que tu ais survécu est déjà un miracle en soit. Je ne pense pas que l’on puisse en demander plus à nos ancêtres.
Nuage de Lichen fut surprise d’entendre son mentor appeler Aile Brisée par son ancien nom. Si Étoile de Pie l’entendait, la guérisseuse aurait de gros ennuis !
- À quoi bon vivre, à quoi bon s’être entraîné durant tout ce temps, si, au final, je passe le restant de mes jours dans une tanière à ne rien faire ? répliqua Aile Brisée.
Œil de Grive ne répondit pas.
- Nos ancêtres avaient tort ! gronda la jeune chatte crème, poursuivant sur sa lancée. Vivre sans ses quatre pattes, pour une guerrière, ça n’en vaut pas la peine !
- Il te faudra apprendre à vivre autrement.
- Mais mon rêve, c’était d’être une guerrière.
La voix de la jeune ancienne se brisa sur le dernier mot.
- En plus, j’ai un nom affreux, murmura-t-elle, si bas que Nuage de Lichen eut du mal à l’entendre.
Elle avait dû baisser la tête, car Œil de Grive miaula :
- Regarde-moi. (Il s’écoula un moment de silence). Pour moi, tu t’appelleras toujours Nuage de Rossignol.
- Mais Étoile de Pie…
- Étoile de Pie, la coupa la guérisseuse, est une imbécile doublée d’une mégalomane. Elle n’édicte pas la volonté du Clan des Étoiles, quoiqu’elle en dise. Et s’il fut peut-être un temps où elle méritait d’accéder au pouvoir, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dis, tu sais pourquoi Oiseau du Matin t’a nommé ‘‘Rossignol’’ ?
Oiseau du Matin feu la mère d’Aile Brisée. Une chatte rayonnante de vie, morte de maladie il y avait de cela quelques lunes. Aile Brisée n’avait quasiment aucune ressemblance physique avec elle, si ce n’était ses beaux yeux ambrés.
- Non.
- Elle t’a appelé ainsi parce que quoiqu’il arrive, tu restes notre joyeux petit oiseau : ta voix est aussi mélodieuse et enjouée que celle du rossignol. Peu importe que tu ne puisses plus voler, tu peux toujours chanter. Alors chante.
Aile Brisée devait s’apprêter à répliquer car Œil de Grive reprit du ton sec qui la caractérisait :
- Allez, ouste ! J’ai du travail, moi !
Aile Brisée renifla, plus amusée qu’intimidée, avant de s’exécuter. Ne tenant pas à se faire surprendre en flagrant délit d’espionnage, Nuage de Lichen, reprit son chemin, l’air le plus naturel du monde. Aile Brisée la salua gaiement au passage, avant de retourner en boitillant dans la tanière des anciens. Nuage de Lichen lui rendit son salut, avant d’inspirer un grand coup, et de pénétrer dans l’antre de son mentor.
Son mentor ne dit rien lorsqu’elle vint chercher la bile de souris, mais l’apprentie sentait son regard jaune fixé sur elle. Nuage de Lichen avait la désagréable impression d’être la souris qui s’était engouffrée sans le savoir dans la tanière du renard. Réprimant un frisson, elle prit ce qu’elle avait à prendre, et fila sans demander son reste. Nuage de Lichen ne respira de nouveau que lorsqu’elle atteignit la tanière des anciens.
- Que viens-tu faire là, petiote ? s’enquit Poil de Ragondin.
Le doyen du Clan avait relevé la tête en l’entendant arriver, posant sur elle son regard à moitié aveugle. Frère d’Étoile Rocheuse, le chef ayant précédé Étoile de Pie, il était depuis la mort de son frère le chat le plus âgé du Clan. Et si sa vision ne cessait de se détériorer, son ouïe, elle, était toujours aussi performante.
- Selon Œil de Grive, je ne suis pas arrivée assez tôt, expliqua l’apprentie en lâchant son fardeau. Je dois donc m’occuper de vous pour la journée.
- Ah ! s’exclama Orage Noir en se redressant vivement, le regard illuminé par la satisfaction. J’ai gagné ! Je vous avais bien dit qu’Œil de Grive trouverait un prétexte pour la punir dès sa première journée !
Il était de notoriété publique que la guérisseuse haïssait ses neveux. Et seule l’insistance d’Œil Vif avait permis à Nuage de Lichen de devenir apprentie-guérisseuse.
- On a compris, vieille peau, maugréa Museau d’Épines, encore à moitié endormie, mais foudroyant tout de même le vieux matou du regard. Maintenant calme un peu ta joie, et laisse les autres dormir, tu veux ?
Sur ces mots bien sentis, l’ancienne se réinstalla dans son nid, et mit sa truffe sous sa queue, se rendormant presque aussitôt. Nuage de Lichen réprima un rire, tandis qu’Orage Noir marmonnait une phrase peu flatteuse au sujet de la chatte grise et blanche. Tout le monde savait pourtant que réveiller Museau d’Épines avant midi était une très mauvaise façon de commencer la journée… ! Mais comme à son habitude, Orage Noir faisait ce qu’il voulait quand il le voulait. Nuage de Lichen se demandait souvent comment Museau d’Épines et Orage Noir faisaient pour être compagnons alors qu’ils passaient leur temps à se disputer. Reprenant son sérieux, Nuage de Lichen entreprit alors de débarrasser les anciens de leurs tiques. Elle commença d’abord par Orage Noir, apparemment sa récompense pour avoir gagné le pari. Car oui, Nuage de Lichen apprit durant cette heure de soin que les anciens avaient parié sur le laps de temps qu’il s’écoulerait avant qu’Œil de Grive ne trouve une justification pour se débarrasser d’elle, et ne plus l’avoir dans les pattes. Poil de Ragondin avait parié deux jours, Museau d’Épines l’heure suivant son baptême d’apprentie et Aile Brisée avait préféré s’abstenir.
Après avoir fini sa corvée, Nuage de Lichen salua les anciens et s’en alla. Elle devait également changer les litières des doyens, mais il aurait fallu réveiller Museau d’Épines pour cela et, comme dit plus haut, réveiller l’ancienne grise et blanche avant que le soleil ne soit à son zénith était une très, très mauvaise idée. Aussi s’en chargerait-elle l’après-midi.
- Nuage de Fumée avait raison. Tu aurais dû devenir apprentie-guerrière ! la taquina Petit Écureuil.
Elle et sa sœur avaient enfin été autorisé à quitter la pouponnière, les températures se réchauffant en prévision de la saison chaude qui approchait. Selon Torrent Glacé, c’était un véritable soulagement car elle en avait assez de les entendre piailler à longueur de journée.
- Je ne comprends pas que tu ais choisi la voie du guérisseur, miaula Patte Rouge en la dévisageant, tête penchée, l’air perplexe. Être une guerrière doit être tellement plus grisant ! Chasser pour le Clan, combattre pour lui… !
Nuage de Lichen réprima un soupir. Elle avait l’impression que tous ses camarades lui reprochaient ce choix. Si la plupart ne faisaient que la taquiner gentiment, à la longue, elle avait fini par se demander si ce n’était pas parce ce qu’elle était la fille d’Œil Vif que ses camarades lui miaulaient sans cesse qu’elle n’aurait pas dû devenir apprentie-guérisseuse. Après tout, Œil de Grive et Œil Vif se haïssaient, et encore, le mot était faible. Les deux sœurs ne pouvaient généralement pas se voir en couleur, et ne pouvaient pas se parler plus de cinq minutes sans que cela ne tourne au vinaigre.
Cependant, Nuage de Lichen savait qu’elle ne serait jamais heureuse en devenant guerrière. C’était la communion et le savoir du Clan des Étoiles, ainsi que celui des guérisseurs qui l’intéressait, pas celui des guerriers. Se battre ? Très peu pour elle ! Oh, bien sûr, elle aimait son Clan. Mais elle ne comprenait pas que l’on puisse blesser un autre chat juste comme ça, quand bien même ils ne seraient pas du même Clan. S’il le fallait, elle attaquerait, bien sûr, elle n’était pas sotte non plus. Mais seulement si la vie d’un de ses camarades étaient menacés, ou bien la sienne. Dans le cas contraire, pourquoi se battre lorsque l’on pouvait l’éviter ? Nuage de Lichen ne voyait pas vraiment la logique de toute cette histoire. Mais quoiqu’il en soit, la méchanceté gratuite, ce n’était pas pour elle.
Le reste de la journée se déroula paisiblement. Les proies commençant lentement à revenir, les chasseurs avaient attrapé suffisamment de gibier pour nourrir tout le monde. Les anciens n’avaient donc pas eu à se plaindre de la faim et, mieux encore, cela mit Museau d’Épines de bonne humeur, si bien que Nuage de Lichen n’avait même pas eu à entendre ses râleries lorsqu’elle vint changer la litière des doyens.
- Alors, Œil de Grive ne t’a pas trop martyrisé ? s’enquit Nuage de Fumée, lorsqu’ils se partagèrent un rat des bois le soir venu, moitié taquin, moitié sérieux.
- Pas vraiment. Je me suis occupée des anciens toute la journée ou presque, et elle ne m’a pas adressée la parole. J’imagine que je peux m’estimer heureuse.
L’apprentie-guérisseuse mâcha un morceau de sa part de viande, déglutit, avant de changer de sujet :
- Et toi ? Épine Acérée n’était pas de trop mauvais poil ?
Nuage de Fumée grimaça.
- Même si elle l’avait voulue, elle n’aurait pas pu être plus intimidante. Elle a passé la matinée à me foudroyer du regard, si bien que pendant un moment j’ai cru que lorsqu’elle nous apprenait à chasser un serpent, à Nuage Noir et moi, qu’elle allait m’utiliser comme modèle !
Nuage de Lichen pouffa, et son frère entreprit alors de lui décrire avec zèle chaque minute de cette très ‘‘agréable’’ journée passée avec son mentor.
- Ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’elle s’est de nouveau mit à me parler normalement, conclut-il dans un soupir théâtral.
- Sur le coup, c’est vrai qu’elle avait l’air de vouloir t’embrocher ! plaisanta Nuage Noir.
La jolie chatte les avait rejoint, suivit par Nuage de Grêle et son frère, Nuage Sombre. Tandis que les conversations commençaient à dériver sur les entraînements martiaux, Nuage de Lichen se leva et s’éclipsa. Depuis hier, lors de leur baptême à son frère et elle, l’apprentie-guérisseuse avait l’impression qu’une barrière invisible c’était dressée entre ses camarades et elle. Comme si le fait qu’elle emprunte une voie différente de la leur avait fait d’elle quelqu’un d’inaccessible ou incompris.
Tapie dans l’ombre de la tanière des novices, Nuage de Lichen observait son Clan papoter joyeusement, tout en se demandant si Œil de Grive éprouvait la même solitude vis-à-vis de leurs camarades. Cette dernière était par ailleurs sortie de son antre et s’était placée juste devant l’entrée, contemplant le ciel étoilé au-dessus de leurs têtes.
- Eh, Œil de Grive ! l’appela Pelage de Fleurs. Tu viens manger ?
Lorsque son mentor posa ses yeux jaunes sur la guerrière écaille-de-tortue, Nuage de Lichen fut sûre qu’elle allait décliner l’invitation. Pourtant, le regard de la guérisseuse s’adoucit. Œil de Grive, d’une ondulation chaleureuse de la queue fit savoir qu’elle acceptait, et vint s’allonger aux côtés de Pelage de Fleurs, avec qui elle partagea une grenouille. Bientôt, elles furent rejointes par Plumage de Chouette et Aigle Agile.
- Je ne sais pas ce que je vais faire de Nuage Noir, soupirait le premier. Elle est aussi têtue qu’une mule.
- Bah… ! se moqua Pelage de Fleurs. Ce n’est pas la petite-fille d’Orage Noir pour rien !
- Elle fait honneur à son aïeul, approuva Œil de Grive, remuant les moustaches avec amusement.
- Ouais, enfin si elle pouvait se contenter d’être une version miniature, ce serait parfait, bailla Aigle Agile. Un Orage Noir suffit, on n’a pas besoin d’un deuxième.
Les quatre félins continuèrent gaiement leur conversation, le plus naturellement du monde. En voyant Œil de Grive ainsi, rire et plaisanter, en compagnie de ses amis, Nuage de Lichen ne put s’empêcher de remarquer à quel point elle avait l’air différente de ce mentor froid et austère qu’elle connaissait si bien. N’était-ce donc que pour sa famille qu’elle se montrait si glaciale ? Poussant un soupir, Nuage de Lichen tourna les talons, et s’en fut dans la tanière des apprentis.
- Tu m’attraperas pas !
- C’est ce qu’on va voir !
Immobile, Nuage de Lichen fixait les deux boules de poils joueuses se courir après, las. Comme d’habitude, elle ne parvenait pas à deviner l’identité des deux chatons. Ces derniers semblaient fait de brume, comme irréels, tandis que leurs voix lui parvenaient par écho. Quelle est la raison de ma présence ici ? se demanda-t-elle, fatiguée. Cette question, l’apprentie-guérisseuse se la posait depuis maintenant des lunes, et aucune réponse ne lui était encore apparue, comme si elle ne cessait de la fuir.
- Tu te poses encore la mauvaise question.
Faisant volte-face, Nuage de Lichen espéra découvrir quelqu’un. Un chat, un blaireau, un lapin… N’importe quoi pourvu qu’on lui explique ce qu’elle faisait là. Cependant, elle fut vite déçue. Son interlocuteur n’était que brune informe, tout comme les deux petits de tout à l’heure. Nuage de Lichen était incapable de juger si la personne se tenant devant elle était une femelle ou un mâle. Sa voix, encore plus dissonante que celles des chatons, ne lui était d’aucune aide non plus.
- C’est à dire ?
Le félin brumeux demeura silencieux. À bout de nerfs, Nuage de Lichen perdit patience.
- Qu’est-ce que vous me voulez à la fin !? Qu’est-ce que je fais là !? Pourquoi ne pouvez-vous pas me laisser tranquille !?
Si le spectre était irrité par son énervement soudain, il n’en laissa rien paraître, ce qui ne fit qu’attiser la rage de l’apprentie-guérisseuse.
- Ce n’est pas encore le bon moment. Mais il viendra… bientôt.
Comme si la silhouette difforme avait perçu son incompréhension, elle répéta :
- Bientôt. Nous n’en sommes plus très loin.
Plus très loin de quoi ? voulut hurler Nuage de Lichen. Mais elle n’eut même pas le temps d’ouvrir la gueule qu’elle se sentit comme aspirée, le monde tournoyant à toute vitesse autour d’elle, tandis que les paroles de son interlocuteur ne cessaient de résonner à ses oreilles. La seconde d’après, elle se réveillait brusquement avec le visage exaspéré d’Œil de Grive à deux centimètres du sien.
- Incroyable, souffla-t-elle, une lueur de colère et de mépris mêlés dans ses iris jaunes. Encore plus fainéante que sa mère, qui aurait donc cru cela possible ?
Si Nuage de Lichen n’avait pas été aussi apeurée par son mentor, elle se serait indignée. Œil Vif était l’une des meilleures chasseresses du Clan, encore plus douée que Patte Rousse. La traiter de fainéante était donc on ne plus déplacé !
- Que vais-je bien pouvoir faire de toi ? ricana Œil de Grive, en reculant, instaurant entre elles une distance bien plus préférable.
De son regard méprisant, elle examinait Nuage de Lichen sous toutes les coutures.
- Ah, je sais. Et si tu n’allais pas récolter de la menthe aquatique, près du marécage ? Pelage de Fleurs et son apprentie pourront t’accompagner, elles savent à quoi cela ressemble.
Nuage de Lichen entendit les mots qu’elle ne prononça pas. Elles savent à quoi cela ressemble… contrairement à toi.Mais à qui la faute ? N’était-ce pas de la faute d’Œil de Grive si elle n’avait toujours pas commencé sa formation, à cause de sa rancœur idiote ? Cependant, la novice tint sa langue. Elle savait que protester ne ferait qu’aggraver son cas.
- Tâche de ne pas me décevoir, siffla la guérisseuse tandis qu’elle s’apprêtait à quitter le gîte des novices. Après tout, même une incapable comme toi devrait être capable de ramasser quelques herbes.
Sur ces mots, Œil de Grive s’en alla. La journée va être longue, soupira Nuage de Lichen en quittant la tanière à son tour. Tandis qu’elle mettait au courant Pelage de Fleurs de sa mission, Nuage de Lichen songea que Nuage de Fumée avait peut-être raison. Peut-être qu’elle ferait mieux d’abandonner. Après tout, comment pourrait-elle devenir guérisseuse avec un mentor qui la haïssait, tant et si bien qu’elle trouvait toujours quelque chose pour se débarrasser d’elle ? Mais pourquoi me déteste-t-elle autant ? se lamenta Nuage de Lichen. Qu’ais-je bien pu lui faire à la fin ?
Chapitre 2[]
Un léger bruissement réveilla Nuage de Fougère. Sentant qu’il s’en allait, la jeune chatte se redressa, mais à peine eut-elle le temps de sortir de leur tanière que l’odeur de son frère s’estompait déjà. Il avait filé. Encore, songea la jeune chatte rousse avec agacement. Ces derniers temps, Nuage de Pavot filait dès l’aube, et passait la journée hors de la combe. Elle ne le revoyait qu’au crépuscule, lorsque cette tête de mule se décidait enfin à rentrer. Nuage de Fougère se demandait ce qu’il pouvait bien manigancer. Une chose était sûre : il avait intérêt à le lui dire ce soir s’il ne voulait pas découvrir une surprise particulièrement désagréable. Poussant un soupir, la jeune chatte se dirigea vers Flaque d’Eau, qui était de garde :
- Fleur d’Acacia est-elle déjà levée ? s’enquit-elle.
- Non, et à mon humble avis tu n’iras pas la réveiller, répondit-il, taquin. Hier, elle a passé la journée à chasser et elle à patrouiller toute la nuit. Si on la réveille avant midi : elle fera un scandale.
Nuage de Fougère hocha la tête. Son mentor avait la langue aussi acérée que ses crocs, et toute personne normalement constituée éviterait de mettre Fleur d’Acacia en colère. La jeune guerrière était encore plus acariâtre qu’un blaireau. Nuage de Fougère s’était toujours demandé quelle mouche avait piqué Pluie de Fleurs lorsqu’elle avait décidé de l’appeler Fleur d’Acacia. Si cette dernière était d’une beauté à couper le souffle, la douceur n’était définitivement pas son fort, et l’apprentie se demandait sérieusement si ce mot avait seulement un jour fait partie de son vocabulaire. Nuage de Fougère salua Flaque d’Eau d’une ondulation de la queue, avant de se diriger vers la tanière d’Aile de Pinson. La guérisseuse était déjà levée, et était occupée à mettre sa réserve de remède en ordre. Par sa nature soignée, la chatte tricolore ne tolérait que très peu le bazar et la poussière. Aile de Pinson releva la tête en l’entendant arriver.
- Tu es déjà levée ? s’étonna-t-elle.
- Il le faut bien, maugréa sa cadette. Nuage de Pavot est plus matinal qu’un coucou.
- Ton frère n’a jamais tenu en place, lui fit remarquer sa mère, une lueur d'amusement dans les yeux. Dernier couché, premier levé, il a toujours été débordant d’énergie.
Oh, bien sûr, en tant que guérisseuse, Aile de Pinson ne pouvait être la véritable mère de Nuage de Fougère. Mais elle était la seule que l’apprentie ait jamais connu, aussi la considérait-elle comme telle. Oh bien sûr, il y avait aussi Jolie Jacinthe. Cependant, Nuage de Fougère l'avait toujours plus considérée comme une tante que comme une mère.
- Qu’il soit matinal ne me dérange pas…, rétorqua-t-elle. Tant qu’il ne me réveille pas.
Aile de Pinson eut un petit rire amusé, avant de retourner à ses remèdes. Nuage de Fougère vint s’assoir à côté d’elle, observant les diverses plantes médicinales. Elle avait grandi dans cette tanière, aussi Aile de Pinson lui avait-elle appris à reconnaître certaines plantes et leurs propriétés.
- Je suis libre jusqu’à midi au moins. Je peux t’aider à faire quelque chose ?
À cause de sa formation de guerrière qui avait débuté depuis cinq lunes déjà, elle ne passait plus autant de temps avec sa mère qu’elle l’aurait souhaité. Lorsqu’elle était encore chaton, Nuage de Fougère aidait beaucoup Aile de Pinson dans ses tâches quotidiennes. Nuage de Pavot les aidait parfois, lorsqu’il n’était pas occupé à écouter les histoires captivantes de Jolie Jacinthe.
- Bien sûr, ronronna la guérisseuse. Il faudrait que tu ailles donner ce paquet à Jolie Jacinthe. Ah, et au fait, il me semble que Petite Pluie toussait hier soir. Tu sais quoi lui donner, à elle ou autres chatons, pour un mal de gorge ?
- Oui, ne t’en fais pas. Tu m’as bien formé, plaisanta Nuage de Fougère.
- Parfait. Alors je te laisse : il faut que je m’occupe d’Étoile de Prune.
La jeune chatte acquiesça. Depuis des lunes déjà, Étoile de Prune était sujette à des crises de folie, conséquence de son grand âge. Elle tombait souvent malade, et n’était même plus capable de s’occuper du Clan. C’était donc sa lieutenante, Pluie de Fleurs, qui gardait le Clan uni et soudé. Elle aussi qui s’occupait des baptêmes de guerrier et d’apprentis ; elle aussi qui dirigeait le Clan. Même si Pluie de Fleurs avait récemment eu des chatons, cela ne l’avait pas empêché de diriger le Clan d’une patte de fer. Il faut dire qu’après tout, son compagnon, Griffe d’Argent, l’avait également beaucoup aidé.
Aile de Pinson quitta la tanière un ballot d’herbe dans la gueule, et Nuage de Fougère l’imita, à la différence qu’elle prit le chemin de la pouponnière.
- Salut, Nuage de Fougère ! miaula Petit Cèdre, l’un des trois petits de Pluie de Fleurs.
À peine finit-il sa phrase cependant que sa sœur, Petite Pluie, se jeta sur lui. Les deux boules de poils roulèrent au sol, sous le regard désapprobateur de leur frère, Petit Olivier. Des trois petits de la lieutenante, il était de loin le plus sérieux. Il n’était même pas encore apprenti qu’il connaissait par cœur le Code du Guerrier et, à ce rythme, Nuage de Fougère se disait qu’il n’allait pas tarder à finir comme ses parents : aussi intransigeant qu’eux sur les règles.
- Vivement qu’ils deviennent apprentis, bailla Jolie Jacinthe en étirant ses pattes avant. Je pourrais enfin dormir en paix.
Ses propres petits, Petite Châtaigne et Petit Loup, étaient encore endormis dans son nid.
- Bah… Ce sont des chatons, fit remarquer Nuage de Fougère. Ils débordent toujours d’énergie.
Jolie Jacinthe ne répliqua pas, se contentant de remuer les oreilles en reniflant son paquet d’herbe.
- De la bourrache ? s’enquit-elle.
Nuage de Fougère acquiesça, tandis que la reine grise avalait le remède.
- C’est toujours aussi amer, commenta-t-elle d'un ton neutre, en se léchant les babines pour se débarrasser du goût de la plante.
Se remettant sur ses pattes, Jolie Jacinthe lui demanda :
- Ça te dérangerait de les surveiller quelques heures ? Pluie de Fleurs emmène une patrouille de chasse avec Hermine des Neiges. Elles m’ont parlé d’un coin super où trouver des écureuils, et je meurs d’envie d’aller chasser.
- Bien sûr, ronronna Nuage de Fougère.
La reine la remercia d’une ondulation de la queue, avant de quitter la pouponnière. Nuage de Fougère ramena son attention sur les chatons, et lorsqu’elle aperçut Petite Pluie, Petit Olivier et Petit Cèdre se jeter livrer à une bataille de mousse, elle songea qu’un peu d’aide ne serait pas de trop. Poussant un soupir, elle sépara les trois chatons bagarreurs.
- Franchement, Nuage de Fougère ! rouspéta Petite Pluie. T’étais obligée d’intervenir !? J’avais presque gagné !
Aussi aimable que sa mère.
- Ce n’est pas vrai ! protesta Petit Cèdre
- Si c’est vrai !
- Menteuse !
- Cervelle de souris !
- Cœur de renarde !
Nuage de Fougère plaqua d’une poigne douce, mais ferme, sur le petit corps de Petite Pluie au sol, l’empêchant ainsi de se jeter sur Petit Cèdre, qui la toisait d’un air de défi.
- Pour l’amour de nos ancêtres, serait-ce vraiment trop vous demander d’arborer un air décent ? s’agaça la novice.
- Eh ! Je n’ai rien fait moi, intervint Petit Olivier.
Devant l’air dubitatif de son aînée, il grommela :
- J’ai été emporté dans leurs chamailleries contre ma volonté !
Il aurait presque pu rivaliser avec les chefs de Clan à l’Assemblée, lorsque les uns affirmaient aux autres que jamais leurs guerriers n’oseraient franchir la frontière et que ce n’était pas de leur faute si les guerriers rivaux étaient incapables de différencier les odeurs les unes des autres.
- Quoiqu’il en soit, il serait temps que vous appreniez à vous tenir, les réprimanda-t-elle. Vous êtes les aînés de la pouponnière, et vous devez montrer l’exemple. Et puis, si vous n’arrivez pas à faire ça maintenant, ce n’est même pas la peine de penser à votre initiation. Ce n’est pas parce que vous êtes les petits de Pluie de Fleurs que vous avez tous les droits. Clair ?
Les trois chatons hochèrent la tête, penauds face à l’assurance et à la sévérité soudaine de Nuage de Fougère.
- Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse si on ne peut pas jouer ? demanda Petite Pluie.
- C’est vrai ! On s’ennuie ! approuva Petit Cèdre en donnant un coup de patte bougon dans un caillou.
Nuage de Fougère haussa un sourcil.
- Ça peut s’arranger, miaula-t-elle en tournant les talons. Suivez-moi.
- Quelque chose me dit que t’aurais mieux fait de te taire, murmura Petit Olivier à l’intention de Petit Cèdre, alors qu'ils s'exécutaient.
Effectivement, il aurait mieux valu. Mais trop tard. Puisqu’ils s’ennuyaient, Nuage de Fougère allait leur donner des choses à faire. Elle les chargea de finir de nettoyer l’antre d’Aile de Pinson ; puis de faire de même pour la pouponnière (Petit Loup et Petite Châtaigne s’étaient réveillés entre-temps).
- Pourquoi ils peuvent jouer, eux ? se plaignit Petit Cèdre en indiquant Petit Loup et Petite Châtaigne, qui s’amusaient à être des guerriers repoussant un blaireau (le blaireau en question était Jasmin Fleuri, la tante de ces derniers).
Ils venaient de jeter les litières sales, quand Petit Cèdre avait découvert la scène.
- Parce qu’ils ne dérangent personne, eux, rétorqua Nuage de Fougère. De plus, ils sont encore trop petits pour effectuer ce genre de corvée.
- Favoritisme, maugréa Petite Pluie.
Nuage de Fougère secoua la tête, mi-amusée, mi-agacée.
- Arrêtez de jouer les martyres tous les deux, les sermonna-t-elle. Pourquoi ne prenez-vous pas exemple sur votre frère ? Il ne se plaint pas lui.
Certes, si Petit Olivier avait dans un premier temps fait la tête, sous-prétexte qu’il ne méritait pas d’écoper lui aussi de corvées ménagères, il s’était très vite rendu compte que cela rendrait service à leurs camarades. Il avait aussitôt retrouvé le sourire, et s’était appliqué à la tâche. Nuage de Fougère était convaincue que, plus tard, il ferait un excellent guerrier.
Petit Cèdre et Petite Pluie jetèrent un regard en biais à leur frère, qui portait gaiement de la mousse fraîche dans la pouponnière.
- Il est étrange, lui aussi ! cracha Petite Pluie.
Néanmoins, les deux chatons s’appliquèrent à imiter leur frère et, à partir de là, devinrent beaucoup plus agréables. Les petits travaillant à présent dans la bonne humeur, Nuage de Fougère et eux réussirent à finir avant midi. Ils venaient de terminer leur corvée lorsque Pluie de Fleurs rentra, sa patrouille de chasse sur les talons. Les chatons se précipitèrent aussi voir leur mère :
- Maman ! Maman ! pépièrent-ils.
La lieutenante fit signe à Hermine des Neiges de déposer ses proies d’une ondulation de la queue, et rejoignit ses petits au trot.
- On a nettoyé la tanière d’Aile de Pinson ! lui apprit Petite Pluie.
- Et la pouponnière ! renchérit Petit Olivier.
Pluie de Fleurs ronronna, amusée devant l’enthousiasme de ses petits.
- Waouh, c’est très bien ! Et si vous alliez voir Jolie Jacinthe ? Je suis sûre qu’elle sera ravie de vous raconter notre partie de chasse.
Ses petits partis à l’assaut de la calme reine grise, Pluie de Fleurs vint s’assoir à côté de Nuage de Fougère, qui n’avait bougé, assise sur le seuil de la pouponnière.
- Soyons honnêtes, miaula la lieutenante. Ils n’ont pas nettoyé les tanières de bon cœur, pas vrai ?
- Ils chahutaient. Je les ai séparé et ils m’ont dit qu’ils s’ennuyaient. Alors je leur ai trouvé une occupation.
La femelle écaille-de-tortue rit tout bas.
- Je plains ton futur novice.
Il s’écoula un léger moment de silence.
- La chasse n’a pas été bonne, n’est-ce pas ? s’enquit Nuage de Fougère.
Elle n’avait que trop bien remarqué les rares proies maigrelettes des chasseurs. Pluie de Fleurs se rembrunit.
- La saison chaude approche, mais les proies se terrent encore, admit-elle. Nos chasseurs ont le plus grand mal à les débusquer.
La lieutenante s’ébroua avant de conclure :
- Cela s’arrangera lorsque les températures remonteront pour de bon.
Mais Nuage de Fougère savait qu’elle ne croyait pas à ses propres paroles. Même en pleine saison des feuilles vertes, il n’y aurait jamais assez de proies pour tout le monde. Pas sur leur territoire actuel. Il y avait bien trop de bouches à nourrir, pour un territoire à la proportion dérisoire. Ils auraient pu essayer de reconquérir leurs terres d’antan, mais à quoi bon ? Avant qu’Étoile de Prune ne perde la raison, cela aurait pu être possible. À présent, c’était vain. Les remèdes se faisaient aussi rares que le gibier, et le Clan était, de toute manière, trop désordonné, la hiérarchie étant détruite. Les chatons étaient nommés apprentis toujours plutôt, de même que les apprentis étaient bien trop vite nommés guerriers. Ces derniers étaient pour la plupart jeunes et inexpérimentés ; et quant aux rares vétérans, ils étaient affaiblis et paraissaient toujours bien plus vieux qu’ils ne l’étaient en réalité.
Tous les chats du Clan du Tonnerre étaient conscients de ces états de fait, et tous se préparaient ainsi à voir mourir ses proches. Le regard de Nuage de Fougère tomba sur Jolie Jacinthe et Jasmin Fleuri, qui racontaient une histoire passionnante, à en juger par les mines attentives de tous les chatons réunis en face d’elles. Son cœur se serra. Quel avenir favorable les attendait, dans un Clan au bord du gouffre ?
- Ils ne vont pas tarder à devenir apprentis, miaula Pluie de Fleurs, qui avait suivi son regard.
Elle observait ses trois petits, une tristesse apparente dans les yeux.
Petit Cèdre, Petit Olivier et Petite Pluie avaient à peine quatre lunes, et étaient par conséquent bien trop jeunes pour entamer leur initiation. Cependant, le Clan avait besoin de tous les chasseurs disponibles.
Nuage de Fougère se désolait à l’idée que, d’ici quelques jours, les trois chatons seraient confrontés à la dureté de la vie sauvage, et que leurs petites frimousses espiègles disparaîtraient pour être remplacés soit par la morosité de leurs camarades, soit par leur lassitude. Elle-même avait débuté son apprentissage à l’âge de trois lunes et demi. Le fait qu’ils soient encore en vie, son frère et elle, était un véritable miracle. À voir si cela allait durer.
Car Nuage de Fougère le savait : rares étaient les apprentis à avoir survécu à leur initiation. Elle se souvenait de Nuage de Mauve, la sœur de Cœur de Tilleul et Fleur d’Acacia, morte de froid dans une tempête de neige, qui était survenue lors de son évaluation de chasse. Nuage de Mauve n’avait pas réussi à retrouver le camp à temps, et était morte seule, dans la neige, au milieu de la bise glaciale. Fleur d’Acacia n’avait jamais pu le pardonner à Pluie de Fleurs, de même que Cœur de Tilleul.
- Enfin, soupira la guerrière écaille-de-tortue, avec un peu de chance, ils ne finiront pas comme Nuage d’Argile…
La lieutenante s’interrompit, comme si elle avait parlé sans réfléchir. Elle coula un regard anxieux à Nuage de Fougère, qui s’était raidie, soudaine prise d’une véritable tempête émotionnelle.
Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que Pluie de Fleurs prononce ce nom ? Déjà, les souvenirs affluaient devant ses yeux : Nuage de Scarabée et elle se chamaillant dans la pouponnière ; leur baptême d’apprentis à lui et son frère, suivit du leur à Nuage de Pavot et elle ; Nuage d’Argile et Nuage de Scarabée qui leur montraient comment attraper un lapin ; Nuage de Pavot et elle faisant la course dans les bois en leur compagnie ;… Non, non ! Nuage de Fougère ne voulait pas se les remémorer. En particulier, ce dernier souvenir… Mais déjà, l’odeur du sang emplissait de nouveau ses narines, tandis que cette vieille peur panique refaisait surface. Les râles d’agonie de Nuage de Scarabée résonnèrent de nouveau à ses oreilles, tandis que son regard douloureux la suppliait d’abréger ses souffrances.
- Nuage de Fougère ? miaula Pluie de Fleurs, inquiète.
Mais l’apprentie ne l’entendait pas. Les yeux écarquillés, elle fixait les chatons sans vraiment les voir, contemplant une scène visible que d’elle seule. Sa fourrure était si hérissée qu’on aurait dit qu’elle avait doublé de volume.
- Ça ne devait pas se passer comme ça…, murmura-t-elle, l’air absent.
- Nuage de Fougère…, commença la lieutenante.
La novice rousse se tourna vers elle, et se recroquevilla en croisant son regard vert. Elle regardait Pluie de Fleurs sans vraiment la voir, terrifiée, comme si elle avait essayé de l’attaquer. La lieutenante resta indécise durant quelques secondes, complètement décontenancée. Cependant, elle se reprit aussitôt.
- Hermine des Neiges, appela-t-elle, sans quitter Nuage de Fougère des yeux.
La guerrière blanche rappliqua aussitôt, suivie par Jolie Jacinthe.
- Qu’est-ce qu’elle a ? s’enquit cette dernière en voyant l’état de frayeur dans lequel se trouvait sa fille adoptive.
- Hermine des Neiges, va chercher Aile de Pinson, intima la lieutenante sans répondre à la question. Tout de suite.
La jolie chatte blanche s’exécuta, et fila sans un mot. En attendant son retour avec la guérisseuse, Pluie de Fleurs et Jolie Jacinthe tentèrent de s’approcher de Nuage de Fougère. Cependant, chaque fois qu’elles esquissaient ne serait-ce que l’ombre d’un mouvement, la novice rousse se raidissait et reculait aussitôt. La lieutenante et la reine abandonnèrent toute approche lorsqu’elle se retrouva presque collée aux parois de la combe rocheuse. Les deux guerrières avaient bien trop peur de ce que pourrait faire Nuage de Fougère si elles insistaient davantage. Les autres guerriers présents avaient cessé leurs activités, et tous fixaient l’apprentie avec inquiétude. Celle-ci les regardait comme s’ils étaient des renards enragés qui l’auraient acculé contre un rocher.
Pluie de Fleurs commençait à s’impatienter. Où étaient Hermine des Neiges et Aile de Pinson ? La lieutenante savait que plus les deux femelles tarderaient à arriver, plus Nuage de Fougère risquait de craquer face à la peur irrationnelle qui l’habitait désormais. Elle l’avait déjà fait par le passé, et Pluie de Fleurs se souvenait parfaitement du résultat catastrophique engendré.
- Que font Hermine des Neiges et Aile de Pinson !? cracha Jolie Jacinthe, en écho aux pensées de la lieutenante. Elles se sont perdues en chemin ou quoi !?
Pluie de Fleurs savait que ses paroles étaient guidée par la crainte. La crainte de perdre son petit encore une fois...
- Elles ne vont plus tarder, assura-t-elle avec plus de conviction qu’elle n’en avait réellement.
Clan des Étoiles, pourvu que j’aie raison ! pria-t-elle. Jusqu’à présent, leurs ancêtres n’avaient gère été miséricordieux. Cependant, Pluie de Fleurs espérait qu’ils auraient tout de même un brin de compassion pour la jeune chatte. Car si Nuage de Fougère n’était pas née au sein du Clan du Tonnerre, elle y avait grandi et en faisait désormais partie à part entière.
- Eh ! s’exclama soudain Petite Pluie. Petit Olivier, viens voir !
Les chatons, peu attentifs à leur environnement, n’avaient rien remarqué de l’agitation de leurs aînés.
- C’est quoi comme insecte ? demanda la jeune chatte à son frère.
Pluie de Fleurs, en tournant la tête, vit que sa fille indiquer un petit insecte brun doré, qui s’était posée sur une pierre. Personne n’eut le temps d’intervenir, avant que Petit Olivier n’annonce joyeusement, content d’en savoir plus que sa sœur sur les insectes :
- C’est un scarabée ! claironna -t-il.
Malheureusement, Nuage de Fougère l’avait entendue. La novice rousse sortit alors les griffes, et se précipita vers le tunnel d’ajonc. Ce fut là que le cauchemar débuta.
Chapitre 3[]
Nuage de Pavot s’approchait à pas de loups d’un merle plutôt dodu pour la saison, qui, occupé à picorer des graines, ne se doutait de rien. Les yeux rivés sur sa proie, il avançait d’une démarche lente et silencieuse, plus concentré que jamais. La chasse n’était pas la raison pour laquelle il s’était montré si matinal ces derniers jours mais, en apercevant ce volatile, il avait été déterminé à le ramener au camp. Le Clan manquant de proies, il ne pouvait pas laisser passer pareille occasion. Pris d’un doute soudain, il se figea. Un mauvais pressentiment se logeait lentement dans son poitrail. Quelque chose n’allait pas. Mais quoi ? Impossible à dire. L’impression était trop floue pour que Nuage de Pavot parvienne à en deviner l’origine.
- Tu devrais rentrer.
Le jeune chat se redressa lentement. En levant la tête, il découvrit une silhouette perchée sur une branche à plusieurs longueurs de queue au-dessus de sa tête. Sa fourrure était si transparente que seuls ses yeux verts paraissaient à peu près tangibles.
- Et pourquoi ça ? s’enquit Nuage de Pavot, en la rejoignant sur sa branche avec agilité, abandonnant ainsi son merle.
Généralement, les esprits ne lui rendaient pas visite pour rien. Cela n’empêchait cependant pas Nuage de Pavot de pester intérieurement. Le spectre avait intérêt à ce que cela en vaille vraiment la peine.
- Tu dois rentrer, affirma la silhouette fantomatique.
À sa voix si douce, il savait que c’était une femelle. L’apprenti brun roux huma l’air. Cette odeur lui était familière. Il était certain d’avoir connu cette défunte, mais était incapable de se rappeler son nom.
- Qui es-tu ? s’enquit-il, tête penchée.
La revenante ignora sa question. Elle plongea son regard dans le sien et, pendant un instant, ses yeux verts luisirent presque avec autant d'éclat qu’une étoile dans la nuit.
- Dépêche-toi… avant que n’ait lieu l’irréparable.
Nuage de Pavot fronça les sourcils, mais avant qu’il ne puisse demander à l’esprit de lui en dire davantage, le vent se leva, effaçant sa présence et son odeur familière. Le novice pesta. Pourquoi ses aïeux prenaient-ils la peine de lui rendre visite, si c’était pour se montrer aussi brefs et vagues ? Car il en était certain, sa visiteuse était du Clan des Étoiles. Son odeur se rapprochait du parfum qu’Aile de Pinson ramenait, lors de ses pèlerinages mensuels à la Source de Lune, mais avec une fragrance plus marquée, toutefois.
Secouant la tête, il se remémora les paroles de l’ancêtre. Dépêche-toi… avant que n’ait lieu l’irréparable. Qu’avait-elle voulu dire par-là ? Un mauvais pressentiment aux tripes, Nuage de Pavot descendit de son perchoir en vitesse. Le novice, une fois aux racines de l’arbre, ne prit même pas la peine de s’arrêter, et prit la direction du camp. Grâce à ses pattes puissantes, il parvint à rentrer à la combe rocheuse en quelques minutes seulement. La scène qu’il y découvrit le laissa muet de stupeur.
Pluie de Fleurs, leur lieutenante, était couverte de griffures, au niveau du poitrail et des épaules ; Flaque d’Eau semblait avoir reçu un mauvais coup de patte à la tête, à en juger par son air étourdi et au sang qui coulait de sa tempe ; Poil de Lion avait une plaie profonde en plein travers de la gorge ; et l’arrière-train de Patte d’Écorce était zébrées de blessures sanguinolentes.
En l’entendant arriver, Flaque d’Eau se rassit tant bien que mal, le souffle court.
- Ta sœur…, haleta-t-il, fera une… sacrée guerrière… un de ces jours.
- C’est-à-dire ? Que s’est-il passé ?
Et Nuage de Pavot compris avant même qu’il ne réponde. Nuage de Fougère avait eu une crise. Encore.
- Qui a dit le mot de travers, cette fois !? maugréa-t-il, agacé.
Était-ce vraiment si compliqué de réfléchir avant de parler !? Aux dernières nouvelles, le Clan n’était pas composé d’un ramassis d’imbéciles, si ? Alors pourquoi étaient-ils incapables de respecter une consigne toute simple !?
- À la réflexion, je ne veux pas savoir, cracha-t-il en voyant Flaque d’Eau ouvrit la gueule. Sais-tu où elle est partie ? Non, laisse tomber, tu n’en sais sans doute rien. Autant que je me débrouille tout seul.
Le jeune matou gris rabattit ses oreilles en arrière, à la fois vexé, et outré devant tant d’agressivité et de mépris. Tout le monde savait pourtant à quel point Nuage de Pavot pouvait se montrer odieux dès lors qu’il s’agissait de sa sœur.
L’apprenti tourna les talons, et quitta le camp, sur la piste de Nuage de Fougère. Il ne lui fallut guère de temps pour la retrouver. Cela faisait des jours qu’il n’avait pas plu, et il avançait à contrevent, aussi les odeurs lui parvenaient-elles sans qu’il n’ait à réellement les chercher.
Nuage de Pavot retrouva donc sa sœur assise aux berges du Lac, la queue soigneusement enroulée autour des pattes, le regard fixé sur l’étendue d’eau clair, la mine préoccupée. Si elle n’avait toujours pas recouvré la sérénité qui la caractérisait, elle semblait être plus calme que lorsqu’elle avait dû amorcer sa réminiscence. La crise était passée. Nuage de Pavot la rejoignit, et vint s’assoir à ses côtés, fixant l’horizon. D’ici, il pouvait voir les terres du Clan de la Rivière, dont il réussissait à deviner les roseaux par leurs longues tiges filiformes. Le novice brun roux ramena son attention sur le Lac, où il put voir quelques poissons barbotant dans l’eau. Pour avoir déjà entendu des membres du Clan de la Rivière en parler, ils savaient qu’ils en raffolaient – et il valait mieux, étant donné que leur territoire en regorgeait, pour ne pas que c’était presque le seul gibier à leur disposition. Cependant, quand bien même leurs poissons seraient aussi exquis qu’ils le disaient, Nuage de Pavot était convaincu que leur saveur ne pourrait jamais être aussi délicieuse que celles des bons vieux rongeurs de la forêt.
- C’est la première fois que tu vois des poissons ?
En tournant la tête, Nuage de Pavot découvrit sa sœur, qui le couvait d’une œillade taquine. Il la foudroya du regard, sans pour autant être réellement irrité par son commentaire.
- Désolée, mais à ton air songeur, on aurait pu le croire, miaula-t-elle, pas désolée du tout.
Cela aurait été n’importe qui d’autre que Nuage de Pavot se serait irrité de ces commentaires. Sauf que ce n’était pas n’importe qui, mais Nuage de Fougère, sa très chère sœur. Elle l’agaçait au quotidien et, pourtant, il était incapable de s’énerver contre elle. En même temps, l’adversaire était de taille. Qui pourrait s’emporter face à cet adorable joli minois angélique ? Sa sœur avait le don très agaçant de savoir mettre les gens de son côté.
- Tu peux parler, toi, répliqua-t-il, espiègle. Faut-il que je te rappelle la première fois que tu as mangé de l’écureuil ? Tu as dû affiche une mine béate pendant au moins dix bonnes minutes, l’air de dire « c’est délicieux ! », alors que, franchement, qui en mangerait si ce n’était pas bon ?
Nuage de Fougère ne répondit pas. Elle se contenta de l’asperger d’eau d’un vif coup de patte, lui trempant alors le visage et toute sa fourrure au niveau du poitrail. À présent, Nuage de Pavot avait le visage d’un renard tombé dans une rivière tête la première. En voyant sa tête, Nuage de Fougère éclata de rire.
- Sale peste ! Tu ne perds rien pour attendre, persifla son frère.
Nuage de Fougère fila aussitôt, le novice brun roux sur les talons. Et si Nuage de Pavot ne réussit pas à l’arroser, il parvint cependant à lui faire tomber une ribambelle de gland sur la tête.
- Ça fait mal ! se plaignit sa sœur, lorsqu’il la rejoignit.
- Ne fais pas ta chochotte ! la rabroua-t-il, tout sourire. Ce n’est pas comme si je t’avais envoyé des ronces.
Nuage de Fougère leva les yeux au ciel, tout en marmonnant une phrase du genre « essaie-un peu, et tu vas voir », du moins ce fut ce que supposa Nuage de Pavot.
- Tu veux en parler ?
S’ils s’étaient bien amusés, Nuage de Pavot n’en oubliait toutefois pas l’origine de cet impromptu moment de rigolade. Nuage de Fougère se rembrunit.
- Tu sais que tu ne pourras pas fuir les aveux, toute ta vie, insista-t-il face à son silence. Tu ne fais que retarder l’inévitable.
Personne à part elle n’avait jamais su ce qui s’était passé lors de cette nuit terrible. Cette nuit qui avait coûté la vie à Nuage de Scarabée. Cette nuit où la joyeuse Nuage de Fougère à l’optimiste idiot avait disparue, remplacée par une Nuage de Fougère taciturne et renfermée.
- Toi non plus, tu n’as jamais rien dit, lui fit remarquer Nuage de Fougère à voix basse.
Nuage de Pavot n’aurait su dire si c’était une simple constatation ou un reproche.
- Ce n’est pas la même chose, et tu le sais, répliqua-t-il, l’amertume lui brûlant la gorge. Je ne me suis jamais rappelé ce qu’il s’est passé cette nuit-là. Toi, si.
Nuage de Fougère resta silencieuse un long moment.
- Eh bien, peut-être que tu devrais considérer cela comme une bénédiction, finit-elle par lâcher.
Sa sœur redressa la tête et Nuage de Pavot put alors voir la hantise dans ses yeux jaunes.
- De cette soirée, je n’ai aucun souvenir intacte. Seulement des réminiscences et des impressions, le tout mélangé dans un maelstrom de sentiments. Et pourtant, ça suffit à me pourrir la vie.
Elle marqua une pause, de terminer sa pensée dans un murmure anxieux :
- Nuage d’Argile s’est souvenu, lui. On sait tous les deux à quoi ça l’a conduit. Alors, peut-être que nous devrions considérer que nos ancêtres nous font un cadeau en entravant nos souvenirs.
Nuage de Pavot demeura dubitatif.
- Si on ne se souvient pas de cette nuit, c’est pour une bonne raison, insista Nuage de Fougère, les yeux agrandis. Et puis, c’est du passé, Nuage de Pavot. Nous, on est dans le présent.
Le novice brun roux acquiesça, sans être pourtant convaincu. L’absence de ses souvenirs le rongeait. C’était comme s’endormir un soir dans son camp, pour se réveiller trois jours plus tard dans le camp d’inconnus, sans savoir ni comment ni pourquoi on était arrivé là.
- Ressasser le passé ne nous servira à rien : ça ne nous apportera rien de bon. Nuage de Pavot, promets-moi que tu n’essaieras pas de recouvrer la mémoire, je ne veux pas que tu vives la même chose que moi - ou pire - que tu finisses comme Nuage d’Argile.
Nuage de Pavot lui renvoya un regard hésitant. Il n’était pas sûr que sa sœur ait raison. Cependant, devant son regard implorant, il capitula.
- Je te le promets.
L’angoisse s’effaça du regard de Nuage de Fougère, sans disparaître complètement, néanmoins.
- Allez, rentrons, lança-t-elle en étirant ses pattes avant, sa sérénité retrouvée.
Nuage de Pavot la suivit, tout en se questionnant sur ce qui s’était passé il y avait de cela maintenant des lunes. Nuage de Fougère disait que ressasser le passé ne les aiderait en rien. Elle semblait convaincue que s’ils ne cherchaient pas à en découvrir plus, la mémoire ne leur reviendrait pas. Lui pensait le contraire. Au début, durant quelques quarts de lunes, elle s’était portée parfaitement bien. Nuage d’Argile aussi. Oh certes, tout comme lui ils avaient été bouleversé par la mort de Nuage de Scarabée, mais rien de plus. À l’origine, tous trois ignoraient comment ils en étaient arrivé à ce résultat : ils savaient juste qu’ils étaient avec Nuage de Scarabée peu avant son décès, rien de plus. Puis, environs une semaine après la veillée de Nuage de Scarabée, Nuage d’Argile avait commencé à être assaillit par des cauchemars. Et, lentement, les souvenirs lui étaient revenus. Nuage de Pavot n’avait jamais su s’il avait intégralement retrouvé la mémoire ou juste une partie : Nuage d’Argile n’avait jamais pu le dire. Tout ce qu’il savait, c’est que ça avait suffi à le changer à tout jamais. Puis, étaient venues les crises de Nuage de Fougère. Au début, elles avaient été réduites à de simples cauchemars, exactement comme Nuage d’Argile. Il suffisait alors que la novice rousse se rappelle qu’elle était à la combe, entourée de ses camarades, en sécurité, et elle se calmait. Mais avec le temps, ses crises avaient pris de l’ampleur, jusqu’à survenir en plein jour, en réaction à un mot, à son ou à la vue d’un objet qui avait réveillé une quelconque réminiscence. Pendant longtemps, Nuage de Pavot avait craint que sa sœur ne finisse comme Nuage d’Argile. Cette crainte était d’ailleurs toujours là, bien qu’assez profondément enfouie dans son cœur, les crises de Nuage de Fougère ayant perdu en manifestation. Mais Nuage de Pavot en était certain, ce n’était qu’une question de temps. Sa sœur pouvait bien se voiler la face, essayer de se convaincre du contraire, ça ne changerait rien. Ils savaient tous les deux que le temps leur était compté. La mémoire finirait par leur revenir, tôt ou tard. Pour le moment, leurs souvenirs étaient comme des secrets. Bien gardés, enfouis au chaud quelque part au fin fond de leur esprit. Mais les secrets ne meurent jamais… tout comme les souvenirs. Il y a toujours quelqu’un pour se rappeler et quelqu’un pour s’interroger, entretenant ainsi le mystère et la soif de réponse. Cette même soif de réponse qui finirait peut-être par les condamner. Car Nuage de Pavot le savait. Pour le moment, leurs camarades se taisaient. Mais tôt ou tard, l’impatience finirait par les gagner. Jolie Jacinthe avait beau être douce, et d’une patience à toute épreuve, le novice brun roux savait qu’elle aussi était désireuse de savoir la vérité sur le décès de son premier fils, et pourquoi cette raison lui avait arraché le deuxième. Or, rien n’est plus dangereux que la colère d’une mère. Consciemment ou non, Jolie Jacinthe galvaniserait le besoin d’obtenir une réponse de leurs camarades les mettraient dos au mur, exigeant de savoir comment et pourquoi Nuage de Scarabée leur avait été enlevé. Et d’une façon ou d’une autre, ils obtiendraient la vérité.
En conclusion… dans un futur plus ou moins proche, la mémoire finirait par revenir à Nuage de Fougère et Nuage de Pavot. À voir s’ils seraient assez forts pour supporter son amère vérité… Cependant, dans sa préoccupation, Nuage de Pavot avait oublié un détail ô combien important. Car si Nuage de Fougère allait bien lorsqu'il l'avait retrouvé, qui concernait donc la mise en garde de l'ancêtre ?